À chacun son métier: l’actio finium regundorum entre pouvoirs et territoires «

À chacun son métier: l’actio finium regundorum entre pouvoirs et territoires « a-juridiques » . Cinzia Piciocchi, assistant professor en Droit constitutionnel comparé, Université de Trento, Italie, Faculté de droit 1. Introduction. Chez les Romains, les bornes revêtaient un caractère sacré et un Dieu, Terminus, veillait sur eux. Les individus qui se disputaient au sujet des limites de leurs terrains pouvaient obtenir justice avec l’actio finium regundorum. Aujourd’hui, dans certaines occasions, le pouvoir judiciaire – notamment les Cours constitutionnelles – a une incidence sur le principe de la division des pouvoirs, avec quelque chose de pareil à cette actio, en définissant les territoires sur lesquels les parlements ne peuvent pas pénétrer, parce qu’ils sont réglés par leur propres normes… «a-juridiques». La jurisprudence comparée – en particulier, mais pas seulement, constitutionnelle – offre différents exemples. Il y a le territoire de la science, qui est défini par des règles internationales uniformes et partagées et qui demandent un niveau de spécialisation très élevé. Dans le champ de la santé publique, la science est un critère pour la répartition rationnelle des ressources ; la politique, de son côté, détermine les pratiques scientifiques qui peuvent (ou ne peuvent pas) être employés. Ces choix caractérisent de façon très différent les divers Pays, en particulier pour ce qui concerne les pratiques les plus controversées (par exemple : les OGM ou la procréation médicalement assistée). Les pratiques qui entrent dans les systèmes sanitaires, toutefois, deviennent territoire de la science. À plusieurs reprises le cours sont intervenues pour affirmer ce principe, en déclarant inconstitutionnelle les lois qui ne le respectaient pas et en refusant de déclarer l’inconstitutionnalité des lois qui le respectaient. La motivation est simple: le législateur n’est pas un scientifique. Mais la science est toujours une limite à ne pas dépasser? Il n’y a pas seulement le territoire des « sciences dures » : l’histoire aussi est une science, avec son propre méthodologie et autonomie scientifique qui peut se heurter à la définition législative des évènements historiques. C’est typiquement le cas du négationnisme, qui peut être interdit par la loi mais, selon quelques Cours constitutionnelles, avec un bornage extérieur, qui ne peut pas pénétrer dans le territoire qui appartient aux historiens. La motivation est simple: le législateur n’est pas un historien. Mais l’histoire est toujours une limite à ne pas dépasser? Il y a aussi le territoire de la religion qui, dans certains cas, peut être contourné par la loi, qui protège certaines pratiques mais, en cas de disputes internes aux groupes religieux, doit faire un pas en arrière. Par exemple, la loi peut protéger les consommateurs des aliments kosher ou halal, en prévenant les fraudes, ou le droit de s'habiller en accord à son propre pratique religieuse, ou la liberté de s’associer à un groupe religieux. Mais si les critères religieux font l’objet d’une dispute interne, qui doit définir une viande rituellement correct, la taille et le port d’un voile islamique ou les normes de comportement qu’il faut respecter pour être membre d’un groupe religieux? La loi peut définir l’orthodoxie d’un groupe ? Dans quelques cas les cours ont donné une réponse négative. La motivation est simple: le législateur n’est pas un Rabbi ou un Imam. Mais la religion est toujours une limite à ne pas dépasser? C’est une action en bornage des territoires, une sorte d’« actio finium regundorum», qui limite le pouvoir législatif – démocratique et représentatif – en définissant des territoires qui lui sont interdites, en faveur de règles qui seront interprétés par le pouvoir judiciaire et que, bien différentes les unes des autres, ont un trait en commun : ils ne sont pas issues de la démocratie représentative. Quelle incidence peut avoir ce phénomène sur la séparation des pouvoirs ? Est-ce qu’on peut parler de nouveaux pouvoirs, qui ne répondent pas aux règles de la démocratie représentative mais qui ont – tout à fait – une place dans le cadre des pouvoirs de l'État? Le principe de la séparation des pouvoirs dans sa formulation originaire a subi de nombreux changements; par conséquent, on a essayé de comprendre les motivations de ce principe plutôt que ses mécanismes de fonctionnement. Dans cette perspective, il est paru nécessaire d’adapter ce principe à d’autres domaines, comme celui des instruments de protection de l’opposition parlementaire, ou de la séparation entre l’État et la religion, ou entre l’État et le pouvoir militaire. L’action en bornage en faveur des compétences (scientifiques ou religieuses), toutefois, représente un phénomène compliqué, pleinement inscrit dans la complexité des sociétés contemporaines, mais quelle interprétation fournir du point de vue constitutionnel? Après avoir donné une vue panoramique sur l’action progressive en bornage des territoires qui ont été interdits aux parlements, cette communication va analyser les parcours argumentatifs suivis par les cours, en particulier constitutionnels, pour vérifier s’il est possible de donner des clés de lecture communes. Le principal objectif de cette intervention est de donner une réponse à la question : si l’élaboration du principe de séparation des pouvoirs était vue comme une garantie, ou sont le garanties constitutionnelles dans ces territoires inconnus ? 2. Le territoire de la science. À plusieurs occasions, les faits relèvent juridiquement. Il y a les faits qui ont à faire avec les sentiments (l’honneur, par exemple, ou l’affection pour les animaux) et qui, parfois, peuvent être indemnisés s’ils sont endommages. Il y a les faits religieux, qui sont fondé sur une tradition partagée par des groupes et qui, quelquefois, ont valeur juridique, par exemple quand on doit définir qui peut bénéficier des droits garantis aux minorités religieuses. Il y a les faits de la science qui, quelques fois, contribuent à définir le contenu des actes normatif, en pénétrant dans le domaine du droit. En certaines occasions, qui ne sont pas les plus fréquentes, c’est la perception humaine des faites scientifiques qui leur donne une relevance juridique. Dans ce cas le même fait scientifique peut être diversement interprété par rapport aux différentes sensibilités culturelles et morales qui sont en jeu. C’est le cas, par exemple, des sujets les plus éthiquement sensibles, comme la définition juridique de la morte, qui peut être déclarée selon des critères différents, notamment cardio-respiratoires ou cérébraux. La science peut nous dire quand la respiration ou le battre du cœur s’arrêtent, mais c’est ne pas la science qui va définir le moment de la fin de la vie d’un point de vue éthique, car chacun donne une définition différente. Quelque fois, les normes juridiques reflètent cette pluralité, en donnant des définitions « plurielles » de la morte: c’est notamment le cas de la loi de l’État américain du New Jersey, qui prévoit la possibilité de déclarer la morte d’un individu par rapport au critère cardio-respiratoire et pas cérébraux, si ces derniers soient contraires à son credo religieux (New Jersey Declaration of Death Act, 19911). Du côté du début de la vie, une décision du Tribunal administratif de Rome en Italie, nous offre un exemple de pluralisme juridique, par rapport au même fait scientifique. La décision, au sujet de la « pilule du lendemain », se prononçait sur la plainte d’un mouvement pro-vie, qui demandait de déclarer la nature abortive (et pas contraceptive) de ce médicament. Le tribunal rejetait le recours, mais prévoyait l’indication sur la notice que la pilule peut empêcher la nidation de l’ovule fécondé2. De cette façon, c’est la femme – chaque femme – qui choix si l’ingestion de ce médicament heurte ou non sa sensibilité éthique. 1 Voir R.S. Olick, E.A. Braun, J. Potash, Accommodating religious and moral objections to neurological death, in J. Clin. Ethics, 2009, 20, 2, p. 183; C. Casonato, Introduzione al Biodiritto, Torino, 2012, p. 26; New Jersey Law Revision Commission, Final Report Relating to New Jersey Declaration of Death Act, January 18, 2013 (http://www.lawrev.state.nj.us/UDDA/njddaFR011813.pdf ). 2 Voir la décision du Tribunal administratif (Tar Lazio) n. 8465 du 12 octobre 2001. Ces faits scientifiques ont une importance juridique tant qu'ils se réfèrent à la perception humaine, qui peut être différente bien que les faits mêmes ne changent pas. En dehors des questions les plus éthiquement sensibles, toutefois, les faits scientifiques pénètrent dans les normes juridiques, par rapport aux concepts comme «la littérature et les études scientifiques existantes3» ou «nécessité thérapeutique médicalement et scientifiquement justifiée»4, ou «règles de la science et de l’art médicale»5. Ces sont des dispositions qui renvoient aux faits de la science, qui sont élaborées selon leur propre épistémologie et qui se fondent sur une activité de connaissance autonome, fondée sur des compétences spécialisées. Ces formules – qui sont employées par la loi et par les juges – témoignent le respect des limites du territoire de la science, en renvoyant aux concepts qui sont définis par rapport aux compétences technico- scientifiques. Parfois, les Cours veillent sur le respect des bornes du territoire scientifique en arrêtant les lois qui l’envahissent et en confirmant la validité des lois qui le respectent. La jurisprudence constitutionnelle française et italienne offre deux exemples très clairs de cette « attitude respectueuse ». La Cour constitutionnelle italienne a affirmé ce principe à partir d’une uploads/S4/ a-chacun-son-metier.pdf

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  • Publié le Jan 06, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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