AIMER TES HÉROS MARCEL DUCHAMP VITE « Je n’aimais pas vraiment la machine mais

AIMER TES HÉROS MARCEL DUCHAMP VITE « Je n’aimais pas vraiment la machine mais il fallait mieux in­ fliger ça à une machine qu’à un être humain ou à moi-même » Marcel Duchamp Pour la conception de cette couverture, Marcel Duchamp propose un rébus dont il donne lui-même les clefs. Marcel Duchamp joue avec l’allographie comme pour L.H.O.O.Q. (Elle a chaud au cul). METRO devient « AIMER TES HEROS ». Là où le titre de la revue mETRO utilise une typogra­ phie linéale de type international, la transcription de Marcel Duchamp est inscrite en lettres capitales avec empattements dans un cartouche à l’ancienne. Marcel Duchamp rajoute un petit apostrophe sur la lettre « E », associe les lettres « M et E » par deux accolades (qui peuvent clairement être regardées comme des formes de seins) qui relient le verbe « AIMER » et le croquis d’un homme qui aime une femme. L’homme à genoux dirige sa tête (son regard ?), entre les cuisses de la femme assise. MD. relie par deux flèches la lettre « T » au terme « TES » et au croquis d’un enfant qui tète un sein, la figure d’une tétée, qu’il associe avec la fraction « divisé par 2 ». « TT » devient donc « T ». Marcel Duchamp associe les lettres « R et O » encore par deux accolades (qui peuvent toujours clairement être regardées comme des formes de seins) qui relient le mot « HÉROS » au croquis de 2 pendus à de courtes potences et qui se font face. En 1965, Marcel Duchamp est à la fin de son existence et il a rempli le contrat qu’il avait passé avec lui-même. Les prin­ cipales pièces dont il avait sciemment provoqué le refus à l’époque où ils les avait proposées ont étés réhabilitées, il a regroupé la grande partie de sa production dans les musées et il a fini d’achever dans le plus grand secret sa dernière œuvre qu’il ne veut dévoiler que posthumement. Ce sera fait en 1969, après sa mort fin 1968. Des rétrospectives de son travail ont commencé depuis Pasadena en 1963, il a réalisé des conférences dans lesquelles il s’explique très clairement sur le processus créatif, il répond désormais à de nombreux Interview aux Etats-Unis, en Angleterre, en France dans les­ quels il joue son rôle de sage. La postérité maîtrisée est en cours d’achèvement. C’est donc un Marcel Duchamp qui contrôle très bien l’ensemble de son système de pensée qui crée ce rébus pour la couverture de mETRO n°9. On peut tenter une interprétation en reliant les principales préoccupations qui ont occupé toute sa vie la pensée de Mar­ cel Duchamp. La figure de l’amour entre un homme et une femme est la figure d’un amour charnel qui passe par le regard. L’homme voyeur regarde le sexe de la femme comme l’endroit qui signi­ fie le désir, le désir que Marcel Duchamp n’a cessé de convo­ qué au cœur de son travail, que ce soit dans la « machine désirante » du Grand verre ou dans la question du « renvoi miroirique », une des formes du désir mimétique. La figure de la tétée renvoie à celle de la « voie lactée » que Marcel Duchamp convoque pour évoquer le processus créatif et la postérité, cet univers impalpable de l’autre côté de l’in­ framince, cette quatrième dimension de tous les possibles. La figure des pendus fait référence à ses deux frères qui, passionnés par le poète François Villon [1431-1463], prirent son nom comme pseudonyme, Jacques Villon et Raymond Duchamp-Villon. Les pendus sont en référence au célèbre poème la « ballade des pendus » (Dans ce poème, François Villon, qui rit d’être condamné à la pendaison, s’adresse à la postérité pour solliciter la pitié des passants). Les héros de Marcel Duchamp, ce sont ses frères Jacques et Raymond qui, après l’expérience traumatisante où ils l’ont obligé à dépendre [1] son tableau « nu descendant un esca­ lier » d’une exposition en 1912, ont provoqué le changement d’orientation du travail de Marcel. Ce faisant, Marcel Duchamp retourne le ressentiment qu’il pouvait avoir contre eux et la question des dogmes dont ils se faisaient les gardiens du temple en une proclamation d’amour et de gratitude. [2] « Mes intuitions de peintre qui d’ailleurs n’ont rien à faire avec le résultat profond dont je ne peux pas être conscient étaient dirigées vers des problèmes d’une validité esthétique obtenue dans l’abandon du phénomène visuel tant du point de vue des rapports rétiniens qu’au point de vue anecdotique. (…) Quant au reste, je puis vous affirmer que l’introduction d’un thème de base expliquant ou provocant certains « gestes », de la ma­ riée et des célibataires ne m’est jamais venu à l’esprit, mais il est probable que mes ancêtres m’ont fait « parler », comme eux, de ce que mes petits fils diront aussi. » Marcel Duchamp, Lettre à Michel Carrouges 6 février 1950. Marc Vayer juillet 2021 [1] On pourrait à loisir échafauder de nombreux liens pertinents en jouant avec les termes « pendre » et « dépendre ». Voir la possible homophonie inspirée par Raymond Roussel : la balade dépendue/ la ballade des pendus [Jean-Marc Bourdin, Duchamp révélé, cahiers de l’ARM - PETRA Editions 2016] [2] cf. Jean-Marc Bourdin, Duchamp révélé, cahiers de l’ARM - PETRA Editions 2016] mETRO n°9, Revue italienne d’architecture. Couverture conçue par Marcel Duchamp en 1963, Bruno Alfieri éditeur, Milan, avril 1965 uploads/s3/ metro9-mv-juillet-2021.pdf

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