Transcontinentales Sociétés, idéologies, système mondial 12/13 | 2012 Marchés d

Transcontinentales Sociétés, idéologies, système mondial 12/13 | 2012 Marchés de l'art émergents Les galeristes thaïlandais et l’art contemporain Comment créer un marché sans en maîtriser les valeurs ? Thai gallery owners and contemporary art. How to create a market withoutmasteringthe values? Annabelle Boissier Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/transcontinentales/1328 DOI : 10.4000/transcontinentales.1328 ISBN : 978-2-7351-1599-0 ISSN : 1775-397X Éditeur ​ Editions de la maison des sciences de l'homme Référence électronique Annabelle Boissier, « Les galeristes thaïlandais et l’art contemporain », Transcontinentales [En ligne], 12/13 | 2012, document 4, mis en ligne le 30 août 2012, consulté le 08 septembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/transcontinentales/1328 ; DOI : https://doi.org/10.4000/transcontinentales. 1328 Ce document a été généré automatiquement le 8 septembre 2020. Tous droits réservés Les galeristes thaïlandais et l’art contemporain Comment créer un marché sans en maîtriser les valeurs ? Thai gallery owners and contemporary art. How to create a market withoutmasteringthe values? Annabelle Boissier 1 Lors des années 1990, le champ de l’art thaïlandais s’est considérablement transformé. Un monde de l’art contemporain s’est institutionnalisé, de nouvelles professions et de nouveaux espaces de promotion artistique sont apparus, destituant un système de reconnaissance artistique de type académique, actif depuis les années 1930. Sans revenir sur ce processus traité ailleurs1, j’analyserai les réactions du marché de l’art à ces transformations en comparant le fonctionnement de ces nouveaux espaces de promotion à celui des galeries. Cette comparaison, qui s’appuiera sur trois thématiques : la formation, le financement et la collaboration, montrera que ces espaces ont pour fonction la valorisation d’une nouvelle tendance artistique, et les galeries, la structuration d’un marché adapté. Cela correspond à la distinction faite par Marcia Bystryn2 entre les « galeries expérimentales » découvrant de nouveaux artistes et les « galeries établies » construisant pour ces derniers une valeur économique. Néanmoins, le cas thaïlandais ne se superpose pas exactement à ce modèle, les deux catégories de lieux n’étant pas en concurrence et le degré de reconnaissance des artistes ne se mesurant pas au passage d’une catégorie à une autre. Il apparaît plutôt que l’art contemporain est devenu une ressource réputationnelle au sein du marché de l’art, demandant aux galeristes d’intégrer un milieu d’interconnaissance dont ils maîtrisent mal les valeurs esthétiques. 2 Les données présentées ici sont issues d’une enquête ethnographique complétée par des entretiens réalisés en Thaïlande entre 2003 et 2006. Dix entretiens avec les galeristes et/ou managers de galeries3 ont été menés sur la base d’une grille abordant cinq thématiques : l’interlocuteur, sa formation, son parcours professionnel, la naissance de son intérêt pour l’art ; la galerie, les conditions de son ouverture et ses Les galeristes thaïlandais et l’art contemporain Transcontinentales, 12/13 | 2012 1 spécificités ; le public et les acheteurs ; les choix et les modalités de travail avec les artistes ; et, enfin, les relations avec les autres galeries et le monde de l’art national et régional. Cette dernière série de questions a conduit les galeristes à faire référence à leurs collègues selon deux critères récurrents, le volume des ventes et l’originalité du travail, indiquant à l’enquêteur le corpus à étudier. Dans ce recensement, ils ont cité indifféremment les galeries et les espaces de promotion de l’art contemporain, et très rarement les galeries universitaires et les institutions publiques pourtant importantes dans le paysage artistique du pays. Cette spécificité renforce l’hypothèse selon laquelle ces espaces de promotion se rapprochent des « galeries expérimentales » étudiées par Bystryn bien qu’ils ne soient pas définis par leurs promoteurs comme des espaces commerciaux4. Les galeristes interviewés sont donc ceux qui exposent les artistes contemporains5 et/ou sont cités par leurs homologues. La formation 3 Une première distinction entre ces deux types de lieux, galeries et espaces de promotion de l’art contemporain, est relative à la formation des acteurs. Tous les promoteurs de l’art contemporain ont été formés à l’étranger dans des programmes de médiation culturelle, muséale et d’histoire de l’art. À la suite d’un intérêt pour l’art et à la poursuite d’une première formation ou expérience en Thaïlande (ils ont été managers de galeries, journalistes, ou un membre de leur famille est très impliqué dans le domaine artistique), ils sont partis préparer un diplôme de deuxième et plus rarement de troisième cycle à l’étranger. Ils ont fait leurs études à New York, Chicago, Sydney, Paris, Londres. Ils ont tous cherché à développer des idées telles que : le soutien à des pratiques artistiques peu commercialisables (installation, vidéo) ; la présentation d’un large éventail de productions artistiques dans un même lieu (musique, arts visuels, littérature, cinéma) ; l’inscription de l’art dans l’espace public ; ou encore la formation du public. Ils sont à la fois animateurs de ces lieux et développent à l’extérieur des activités d’enseignement, de commissariat d’expositions, de critique ou d’expertise pour les programmes universitaires ou les commissaires internationaux6. À l’inverse, tous les propriétaires de galeries rencontrés sont des autodidactes dans le domaine artistique. Deux axes leur permettent de compenser leur absence initiale de capital au sein du monde de l’art. Première forme de compensation 4 Le premier s’établit sur la longue durée et n’aboutit généralement pas à l’insertion au sein du réseau contemporain ; le galeriste se forme seul en commençant par collectionner des œuvres, se familiarise peu à peu avec la production artistique et façonne son goût : « Nous avons commencé par collectionner des œuvres réalistes qui sont aisées à comprendre, et progressivement j’ai apprécié l’art abstrait, la sculpture et des formes faciles d’art conceptuel. Je pense que c’est une évolution naturelle. Mais l’art vidéo… c’est encore loin de moi ; la galerie suit mon propre parcours d’appréciation de l’art. » (Surapon Bunyapamai, propriétaire, Surapon Gallery, Bangkok, 27 janvier 2005.) 5 Ce galeriste précise qu’il acheta sa première œuvre dans le but de décorer son nouvel appartement, néanmoins, outre sa fonction décorative, celle-ci devait également avoir Les galeristes thaïlandais et l’art contemporain Transcontinentales, 12/13 | 2012 2 une valeur intrinsèque, être de qualité7. Son principal point de repère quant à la valeur artistique fut alors l’Exposition nationale8 ayant pour juges un comité d’artistes. Deux ou trois ans après ce premier achat, il ouvre la galerie dont l’objectif conserve les motivations du premier pas. Sa destination est d’offrir à la clientèle « des œuvres de qualité à des prix raisonnables » (ibid.), démarche liée au contexte de crise économique concomitante à l’ouverture. Il commence, au moment de l’enquête, à exposer des artistes de cote plus élevée. 6 La visite des expositions nationales et universitaires (notamment celles des jeunes diplômés) mais aussi des autres galeries apparaît dans la majorité des entretiens comme un moyen de se lancer dans le métier, d’acquérir les connaissances nécessaires sur les valeurs artistiques disponibles, sur les artistes et les autres acteurs du monde de l’art : « avant d’ouvrir la galerie, je suis allée à toutes les expositions à Bangkok et à l’étranger aussi » (Ek-Anong Phanachet, propriétaire, 100 Tonson Gallery, Bangkok, 5 mars 2005). Après quelque temps d’exercice, les galeristes ne ressentent plus le besoin d’assister à l’ensemble des vernissages : « j’allais beaucoup dans les vernissages, mais plus maintenant ; c’est généralement mon manager qui y va, c’est surtout bon pour lui, moins pour la galerie »(Delia Oakins, propriétaire, Carpediem Gallery, Bangkok, 25 janvier 2005). Par la suite, c’est par l’intermédiaire des artistes travaillant déjà avec le galeriste que celui-ci en rencontre de nouveaux susceptibles d’intégrer la galerie. Deuxième forme de compensation 7 Un autre moyen de compensation peut être utilisé afin de pallier le manque de formation. Le galeriste peut recruter un jeune manager déjà inscrit dans le paysage artistique contemporain thaïlandais et/ou faire appel à des commissaires indépendants ou à des critiques d’art. Il peut ainsi accéder directement aux artistes et à une connaissance de l’actualité9. Un exemple est particulièrement explicite : la propriétaire de la galerie100 Tonson, ouverte en 2003, a utilisé deux modes d’acquisition d’un capital artistique. D’une part, elle a recruté une jeune manager ayant déjà exercé dans une autre galerie et formée dans un programme de management culturel, d’autre part, elle a collaboré avec deux commissaires d’exposition. À cette mobilisation d’acteurs du monde de l’art contemporain, elle a associé la réouverture d’un lieu qui avait été précédemment un espace fort du monde de l’art thaïlandais, fermé en raison de la crise économique (la galerie Kyoko Chirathivat) : « le propriétaire précédent […] avait amené ici des artistes américains comme Francesco Clemente, Michael Barchelo, Julian Schnabel et, à ce moment-là, ce n’étaient pas des artistes que l’on voyait en Asie. Cet espace est donc une sorte de légende pour le cercle de l’art en Thaïlande et en Asie » (Ek-Anong Phanachet, ibid.). L’histoire du lieu et l’implication d’acteurs reconnus par la scène contemporaine ont permis à la galerie d’acquérir en moins de deux ans une place de choix au sein du paysage artistique de Bangkok. 8 Un exemple intermédiaire entre ces deux modèles peut être donné. Numthong Tang n’a pas de formation universitaire dans le domaine artistique, mais ne peut être qualifié d’autodidacte puisqu’il a travaillé durant six années au uploads/s3/ les-galeristes-thailandais-et-l-x27-art-contemporain.pdf

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