L’exécution des décisions de la justice administrative. Mourad AIT SAKEL. Juge

L’exécution des décisions de la justice administrative. Mourad AIT SAKEL. Juge au tribunal administratif de Rabat. Spécialiste du contentieux des marchés publics. Introduction : Le principe de la légalité, caractéristique majeur de l’Etat de droit, implique que l’administration doit, non seulement se conformer à l’objectif de l’intérêt général, mais aussi et surtout respecter le corpus normatif établi pour encadrer son action. Dans ce cadre, les décisions de la justice sont considérées comme un élément constitutif de ce corpus normatif surtout en matière de droit administratif qui est par nature un droit prétorien. Dans ces sillages, la jurisprudentialisation sans cesse croissante du droit administratif marocain ne peut que rejaillir sur la structuration ainsi que sur l’articulation du système de contrôle juridictionnel de l’administration1 qui puise sa logique fonctionnelle dans le modèle français construit sur les fondements d’un lourd legs de l’histoire et façonné sur les séquelles du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, un principe qui a eu pour effet majeur de soustraire l’administration au prisme du juge ordinaire et à l’application des règles de droit civil2. Or, pour cerner les ramifications du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, dans le cadre du droit marocain, il faut remonter dans l’histoire pour mettre en exergue l’article 8 du Dahir sur l’organisation judiciaire du 12 août 19133 qui a consacré le principe, reproduit par la suite par l’article 25 du Code de procédure civile, de l’interdiction faite aux tribunaux 1 V. - Rivero (J.), « Le juge administratif français : un juge qui gouverne ? », D. 1951, chron. P.23. - Groshens (J.-C), « Réflexion sur la dualité de juridictions », AJDA, 1963, p.526. - Debbasch (Ch.), « Déclin du contentieux administratif », D. 1967, chron. P.95. - Weil (P.), « Le conseil d’Etat statuant en contentieux : politique jurisprudentielle ou jurisprudence politique ? », Ann. Fac. Dr. Aix-en-Provence, 1959-281. - Prétot (X.), « Réflexion sur la juridiction administrative », D. 1986, chron. P.271. -Bazex (M.), « L’implosion du dualisme de juridiction », Rev. Pouvoir, 1988, n°4, p.35. - Le juge administratif français à l’aube du XXIe siècle, collectif, PUG, 1995. 2 Loschak (D.), La justice administrative, Montchrestien, Paris, 1994. 3 Cet article charnière de l’histoire juridictionnelle marocaine donne aux tribunaux compétence de connaître « de toutes les instances tendant à faire déclarer débitrices les administrations publiques » toute en leur interdisant, en même temps, d’ordonner toute mesure dont l’effet serait d’entraver l’action des administrations publiques ainsi que de connaître de toute demande tendant à faire annuler un acte d’une administration publique. 1 judiciaires d’entraver l’action administrative. Mais ce n’est qu’en 1957, avec la création de la Cour suprême, que la justice administrative marocaine a conquis de nouvelles ères avec l’instauration d’une matière administrative par le truchement de la transposition des principes de l’arrêt Blanco4 rendu par le Tribunal des conflits le 8 février 1873, la juridictionnalisation du recours pour excès de pouvoir et la consécration de l’unité juridictionnelle. Avec l’avènement des tribunaux administratifs, institué par la loi 41-90 et la mise en place des cours d’appel administratives5 par la loi 80-03, le système du contentieux administratif a subi des bouleversements profonds à tel point qu’il a commencé à changer même de visage avec la disparition de l’un de ses traits caractéristiques, celui de l’unité juridictionnelle. Certes, l’ambition des instigateurs du mouvement de la réforme de la justice administrative était à la fois d’introduire une profonde mutation dans la nature des rapports entre les pouvoirs publics et le citoyen et d’inscrire ce mouvement dans la continuité. Toutefois, l’efficacité opérationnelle de cette réforme se prête à caution vue la multiplication des questions qui se pose à ce niveau : La première question a trait à l’existence même d’une juridiction administrative, est elle à l’heure actuelle un élément favorisant la confection, l’application et le développement d’une règle juridique contraignante pour l’administration ? L’effroyable complexité des règles de compétence et de procédure ne peut que conclure au fiasco prématuré d’un ordre juridique en voie de dualisation. La seconde question porte sur l’efficacité du système de protection de l’administré orchestré par la justice administrative. Une fine analyse du carcan institutionnel, normatif et procédural existant nous permet d’affirmer que le citoyen est toujours livré à l’administration sans réelle protection juridictionnelle, et lorsqu’il l’invoque, la censure reste confiner dans un cadre théorique et surtout onéreux. Le point culminant de cette situation est constitué par l’inexécution des décisions rendues par le juge administratif6. Ainsi, on ne peut que s’interroger, 4 T.C. 8 févr. 1873, Blanco, Rec. 1er supplt 61, concl. David 5V. - Feuer (G.), Contribution à une théorie de l’appel dans la procédure contentieuse administrative : RD publ. 1958, p.19. - Gjidara (M.), La fonction administrative contentieuse, thèse, Paris, LGDJ, 1972. - Letourneur (M.), L’effet dévolutif de l’appel et l’évocation dans le contentieux administratif », EDCE, 1958, p.59. - Le foyer (Y.), Les effets de l’appel, Thèse Lyon, 1974. - Rozos (N.), L’appel devant le Conseil d’Etat, Thèse, Aix-en-Provence. 6 V. 2 en toute légitimité, sur « la valeur réelle d’une décision juridictionnelle si son application n’est pas garantie, sur la crédibilité même de la justice administrative si au bout d’un certain temps, la décision dotée de l’autorité de la chose jugée est ignorée par une administration convaincue de son invincibilité »7. Or, présenté comme la plate forme charnière du respect de la chose jugée, le dispositif normatif et procédural d’exécution des décisions juridictionnelles fait l’objet d’un lacis de critiques quasi unanimes quant aux conditions de sa mise en mouvance. Faut il ainsi en conclure que le législateur s’est trompé dans la conception et l’orchestration d’un mécanisme qui se voulait être un séisme radical dans le processus de structuration des rapports qu’entretiennent l’administration avec l’administré ? Ses instigateurs ont-ils, tout simplement, sous estimés les embûches de toute nature qui ébranlent, aujourd’hui, gravement son exercice ? Douze ans de fonctionnement des tribunaux administratifs offre, certainement à l’aube de la création des Cours d’appel administratives, un recul expérientiel suffisant pour constituer une vision plus lucide sur ce volet décisif qui conditionne l’efficacité de la justice administrative. Cette justice est elle aussi novatrice, aussi consecratrice du respect des droits et des libertés qu’en a pu le penser, le rêver et le présenter dans la période du grand enthousiasme de la réforme du début des années quatre vingt dix. Pendant longtemps, la seule solution qui s’offrait au justiciable consistait à intenter une nouvelle action en justice tendant à faire annuler le refus d’exécution ou à mettre en jeu la responsabilité de l’administration si un préjudice en était résulté. Mais, même, à ce niveau, on conçoit facilement les difficultés que le juge peut rencontrer et la déception que l’administré peut sentir lorsque l’administration continue à rechigner à exécuter la décision juridictionnelle. Une telle situation n’est, certes, pas admissible parce que, - Fayolle, La force exécutoire des décisions de justice vis-à-vis des administrations publiques, Thèse Nancy, 1926. - Boulard, Le respect par l’administration active des décisions du Conseil d’Etat, Thèse, Paris, 1932. - Laurent, L’indépendance de l’administration et les décisions du Conseil d’Etat, Thèse Aix, 1941. - Josse, L’exécution forcée des décisions du juge administratif par la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire du service public, EDCE, 1953. 50. - Jaquignon, L’exécution forcée sur les biens des autorités et services publics, AJDA, 1958.1.71. - Autin (J.-L), « Le refus d’ordonnancer une dépense publique », AJDA, mars 1979.3. -Delvolvé (P.), « L’exécution des décisions de justice contre l’administration », EDCE, 1983-1984, n°35. - Favoreu (L.), L’efficacité des décisions de justice en droit public français. Trav. Assoc. H. Capitant, tome XXXVI, 1985, 601. - L’exécution des décisions de la juridiction administrative, Section du rapport et des études du Conseil d’Etat, EDCE, 1987, 193. - Guettier (Ch.), « L’administration et l’exécution des décisions de justice », AJDA, n°spécial, juill. – août 1999,66. 7 Benabdellah (M.-A), « Justice administrative et inexécution des décisions de justice », REMALD, n°25, 1998, p.9 3 d’abord, elle sape les soubassements justificateurs de l’Etat de droit et parce que, ensuite, elle prive de toute portée concrète le contrôle juridictionnel de l’administration8. Dans ces sillages, une jurisprudence administrative qui se veut être progressiste, issue de l’ordre juridictionnel inférieur, a produit l’effort nécessaire pour changer cette situation on proposant des moyens coercitifs à même à assurer l’exécution de leurs décisions. Toutefois, la chambre administrative, dans sa fonction régulatrice, jugée, parfois, très conservatrice, n’a pas hésité, souvent, à tuer dans l’œuf toute velléité réformatrice. Suite à cette situation, on peut se demander si la conception initiale du législateur relative au système d’exécution des décisions du juge administratif ne réitère par l’esprit d’une confiance excessive, par sa référence quasi exclusive à la régulation juridictionnelle des rapports conflictuels qu’entretiennent l’administration avec l’administré. Ce type de régulation implique, en effet, « une stabilité, une pertinence, une perfection de la règle juridique qui sont un mythe et dont l’ensemble des observateurs s’accordent à reconnaître qu’elles n’en sont pas la caractéristique principale »9. Dans cette optique, le glissement fonctionnel du mécanisme d’exécution des décisions de uploads/S4/ 02-2-recherche.pdf

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  • Publié le Nov 02, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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