2 Vocabulaire Au cours de l’histoire arabe, différents termes sont apparus succ

2 Vocabulaire Au cours de l’histoire arabe, différents termes sont apparus successivement pour définir la mu- sique. Déjà présent à l’époque préislamique, ghinâ’ (chant), à l’exclusion de tout autre, connote toute l’activité musicale dans son ensemble. Ce terme témoigne ainsi d’une très forte propen- sion au chant, marque de la musique arabe de manière générale. Emprunté aux Grecs, mûsîqî deviendra plus tard mûsîqá, et déterminera l’aspect théorique de la musique. Mûsîqî est obsolète de nos jours, excepté au Soudan, où il veut dire « musique ». Dernier en date, samâc signifie au premier chef audition. Il sera introduit par les soufis pour en- glober le domaine sacré. Ultérieurement, il caractérisera chez ces derniers tout type de musique. Également attesté dès la fin du VIIIe siècle, le mot lahw signifie divertissement, distraction, alors que le mot malâhî se rapporte aux instruments de musique. Ces deux termes seront véhiculés par les grammairiens, les lexicographes et les docteurs de l’Islam et condamnés par ces derniers. L’expression ghinâ’ mulhî (chant qui dissipe) est souvent utilisée dans les discussions de théolo- giens. Il est vrai que le mot lahw, parmi tous ceux employés par la langue afin de gloser l’idée de musique, est le seul à être mentionné par le Coran. À l’heure actuelle, le terme de ghinâ’ s’est maintenu dans l’usage courant mais est généralement associé à celui de mûsîqá, qui a perdu son aura théorique d’antan, depuis remplacée par l’expres- sion mûsîqá nazariyya. D’où le couple ghinâ’ wa-mûsîqá très fréquent chez les contemporains. Il renvoie à l’art vocal et à la musique instrumentale qui forment ensemble le concept de musique. Au Maroc, la tradition a retenu les termes de samâ’ pour la musique vocale avec une nette inten- tion sacrée, et âla pour la musique instrumentale à prédominance profane. Dans ce même pays, le mot tarab désigne également la musique mais s’applique de préférence à l’art savant. q Ensemble musical, takht. Coll. Ch. P 3 Le langage musical La musique arabe est essentiellement basée sur l’unisson. C’est dire que tous les participants, tant vocaux (chœur ou voix soliste) qu’instrumentaux, cheminent conjointement. Ils exposent une seule ligne mélodique. Toutefois, à certains moments, la notion d’hétérophonie l’emporte, c’est-à-dire le chevauchement des différentes entrées dues à des retards ou des avancées les unes par rap- port aux autres, ce qui crée une épaisseur surprenante. Cela se remarque dans l’ouverture de la nouba marocaine. Des bribes de polyphonie ont été signalées au Yémen : elles ne remettent pas en cause l’esprit de cette musique qui demeure foncièrement homophonique et rebelle aux lois de l’harmonie. L’unité de mesure de la musique arabe est la mélodie (lahn), terme déjà attesté à l’époque classique. La musique arabe est essentiel- lement mélodique. La mélodie s’appuie sur une métrique et est porteuse de mots : il s’agit d’habiller le vers poétique afin de le chanter. Le vers doit être clairement énoncé à travers le chant et par conséquent compris de tous. Cela n’empêche pas cet art de faire appel à l’ornementation qui surcharge le message de mélismes, le rendant parfois incompré- hensible. Les volutes du chant de l’école algéroise de la tradition de la nouba et l’interprétation de la qasîda au Proche-Orient en sont des exemples. En règle générale, le chanteur expose clairement le premier vers de manière directe et simple, puis il le re- prend et l’ornemente, donc le surcharge. Il garantit ainsi des règles, non écrites, mais imposées par la tradition, qui veulent que le message doive être clair mais procède par deux étapes succes- sives, l’une sémantique, l’autre musicale. Une culture musicale où le message sémantique est compris au premier degré risque de perdre tout intérêt. Cette situation est contournée par la réitération du vers chanté : le chanteur choisit un vers du poème et s’y focalise. Il le reprend à l’infini, le brodant, le disloquant, n’en retenant que l’hémistiche puis, en le pulvérisant, ne retient en définitive que quelques mots. Il fait ainsi oublier le message initial global, le passe au second degré et privilégie l’aspect musical. Par ail- leurs, il s’est développé au Proche-Orient et dans la poésie populaire chantée des formes comme la ‘atâba où le message, bien que clairement énoncé, est à comprendre au second degré et doit être décodé, car il repose sur un jeu de mots. De ce fait, il échappe littéralement à l’assistance, ce qui fait de ce courant un art de spécialistes. Ce procédé est aussi appliqué par les conteurs égyptiens de l’épopée hilalienne qui se livrent à d’étonnantes figures de style. q Qanûn. Cithare sur table. © IMA/R. H. 4 La modalité (maqâm, tab’) La modalité est l’extension technique, voire abstraite de la mélodie. Inventer une ligne mélo- dique, c’est la distribuer sur un agencement de notes musicales, dont certaines occupent une fonction prépondérante, comme celle de déterminer un point de départ et d’arrivée. C’est ce que l’on appelle le mode. Historiquement, cette notion est tardive : al-Fârâbî et Avicenne ne parlent que de mélodies (lahn). Safi al-Din al-Urmawî inaugurera l’esprit du langage modal (maqâm), consécration abstraite de l’idée mélodique. Celle-ci est pensée dans un contour donné, avec des paroles précises. L’idée de modalité ne prend plus en compte un type précis d’agencement, mais une structure ne se conformant plus aux paroles d’un chant donné, et devient un moule pouvant les exprimer toutes. Toutefois maqâm et lahn garderont des liens étroits qui les rendront encore plus complexes puisque le premier exprime à sa manière le second. Les noms de modes apparaissent vers le XIIIe siècle ; un premier inventaire en définit douze (hijâz, ‘ushshâq, nawá, busalîk, rast, ‘irâq, isfahân, etc.). Le mot maqâm, qui dans un premier temps signifie le lieu où s’effectue la musique, est le terme retenu au Machrek pour désigner la modalité. Il est associé à l’éthos et se charge d’une vision cosmique. Il ne gardera à la fin du XIXe siècle au Proche-Orient que des symboliques le ratta- chant aux signes astronomiques et astrologiques. En Afrique du Nord, la modalité est définie par le terme de tabc qui veut dire caractère. Certains modes peuvent même véhiculer une intention malfaisante ou être chargés de superstition, comme le mode nawá, rarement interprété en Tunisie. Le tabc est davantage chargé d’intention psychologique que ne le véhicule l’idée du maqâm. Il conservera jusqu’à nos jours une notion d’éthos qui se limitera par exemple, dans l’école d’Alger de la nouba, par l’interprétation liée, en principe, aux heures de la journée. Dans la première moitié du XXe siècle, le maqâm se dote d’une idée abstraite, qui tend à le restreindre à une échelle. Un mouvement inverse se manifeste à partir des années 70. Il tâche de revenir à l’esprit complexe du maqâm détermi- né conjointement par un agencement de notes correspondant à un état d’âme. Il prendra surtout corps par l’improvisa- tion soliste qui connaîtra un développe- ment surprenant. À l’heure actuelle, des cultures musi- cales laissées à l’écart des grands boule- versements théoriques, comme celles du Yémen ou des états du Golfe, veulent se doter d’un vocabulaire technique modal qui leur fait défaut. Elles sont tentées de l’emprunter ailleurs. Jusque-là, la pra- tique musicale locale, bien que fondée sur la notion de mode, n’en possédait pas les caractères et se ramenait au principe mélodique. q Adwâr rast, Safi al-Din al-Urmawî, Les dix-sept transpositions du mode rast. Kitâb al-adwâr. Source gallica.bnf.fr / BnF 5 La rythmique La légende veut que ce soit la démarche du chameau qui ait déterminé le premier mètre musical et fondé ainsi la rythmique. Au IXe siècle, al-Kindî dénombre huit rythmes possédant chacun son appel- lation propre, où entre autres figurent le lourd premier, le lourd second, le léger lourd, le léger léger. Al-Kindî est historiquement le premier à les décrire de manière littéraire, sous le générique de ’iqâ‘ (rythmique). Bien qu’on ait établi des parallèles entre les mètres de la prosodie et ceux de la musique, la rythmique prend une importance très grande dans la théorie, où elle développe une pensée originale mais complexe. Son unité de base est la frappe sur la percussion et le temps qui s’écoule entre deux frappes d’égale longueur : il est représenté par le vocable tan et symbolisé par un petit cercle. Ibn Zayla poussera la réflexion sur l’idée de durées (azmina) et montrera que la rythmique dérive du temps qui s’écoule. Les noms de rythmes se multiplient. Ils sont représentés à partir de Safî al Dîn al-Urmawî et son école sous l’aspect de cercles et désignés sous le terme de cycles (adwâr). Les Ottomans appliqueront la notion de cycle et la répandront sous le nom d’usûl. Le cycle rythmique fonde une grande partie des muwashshah-s du Proche-Orient. Il nécessite une mé- moire exceptionnelle pour l’engrangement des différentes frappes, sous forme de distributions diverses mais itératives, entre le centre de la membrane de la percussion dite dum et son rebord dit tak, ou entre la frappe du revers (tak) et de la paume (dum) de la main sur le genou. On arrive ainsi à des cycles irrationnels de près de 160/4, uploads/s3/ la-musique-dans-tous-ses-eclats-web 1 .pdf

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