47 FRANÇOIS COUPERIN RÉVOLUTIONNAIRE : LES PIÈCES DE CLAVECIN Pièces choisies p

47 FRANÇOIS COUPERIN RÉVOLUTIONNAIRE : LES PIÈCES DE CLAVECIN Pièces choisies pour le clavecin de différents auteurs. Paris : Christophe Ballard, 1707. Dix pièces anonymes imprimées en caractères mobiles, dont six apparaissent dans d’autres sources sous le nom de Couperin. Pièces de clavecin composées par Monsieur Couperin [...] et gravées par du Plessy. Premier Livre [...] A Paris [...] 1713. Soixante et onze pièces en cinq Ordres. L’Art de toucher le clavecin par Monsieur Couperin [...] Gravé par L. Huë [...] A Paris [...] 1716. Une allemande et huit préludes. Second Livre de Pièces de clavecin composé par Monsieur Couperin [...] Gravé par du Plessy [...] A Paris [...] s.d. [1717]. Cinquante-deux pièces en sept Ordres [nos 6 à 12]. Troisième Livre de Pièces de clavecin composé par Monsieur Couperin [...] A Paris [...] 1722. [Gravé par] Louis Hüe. Quarante-quatre pièces en sept Ordres [nos 13 à 19]. Vingt-cinq autres pièces réunies en quatre Concerts royaux furent conçues comme des œuvres de musique de chambre et exécutées comme telles à la cour en 1714 et 1715 ; d’après une note du compositeur, elles peuvent également se jouer au clavecin. Quatrième Livre de Pièces de clavecin par Monsieur Couperin [...] gravé par du Plessy. A Paris [...] 1730. Quarante-cinq pièces en huit Ordres [nos 20 à 27]. Quand Couperin composa-t-il les pièces de ces recueils ? Bien après que sa place au sommet de la vie musicale française fut devenue une évidence, c’est-à-dire entre environ ses trente-neuf et soixante-deux ans. Mais composition et publication sont deux choses différentes, et, dans le cas de Couperin, la plupart des pièces de ses premiers livres avaient vu le jour bien avant d’être réunies et imprimées. De la connaissance de la date de composition de ces œuvres dépend notre faculté de comprendre et d’évaluer sa place dans l’histoire de la musique de clavecin française. À partir du Premier Livre, sa situation devint tout à fait claire : il avait révolutionné l’art de la pièce de clavecin, et nul n’échappa à l’emprise de ses idées. Mais sur la manière dont cet art nouveau a évolué sous sa 48 FRANÇOIS COUPERIN plume, sur les influences qui l’ont modelé, sur la musique qui lui servit de modèle — en un mot, sur l’importance et la qualité de son originalité —, nous n’avons pas de sources clairement documentées, seulement des indices. En quoi consista la révolution de Couperin ? Pour emprunter une métaphore politique, disons qu’elle libéra la pièce de clavecin de la tyrannie de la danse. En termes plus sobres, elle substitua aux danses nobles héritées des luthistes du début du XVIIe siècle — en particulier aux courantes, sarabandes et dans une certaine mesure, aux allemandes qui constituaient l’essentiel du répertoire — des pièces librement inventées pour exploiter une idée musicale nouvelle, explorer les possibilités descriptives de la musique, ou simplement servir à quelque fin pratique ou didactique. L’effet sur ses successeurs est plus facile à cerner que le processus par lequel Couperin lui-même prépara cette révolution. Son Premier Livre semble avoir laissé ses collègues sans voix. À l’exception de Dandrieu, de Rameau et de Nicolas Siret vieillissant (il avait cinq ans de plus que Couperin), personne n’osa se risquer en public avec de la musique de clavecin pendant les dix-huit ans à venir — jusqu’en 1730, lorsqu’il eut cessé de publier. Puis, au cours des dix-huit années suivantes, la créativité réprimée de trente-quatre compositeurs, la plupart citoyens loyaux de la nouvelle république, jaillit en un torrent de pas moins de quarante-cinq recueils. Mais la réaction de Dandrieu et de Rameau témoigne de manière encore plus saisissante de l’impact de Couperin. Tous deux avaient écrit dans la première décennie du siècle de petits livres de pièces consistant en suites de danses traditionnelles introduites par un prélude, la seule pièce de style libre étant la Vénitiénne de Rameau, un rondeau à 6/8. Dandrieu fit paraître deux autres recueils de danses avant 1720. Puis, ensemble, en 1724, après que Couperin eut publié tous ses livres sauf le dernier, Dandrieu et Rameau firent imprimer un recueil de pièces de clavecin. Celui de Dandrieu était le plus « révolutionnaire » : toute trace de l’ancienne suite — plus spécifiquement de l’allemande et de la courante qui en étaient la définition même — était bannie ; en outre, alors que pas une seule pièce dans les livres antérieurs n’avait de titre de caractère, toutes les pièces dans le nouveau recueil de Dandrieu portaient un titre. Rameau n’alla pas aussi loin. Des deux groupes de pièces de son recueil, le premier commence par une allemande, une courante et une paire de gigues, et ne comporte que deux pièces de caractère. Le second, en revanche, consiste entièrement en pièces descriptives dotées d’un titre. À l’exception d’une toute petite pièce enfantine intitulée Le Lardon et sous- titrée Menuet, il n’y a nulle trace de danse. Dandrieu et Rameau sacrifiaient tous deux à une mode nouvelle en 1724, et cette mode avait été 49 LES PIÈCES DE CLAVECIN instaurée par Couperin. Siret, bien qu’il fût ami de Couperin et qu’il fît tous les ans le voyage de Troyes à Paris pour l’« admirer », resta en revanche fidèle au style ancien. Si nous savions quand Couperin composa chacune de ses pièces (comme on le sait, par exemple, pour la musique d’orgue de son oncle Louis Couperin, dont une grande partie est précisément datée, avec l’année, le mois et le jour), nous pourrions suivre le développement de ses idées à travers les différentes étapes de sa carrière et les mettre en relation avec les influences qui l’environnaient. Mais, à quelques exceptions près, les seules dates dont nous puissions être sûr sont celles de la publication — termini ante quem, il est vrai, qui ne sont cependant d’aucune utilité pour savoir depuis combien de temps les pièces d’un recueil pouvaient avoir existé avant d’être finalement publiées. Ici, le lecteur pourrait se demander : « Mais pourquoi ne pas consulter les manuscrits originaux de Couperin ? » La réponse est simple : aucun d’eux n’a jamais été trouvé. François Couperin lui-même nous dit dans la préface de son Premier Livre qu’au cours des vingt années qui s’étaient écoulées depuis sa nomination comme organiste à la Chapelle royale (1693), ses devoirs à Versailles et à Paris, ses élèves de la maison royale et ses fréquents ennuis de santé lui avaient à peine laissé le temps de composer des pièces, et à plus forte raison de les faire graver et imprimer, comme il aurait voulu le faire « il y a longtemps ». Les autres préfaces nous apprennent qu’au moins cinq des sept Ordres du Second Livre existaient au moment où parut le Premier, soit un total de cent onze pièces. Si l’on se fie à ces dires, à peu près la moitié de sa musique de clavecin a dû être composée au cours de la vingtaine d’années qui précèdent le Premier Livre. Mais ces vingt années ne nous ramènent qu’en 1693, soit bien après qu’il eut acquis suffisamment d’habileté au clavier pour assumer ses fonctions d’organiste à Saint-Gervais (1685), qu’il eut composé ses deux superbes messes d’orgue (ca 1689), probablement après qu’il se fut essayé à une sonate en trio « corellisante » (ca 1692), et, surtout, après que sa carrière eut progressé au point qu’il était jugé digne d’une place dans la Musique du roi (1693). Il ne fait aucun doute qu’il touchait le clavecin depuis son enfance ; rien n’aurait été plus naturel, compte tenu du milieu dans lequel il fut élevé, et aucune autre formation ne pourrait rendre compte de sa capacité à assumer, avant l’âge de dix-sept ans, des tâches professionnelles d’organiste dans une grande paroisse (où il y avait un personnel énorme, dont cinquante et un prêtres, en 1695)1. S’il est quasi 1. Dans son Art de toucher le clavecin, il conseille de faire commencer les enfants à l’âge de six ou sept ans. Il faut ajouter qu’il est très rare que les organistes commencent leur formation musicale à l’orgue, surtout à une époque où il fallait payer quelqu’un pour actionner les soufflets. 50 FRANÇOIS COUPERIN certain qu’il se mit au clavecin dès son plus jeune âge, il l’est presque autant qu’il s’essaya à écrire ses propres pièces peu de temps après. La tentation devait être grande d’imiter la « belle composition » des pièces de clavecin de ses « ancêtres », probablement son père Charles et ses oncles François et Louis, encore qu’aucune musique de Charles, de François, ni d’aucun autre Couperin antérieur à Louis n’ait été identifiée. * * * Tout au long de la seconde moitié du XVIIe siècle, et même jusqu’à ce que les œuvres de Couperin commencent à être imprimées, la grande majorité des pièces composées pour le clavecin en France étaient des allemandes, courantes et sarabandes — c’est-à-dire des danses, ou, pour être plus précis, des pièces plus ou moins librement modelées sur les danses portant ces noms. Il y avait également des menuets, des gavottes, des gigues, des chaconnes, uploads/s3/ cmbv-2000-francois-couperin-revolutionnaire.pdf

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