Document généré le 30 mars 2019 19:30 Circuit Musiques contemporaines Acoustiqu

Document généré le 30 mars 2019 19:30 Circuit Musiques contemporaines Acoustique et forme chez Varèse Gilles Tremblay Tremblay/Varèse/Messiaen : Gilles Tremblay analyste Volume 6, numéro 1, 1995 URI : id.erudit.org/iderudit/902118ar https://doi.org/10.7202/902118ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l’Université de Montréal ISSN 1183-1693 (imprimé) 1488-9692 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Tremblay, G. (1995). Acoustique et forme chez Varèse. Circuit, 6(1), 23–36. https://doi.org/10.7202/902118ar Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 1995 23 Acoustique et forme chez Varèse | Article paru dans L a Revue musicale, n° 383-385, 1985, pp. 29-46. Que se passe-t-il lorsque je joue ceci : Exemple 1 Si, un court instant, tout le climat de la Sonate pathétique est créé, ce n'est sûrement pas parce que Beethoven a écrit un accord de do mineur, mais à cause du formidable - j'allais dire tragique - brouillage non écrit mais en­ tendu, au centre le plus sensible de la perception auditive, c'est-à-dire dans le registre moyen ébranlé par l'accord grave. Nous entendons, en plus de l'accord écrit, tous ces sons virtuels (à partir des trois notes les plus graves de l'accord) : Exemple 2 sons écrits sons harmoniques regroupement-brouillage (BLOC) (jusqu'à la onzième) 24 Donc un réseau principal issu du do grave et deux réseaux qui le contrarient ou l'appuient partiellement, celui du mi bémol et celui du sol bécarre, celui du mi bémol étant le plus perturbateur, notamment par la friction mineure-majeure entre mi bémol (quatrième harmonique de mi bémol) et mi bécarre (cinquième harmonique de do). Nous venons de nous attacher à la réalité du phénomène sonore, à l'exemple de Varèse qui, à l'issue d'une de mes premières visites, me dit en substance : « Noublions pas que, pour nous musiciens, c'est le SON qui est l'un de nos meilleurs maîtres. C'est pourquoi il faut l'observer et l'étudier, ses leçons sont inépuisables. » Or le son contient une complexité croissante d'harmoniques aiguës : cres- cendo du complexe. Varèse les soulignera ou les contredira, en les intensifiant par un travail des dynamiques et des rythmes. Il en recherchera les confins harmoniques les plus lointains, comme attiré par les régions de l'inaudible, à l'image de la spirale qui le fascinait tant, giration qui ne s'arrête jamais : (...) J'irai par-delà le visible Même le dernier mot recule{]l Il en résultera, sous formes de spectres (donc de timbres) nouveaux, une musique aimantée par le dépassement des seuils, en une exploration qui, à l'image même de la perception du son et de ses harmoniques le plus lointai­ nes, contient déjà une dynamique formelle de croissante complexité, mouve­ ment que l'on retrouve également au plan des intensités dans une des courbes dynamiques types de Varèse,2), un crescendo qui ne s'arrête que par l'impossi­ bilité d'aller plus loin. ( 1 ) Œlenschlager, poète danois cité par Varèse à la fin de la conférence de Prince­ ton, 4 septembre 1959. Traduit dans Li- berté 59, n° 5, Montréal. (2) Messiaen a comparé ce type de cres- cendo à une résonance rétrogradée. Exemple 3 Intégrales, p. 1 8. Dans ces blocs sonores, qui sont un des aspects les plus typiques de son langage, Varèse utilisera deux principes : 1 ) celui des sons harmoniques natu­ rels et des sons résultants, provoquant entre les sons renforcement réciproque de l'intensité, détente, stabilité ; 2) et celui de fréquences étrangères engen­ drant, par leurs propres réseaux, perturbation, tension, déstabilisation. 26 Ces réseaux se croiseront, se repousseront ou s'attireront, branches contrai­ res organiquement liées les unes aux autres. Autrement dît, plus il y aura corrélation avec les harmoniques, plus le bloc sera stable ; et le contraire : moins il y aura de corrélation, plus le bloc sera instable. Selon ce schéma : Disposition naturelle AVEC Résultat (la série harmonique) renforcement de l'intensité stabilité détente CONTRE (la série harmonique) perturbation instabilité tension NOTE Ce principe a des conséquences qui peuvent paraître surprenantes. Ainsi, un même intervalle classé comme « consonant » deviendra « dissonant » (relati­ vement) selon son registre. Exemple 4 tierce mineure grave Brouillage à cause des harmoniques S f ^ son résultant ou sa disposition. Tension-instabilité (« dissonant ») sans rapport harmonique Clarté : on ne perçoit presque pas les harmoniques, et l'intervalle est unifié par le son résultant ; la bémol tierce mineure aiguë '•H 14" I Détente-stabilité (« consonant ») avec rapport harmonique 1-15 ♦fBM 15e harmonique Pour revenir au rapport entre le registre et le brouillage-tension, on peut dire qu'un même complexe sonore aura une tension par brouillage harmonique croissant vers le grave et décroissant vers l'aigu. Notre même accord-bloc de Beethoven n'a plus du tout la même nature si on le transpose deux octaves plus haut, pour la bonne raison que l'on ne perçoit que les harmoniques provenant du grave, alors que ceux du registre aigu ne sont presque pas perçus, aux limites de l'audible, ce qui enlève au complexe l'impression de brouillage et d'épaisseur. Ce sont exactement les mêmes notes, les mêmes intervalles, le même accord. En apparence. La personnalité a changé. En réalité, il ne s'agit plus du même complexe. L'exemple de Beethoven était non concordant. En voici un au contraire où toutes les fréquences sont à leurs places dans la série harmonique. [Pelléas, acte I, scène I). Exemple 5 Debussy, Pelléas et Mélisande, acte I, scène (Le si bémol n'est doublé par aucun instrument. Debussy a ainsi voulu permettre à la voix de chanter un véritable septième harmonique, donc à intonation plus basse que le si bémol.) 28 À la définition de la musique d'Hoene Wronski (savant et philosophe du X I X e siècle) que Varèse aimait citer « la corporification de l'intelligence qui est dans les sons », j'associerai celle-ci : la musique est « une science physico-mathé­ matique ; le son en est l'objet physique, et les rapports trouvés entre les différents sons en font l'objet mathématique ». Elle pourrait être de Varèse, elle est de Rameau(3) ! Trouver l'« intelligence qui est dans les sons », n'est-ce pas prendre cons­ cience des divers courants qui les traversent ? Amorcée avec Beethoven, Debussy, Rameau, c'est cette démarche même du compositeur qui nous guide. Varèse n'aurait point récusé ces compagnons d'exploration. Voici donc, à partir de ces critères de résonance, l'analyse de quelques blocs : 1) la fin d'Hyperprisme qui est également le point d'aboutissement et le moment de radiation maximum de l'oeuvre, où se retrouve le total chromatique ainsi échelonné : Exemple 6 Hyperprisme (fin) (3) «Traité de l'harmonie» in GIRDLESTONE, Cuthbert ( 1962), p. 521. (4) À cause du contexte, c'est le do qui était la note la plus centrale mélodiquement et pour l'oreille. C'est donc elle qui est la plus affectée par l'éclat radiant qui l'en­ toure dont elle tient cependant la crête la plus aiguë, le sol sifflant, point de jonction commun entre les forces contraires. Remar­ quons que le mi qui est la note la plus isolée de l'ensemble a cependant une re­ lation voisine relativement simple (5/4) qui privilégie sa parenté au do. Sa troisième harmonique est un si, et le si est la note la plus grave du complexe. 29 soit : Exemple 7 détente (renforcement de l'intensité) tension (perturbation) total chromatique Exemple 8 Amériques (dernier bloc harmonique). 30 Dans la première partie d'Intégrales, les trois blocs harmoniques sont scin­ dés en couches indépendantes ayant chacune leurs propres dynamiques. Ils sont composés de formants acoustiques soit en opposition (par tensions plus ou moins grandes), soit en éclat. 31 Exemple 1 1 Intégrales, « Bloc II », en éclat harmonique. C, B : symétriques. A, D : asymétriques (par rapport à l'ensemble). Si l'on effectuait une symétrie de B au rebord inférieur de A, on aurait mi bémol, ré bécarre, ré bémol. Ce sont ces mêmes notes qui servent à l'asymétrie. Dans ce deuxième bloc, il n'y a pas de grand réseau harmonique priori­ taire sinon Taxe si-fa dièse (1-3), qui réunit les éclats des extrêmes : Exemple 1 2 Intégrales, Bloc III, pp. 9 à 14, « Transmutation du Bloc I », Re-formation. 32 Rapport du formant des trois trombones (Bloc I) avec le formant deux trompettes-trombone (Bloc III). « Transmutation » par renversement, agrandissement (neuvième) et rétrécissement (tierce) des intervalles. À partir de ces coups de sonde, quelques constatations s'imposent : 1. La qualité de l'éclat, à sonorité maximale, due à la solidarité des différentes composantes sonores, qui se renforcent mutuellement par leurs courants har­ moniques, mis en relief par une tension extrême, acérée, « évidence acousti­ que » assurant la netteté de l'articulation du discours musical. (Boulez, 1991, uploads/s3/ circuit-6-1-tremblay-acoustique-et-forme-chez-varese.pdf

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