DEUXIÈME SECTION AFFAIRE WELSH ET SILVA CANHA c. PORTUGAL (Requête no 16812/11)

DEUXIÈME SECTION AFFAIRE WELSH ET SILVA CANHA c. PORTUGAL (Requête no 16812/11) ARRÊT STRASBOURG 17 septembre 2013 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. ARRÊT WELSH ET SILVA CANHA c. PORTUGAL 1 En l’affaire Welsh et Silva Canha c. Portugal, La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de : Guido Raimondi, président, Peer Lorenzen, Dragoljub Popović, András Sajó, Nebojša Vučinić, Paulo Pinto de Albuquerque, Helen Keller, juges, et de Stanley Naismith, greffier de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 août 2013, Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date : PROCÉDURE 1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16812/11) dirigée contre la République portugaise et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Eduardo Pedro Welsh et Gil da Silva Canha (« les requérants »), ont saisi la Cour le 4 mars 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Les requérants ont été représentés par Me F. Teixeira da Mota, avocat à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Carvalho, procureur général adjoint. 3. Les requérants allèguent que la condamnation pour diffamation, dont ils ont fait l’objet, porte atteinte à leur droit à la liberté d’expression. 4. Le 28 novembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE 5. Les requérants sont nés respectivement en 1967 et 1961 et résident à Funchal (Portugal). A l’époque des faits, ils étaient directeur adjoint et directeur du journal satirique bimensuel Garajau, publié dans la région de Madère. 2 ARRÊT WELSH ET SILVA CANHA c. PORTUGAL A. Le contexte de l’affaire et l’article litigieux 6. Le Garajau avait publié, en 2004, un article concernant le vice- président du Gouvernement de la région de Madère, C.S. L’article concernait l’achat d’un terrain par C.S, la présence de ce dernier en tant que représentant du Gouvernement de la région aux réunions d’une entreprise publique ainsi que sa participation en tant qu’associé à un cabinet d’avocats. L’article précisait que le Garajau avait contacté les services de C.S. pour obtenir sa version des faits mais que ceux-ci n’avaient pas souhaité réagir. Un deuxième article fut publié le 13 janvier 2006 sur le même sujet et faisait état du fait que C.S. avait entre-temps déposé une plainte pénale contre le Garajau, utilisant, à cette fin, les services de l’avocat G.P., lequel aurait été payé par des fonds publics et non pas par C.S. Il y était précisé, une fois de plus, que les personnes citées dans l’article n’avaient pas souhaité s’exprimer. 7. Dans son édition du 23 février 2007, le Garajau publia en couverture la manchette « L’avocat du diable ». Dans le sous-titre, le journal énonça : « La police judiciaire enquête sur le vice-président [C.S.] à propos des « ruses » (maroscas) en vue de l’engagement millionnaire de [G.P.] ». 8. L’article auquel renvoyait la manchette en cause se lisait notamment ainsi : « La police judiciaire (PJ) a très récemment enquêté sur la manière dont les services de consultation juridique prêtés à [C.S.], vice-président du Gouvernement de la région, ont été adjugés. Selon des sources proches de la vice-présidence, la PJ a demandé à ce département tous les documents relatifs aux contrats avec le cabinet d’avocats [de G.P.]. Cette enquête eut lieu suite à la publication d’un reportage du Garajau, le 13 janvier 2006, dans lequel on a dénoncé une « ruse » de la vice- présidence afin de pouvoir intégrer dans le budget des années 2005/2006 les fonds nécessaires au paiement des honoraires « millionnaires » à l’égard de deux procédures judiciaires introduites par [C.S.] contre le Garajau ainsi qu’une autre procédure concernant une dénonciation anonyme adressée au Procureur général de la République. » 9. Suite à une dénonciation anonyme adressée au Procureur général de la République et à laquelle était jointe une copie de l’article du Garajau du 13 janvier 2006, des poursuites furent ouvertes contre X par le parquet de Lisbonne. Des fonctionnaires du Gouvernement de la région de Madère furent entendus. Le 1er février 2007, le procureur chargé de l’affaire rendit une ordonnance de classement sans suite, qui reconnut l’existence d’indices d’éléments objectifs constituant le délit de falsification de documents, sans qu’il fût possible d’établir les éléments subjectifs pertinents. B. La procédure pénale 10. A une date non précisée, C.S. déposa une plainte pénale avec constitution d’assistente (auxiliaire du ministère public) contre les ARRÊT WELSH ET SILVA CANHA c. PORTUGAL 3 requérants devant le parquet de Funchal. Le ministère public accusa par la suite les requérants du chef de diffamation. 11. Par un jugement du 17 mars 2010, le tribunal de Funchal acquitta les requérants. Il considéra que ceux-ci avaient agi en vue d’un intérêt légitime et dans le respect de la déontologie journalistique. L’exceptio veritatis prévue à l’article 180 § 2 du code pénal était dès lors applicable, les requérants ayant exercé leur droit à la liberté d’expression. 12. C.S. fit appel devant la cour d’appel de Lisbonne. Celle-ci, par un arrêt du 13 octobre 2010, annula la décision de première instance et jugea les requérants coupables du chef de diffamation. Pour la cour d’appel, le droit à la liberté d’expression n’était pas absolu et, en l’espèce, le droit à la protection de la réputation de la personne lésée devait primer. La cour d’appel estima à cet égard que les requérants n’avaient pas réussi à prouver la véracité des faits sur lesquels se fondaient leurs accusations, l’exception de l’article 180 § 2 ne pouvant donc pas s’appliquer. La cour d’appel condamna ainsi le premier requérant à la peine de 140 jours-amende au taux journalier de 7 euros (EUR) et le deuxième requérant à celle de 220 jours- amende au taux journalier de 12 EUR. Elle condamna également les requérants au versement de 5 000 EUR à C.S. à titre de dommages et intérêts et au paiement des frais de justice. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT 13. L’article 180 du Code pénal, qui concerne la diffamation, dispose notamment : « 1. Celui qui, s’adressant à des tiers, accuse une autre personne d’un fait, même sous forme de soupçon, ou qui formule, à l’égard de cette personne, une opinion portant atteinte à son honneur et à sa considération, ou qui reproduit une telle accusation ou opinion, sera puni d’une peine d’emprisonnement jusqu’à six mois et d’une peine jusqu’à 240 jours-amende. 2. La conduite n’est pas punissable : a) lorsque l’accusation est formulée en vue d’un intérêt légitime ; et b) si l’auteur prouve la véracité d’une telle accusation ou s’il a des raisons sérieuses de la croire vraie de bonne foi. (...) 4. La bonne foi mentionnée à l’alinéa b) du paragraphe 2 est exclue lorsque l’auteur n’a pas respecté son obligation imposée par les circonstances de l’espèce de s’informer sur la véracité de l’accusation. » 14. Aux termes de l’article 183 § 2 du Code pénal, lorsque l’infraction est commise par l’intermédiaire d’un organe de presse, la peine encourue peut atteindre deux ans d’emprisonnement ou une sanction non inférieure à 120 jours-amende. 4 ARRÊT WELSH ET SILVA CANHA c. PORTUGAL 15. Par ailleurs, l’article 184 du même Code augmente les peines en cause de moitié si la victime est un élu du peuple. EN DROIT I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION 16. Les requérants considèrent que la condamnation pour diffamation, dont ils ont fait l’objet, porte atteinte à leur droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la Convention, qui dispose : « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...) 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...), à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...). » 17. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse considérant que la condamnation était justifiée dans la mesure où elle visait à protéger les droits d’un tiers. A. Sur la recevabilité 18. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que la requête ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable. B. Sur le fond 1. Thèses des parties 19. Les requérants soutiennent que leur condamnation au uploads/S4/ affaire-welsh-et-silva-canha-c-portugal.pdf

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  • Publié le Nov 10, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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