Linx 53 (2005) Le semi-figement ...............................................

Linx 53 (2005) Le semi-figement ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Jean-Claude Anscombre Les proverbes : un figement du deuxième type ? ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Jean-Claude Anscombre, « Les proverbes : un figement du deuxième type ? », Linx [En ligne], 53 | 2005, mis en ligne le 11 février 2011, consulté le 11 octobre 2012. URL : http://linx.revues.org/255 ; DOI : 10.4000/linx.255 Éditeur : Département de Sciences du langage, Université Paris Ouest http://linx.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://linx.revues.org/255 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © T ous droits réservés 17 Les proverbes : un figement du deuxième type ? Jean-Claude Anscombre Laboratoire de Linguistique Informatique (CNRS-LLI) 1. Avant-propos Les proverbes et plus généralement les formes sentencieuses sont une catégorie langagière généralement délaissée par la plupart des linguistes, du moins jusqu'à une date récente. Le récent regain d'intérêt pour les phénomènes gnomiques a remis leur étude au goût du jour. Le problème est de savoir s'ils constituent effectivement un phénomène linguistique, et donc abordable en termes de syntaxe, sémantique, lexique, pragmatique, etc. ; ou bien s'il ne s'agit, en accord avec un certain nombre de vulgates, que d'un épiphénomène assimilable aux manifestations folkloriques présentes dans toutes les cultures. En effet, une tradition grammaticale très ancienne et reposant sur une vision parfois extrêmement normative de la langue et du 'beau parler' a fait des phénomènes sentencieux une catégorie marginale et marginalisée, sous prétexte qu'ils ne correspondaient pas – en apparence du moins (et ces apparences sont parfois trompeuses) – à certains schémas considérés comme 'normaux'. D'où leur rejet des grammaires, en compagnie d'autres phénomènes comme les interjections et les onomatopées, dans la catégorie bien commode des phénomènes 'folkloriques'. La connotation négative attachée à folklore - en tant que mot de la langue et non en tant que notion – montre bien le peu d'estime (linguistique) attachée à cette sorte de manifestation. Jean-Claude Anscombre tation 18 Je voudrais montrer ici le caractère largement erroné de cette approche, et sur plusieurs points. Parmi les nombreuses vulgates qui concernent les proverbes, une des plus enracinées est celle de leur caractère figé, qui vaut aux expressions figées en général de figurer régulièrement dans les recueils parémiologiques, et même parfois de se voir qualifier du nom de 'proverbe'1. Je montrerai en particulier que la thèse du figement des proverbes comme trait caractéristique est également erronée, les critères habituellement évoqués n'étant régulièrement pas satisfaits. Je proposerai en son lieu et place une hypothèse qui convienne à la fois pour qualifier le phénomène proverbial et expliquer en même temps l'impression persistante de moules proverbiaux préétablis. L'exposé sera illustré de nombreux exemples empruntés à diverses langues contemporaines. 2. De la variété des formes sentencieuses Dès qu'on aborde le champ parémiologique, un problème se pose d'entrée, celui de la définition de ce champ et de sous-champs éventuels. Il ne sert en effet de rien – comme cela est très généralement fait – de se livrer à de longues et savantes études sur une catégorie qu'on n'a même pas pris la peine de circonscrire. Or le problème n'est pas mince. La liste ci-après – qui n'est qu'une petite partie de ce qu'on peut trouver – montre à quel point le phénomène sentencieux est ou semble protéiforme : (1) A la Sainte Luce, les jours croissent du saut d'une puce. (2) A la Saint Rémi, cueille tes fruits. (3) En avril, ne te découvre pas d'un fil. (4) A quelque chose malheur est bon. (5) Un bienfait n'est jamais perdu. (6) Une hirondelle ne fait pas le printemps. (7) Prudence est mère de sûreté. (8) L'argent ne fait pas le bonheur. (9) Il faut battre le fer quand il est chaud. (10) Les apparences sont trompeuses. (11) Un ange passe. (12) Mieux vaut un mauvais accord qu'un bon procès. (13) Les murs ont des oreilles. (14) La mariée était trop belle. (15) Il a passé de l'eau sous les ponts. (16) Les carottes sont cuites. (17) La confiance règne. (18) Un sou est un sou. (19) Une femme est une femme. (20) Trop, c'est trop. 1 Par exemple Dournon (1986) à propos de souffler le froid et le chaud, commente 'l'origine de ce proverbe'. Il convient cependant de signaler qu'il y a des passerelles entre proverbes et locutions, dans un sens ou dans l'autre. Les proverbes : un figement du deuxième type ? 19 (21) On va voir ce qu'on va voir. (22) Les pères mangèrent des raisins verts, et les enfants eurent les dents agacées (Bible). (23) Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point (Pascal). (24) On ne blâme le vice et on ne loue la vertu que par intérêt (La Rochefoucauld). (25) Connais-toi toi même (Socrate). (26) Tu ne tueras point (Bible). (27) Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. (28) Un binage vaut deux arrosages. (29) Qui a bu, boira. (30) A bon entendeur, salut. Outre une grande variété de formes, force est de constater qu'à l'heure de regrouper les énoncés sentencieux ci-dessus selon différentes sous-classes, l'intuition chancelle très vite, faute de principes systématiques permettant un classement. Quant aux dénominations habituelles – proverbe, dicton, adage, truisme, tautologie, sentence, maxime, apophtegme, précepte, formule, etc.2, elles sont inutilisables pour les mêmes raisons, constat d'échec dont attestent d'ailleurs les dictionnaires et recueils courants. La forme sentencieuse Tel père, tel fils est classée parmi les aphorismes par Delacourt (1996), et parmi les proverbes par Montreynaud-Pierron-Suzzoni. DesRuisseaux (1997) voit un proverbe dans Nous n'avons pas gardé les cochons ensemble, y compris dans la variante Est-ce que nous avons gardé les cochons ensemble ? Pour lui, Une hirondelle ne fait pas le printemps est aussi un proverbe, alors que Pierron (1997) le considère comme un dicton, Delacourt (1996) comme une maxime, et Djavadi (1990) comme un dicton météorologique. Buitrago (2002), dans son très complet recueil, l'appelle successivement proverbio (proverbe culte) puis dicho (dicton). Maloux (1995) le classe dans les proverbes du grec ancien, bien que ce proverbe existe dans à peu près toutes les langues indo- européennes contemporaines. Montreynaud-Pierron-Suzzoni (op. cit.) en attribuent l'origine à Le Roux de Lincy, alors que ce dernier renvoie à un auteur du XVI° s., et ce malgré l'existence du modèle latin bien connu Una hirundo non effecit ver. On comprend mieux ce flottement si on examine les « définitions ». Ainsi, le T.L.F. définit le proverbe comme une 'sentence courte et imagée. Synonymes : adage, dicton, maxime'. Et à sentence, on trouve 'maxime énonçant de manière concise une évidence, une vérité chargée d'expérience'3. On voit ainsi apparaître le fond du problème. Les dénominations en langue – ainsi proverbe, adage, dicton, etc. – ne sont pas des concepts opératoires, et correspondent au mieux à une intuition des phénomènes floue et vite prise en défaut. Il convient donc avant toute chose d'assurer un minimum de structuration du domaine sentencieux. Ce à quoi nous allons nous consacrer avant toute chose. 2 Il en existe plusieurs dizaines en français. 3 L'homologue espagnol du TLF, le DRAE, ne fait pas mieux. Proverbio = 'sentencia, adagio, o refrán' ; adagio = 'sentencia breve comúnmente recibida' ; refrán = 'dicho agudo y sentencioso'... Jean-Claude Anscombre tation 20 3. Quelques définitions dans le domaine sapiential Pour illustrer brièvement le cheminement qui mène aux définitions ci-après, je partirai de la notion intuitive d'énoncé sentencieux (ou encore forme sentencieuse), et tenterai de la circonscrire par opposition à d'autres formes intuitivement non sentencieuses. Une première remarque est que les sujets parlants actuels – et non des recueils aux contenus plus ou moins discutables4 – s'ils acceptent volontiers de parler de forme sentencieuse pour des formes comme Tel père, tel fils ou La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a, refusent cette dénomination pour des tournures comme mettre la charrue avant les bœufs ou trouver chaussure à son pied. En bref, le phénomène sapiential est perçu comme étant de l'ordre de l'énoncé, et non du syntagme, pour lequel c'est la dénomination expression toute faite qui est préférée, d'où notre choix de énoncé sentencieux. Par ailleurs, ces énoncés sentencieux, on le vérifiera sans peine, sont autonomes, i.e. se suffisent à eux-mêmes, et sont de plus largement déplaçables à l'intérieur d'un discours, propriétés qui ont été remarquées par plus d'un5. Je n'insisterai pas, mon propos étant ailleurs. Je vais maintenant uploads/s3/ les-proverbes-un-figement-du-deuxieme-type.pdf

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