Boris Barraud, « Constitution, décentralisation et unité de l’État – Quelques p
Boris Barraud, « Constitution, décentralisation et unité de l’État – Quelques propositions audacieuses », Revue Générale des Collectivités Territoriales 2014, n° 54, p. 3 s. manuscrit de l’auteur 2 Boris Barraud, « Constitution, décentralisation et unité de l’État » (manuscrit de l’auteur) Alors que l’acte III de la décentralisation est en marche1, il est tentant de se demander s’il existe un stade à partir duquel la liberté de gestion accordée aux entités territoriales – associée à une approche réaliste plus que normativiste – oblige à considérer l’État non plus comme constitutionnellement unitaire mais davantage comme « semi-fédéral de fait ». L’article premier de la Constitution règle juridiquement la question en proclamant que la France est une République « indivisible » et dont l’organisation est « décentralisée ». Néanmoins, s’il est souvent commode – et justifié – de s’attacher aux textes et de ne pas pousser la réflexion plus avant, qui se détache de la lettre et accède à l’esprit et à la pratique d’une Constitution trouvera peut-être, entre les lignes, des enseignements nouveaux et non négligeables, quand bien même ils dépassent le « pur droit ». Un État unitaire, même très fortement décentralisé, ne peut devenir fédéral, car la source du pouvoir des collectivités réside inexorablement en l’État central. Aussi, si la présente étude se donne des allures révolutionnaires afin de mener le lecteur à la réflexion, la réalité – du point de vue du droit – est évidemment que la France est constitutionnellement un État unitaire-décentralisé qui n’empruntera jamais la route du fédéralisme. Évoquer un « semi-fédéralisme de fait », ce n’est surtout pas soutenir l’existence du fédéralisme ; mais c’est une image forte pour attirer le regard sur des changements qui, s’ils débordent du droit, y trouvent leur origine. Le fait compte moins que le droit ; mais sans le fait, le droit disparaîtrait. Il ne doit donc en aucun cas l’ignorer et éviter de par trop s’en éloigner. Éprouvé par la complexité du XXIe siècle, par une société mouvante, par des besoins croissants des populations et par l’engorgement des politiques au niveau central, l’État a reconnu la possibilité aux collectivités de se gérer selon leurs intérêts locaux et leur a délégué progressivement des missions de plus en plus cardinales. À terme, peut-être l’État n’exercera-t-il plus que les seules missions régaliennes. En attendant, la distinction traditionnelle qu’opère la doctrine entre État unitaire et État fédéral repose sur des critères dogmatiques que la réalité emporte de plus en plus vers l’obsolescence. L’État unitaire se définit traditionnellement par une double unité : l’unité d’autorité juridique et l’unité de pouvoir politique, cela du point de vue du territoire et du point de vue de la population. Le pouvoir central possède toutes les compétences et n’en délègue aucune ; il n’est concurrencé à aucun niveau. À l’inverse, l’État fédéral se superpose aux ordres juridiques des entités fédérées, lesquelles, en vertu du principe d’autonomie, disposent de leurs propres parlements, exécutifs et, surtout, Constitutions. Aussi, l’État fédéral n’existant que par la volonté commune des entités fédérées, leur participation à la prise de décision politique est assurée même au niveau central, par un Parlement bicaméral. L’une des chambres représente la population dans son ensemble (la Chambre des représentants 1 Lors de son discours du 5 octobre 2012 tenu devant les États généraux de la démocratie territoriale, le Président de la République annonçait que l’acte III de la décentralisation, qu’il avait promis dans son discours d’investiture, au printemps 2012, verra le jour au début de l’année 2013. Il visera notamment à transférer de nouvelles compétences aux collectivités locales, à favoriser leur indépendance et à clarifier leurs missions. 3 Boris Barraud, « Constitution, décentralisation et unité de l’État » (manuscrit de l’auteur) américaine ou le Bundestag allemand), l’autre chambre représente les entités fédérées (le Sénat américain ou le Bundesrat allemand). Depuis le décret du 25 septembre 1792 de la Convention, déclarant que « la République française est une et indivisible », et en raison de l’empreinte laissée par le jacobinisme, la France est longtemps demeurée l’archétype de l’État unitaire. Mais, dans les années 1980, un important mouvement de décentralisation s’est enclenché afin de permettre aux collectivités d’accéder à une autonomie permettant l’adaptation des règles aux particularismes des territoires ; tandis que la Constitution de 1958 ne mentionne pas expressément le caractère unitaire de l’État. Alors qu’un acte III de la décentralisation est à l’ordre du jour, ce principe historique est plus que jamais discuté par la postmodernité des faits. Ajoutés audit « acte III » la reconnaissance de statuts particuliers, le droit à l’expérimentation et le référendum décisionnel local, les indices de l’effritement de l’unité sont chaque jour plus probants. Partant, bien que le texte de 1958 consacre juridiquement un État unitaire (I), les réformes engagées en matière de décentralisation participent – peut-être – d’un processus de formation progressive mais forcément implicite d’un « semi- fédéralisme de fait » (II). I. — La lettre de la Constitution : une République indivisible mais décentralisée La Constitution du 4 octobre 1958 évoque une République « indivisible », mais elle fait l’impasse sur le terme « unitaire » (A). Or il est des silences qui, parfois, en disent davantage que de longues tirades. Ce vide constitutionnel a ouvert la voie au phénomène atypique – et assez franco-français – de la décentralisation, lequel fait sans doute plus que simplement aménager l’unité étatique (B). A. — L’indivisibilité de la République, un ersatz d’unité étatique Consacré par la Convention en septembre 1792, en même temps qu’elle abolissait la monarchie, le principe d’unité de la République est symbole d’aspirations égalitaires séculaires, de libertés gagnées au terme de luttes sanglantes. Aussi peut-il se targuer d’un engouement certain parmi les citoyens ; ce qui constitue un premier obstacle de poids à un éventuel – et utopique – fédéralisme qui ne connaît nul antécédent historique en France. Cependant, la formulation « la République est une et indivisible », reprise par les Constitutions républicaines du XIXe siècle, ne figure plus dans la Constitution depuis 1946. Et, dans le texte de 1958, seule l’indivisibilité est affirmée. Cette omission – forcément consciente – peut être interprétée comme un assouplissement du caractère unitaire de l’État, si ce n’est comme un appel à l’avènement futur d’un nouveau modèle. De plus, l’article 1er de la Constitution n’énonce pas que la France est indivisible, mais que la République, soit le régime politique, l’est. L’idée fédérale pourrait donc atteindre la 4 Boris Barraud, « Constitution, décentralisation et unité de l’État » (manuscrit de l’auteur) France en tant qu’État, mais pas son régime politique. Seulement un État, personne morale de droit public, peut difficilement être dissocié de son régime politique et sans doute le constituant a-t-il présumé qu’en France, désormais, État et République ne font plus qu’un. En tout cas, l’usage du terme négatif « indivisible » est symboliquement de moins de poids que celui d’ « unité ». Constitution et jurisprudence constitutionnelles consacrent néanmoins beaucoup des caractères classiques de l’État unitaire. Spécialement, l’État est le seul à disposer du pouvoir législatif, tandis que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentant ou par la voie du référendum » et « aucune section du peuple […] ne peut s’en attribuer l’exercice » (article 3 de la Constitution). L’indivisibilité a pu, par exemple, justifier l’inconstitutionnalité de la Charte des langues régionales ou minoritaires1. Le Conseil constitutionnel a estimé que la conclusion de ladite Charte aurait emporté une distinction entre différentes populations au sein de l’État. Également, dans une décision célèbre, le Conseil s’est opposé à la reconnaissance d’un « peuple corse »2. Quant à l’indivisibilité du territoire, elle trouve sa pleine concrétisation dans l’application uniforme, sur tout le territoire, des mêmes lois, Constitution et impôts. Si la France est découpée en différentes entités locales, chaque catégorie de collectivité territoriale bénéficie des mêmes droits et est soumise aux mêmes obligations. Le corollaire premier de l’indivisibilité – ou unité – est donc le principe d’égalité. Au fil du temps, beaucoup de ces caractéristiques propres à l’unité étatique se sont trouvées perverties. Ainsi les citoyens français se sont-ils vus octroyer un droit d’initiative, la Constitution reconnaît-elle à son article 75 que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France, certains territoires bénéficient-ils d’exonérations d’impôts et peuvent-ils recourir au référendum d’initiative locale. Surtout, nonobstant des théories constitutionnelles ancestrales qui expliquent pourquoi il ne peut y avoir d’État décentralisé qu’à condition qu’il y ait un État unitaire, l’indivisibilité ou unité ne peut que se voir tempérée par le processus de décentralisation. B. — La décentralisation, un aménagement de l’unité étatique Le territoire de la France est certainement trop vaste pour fonctionner uniquement autour d’un système hyper-centralisé ; cela supposerait une administration tentaculaire, une lourdeur administrative et financière et une réactivité et adaptabilité des politiques négligées. Aussi l’État a-t-il imposé des relais territoriaux à son pouvoir, lesquels prennent la forme la déconcentration. Il a surtout délégué un certain nombre de ses compétences aux collectivités territoriales, 1 Déc. n° 99-412 DC du 15 juin 1999, Charte européenne des langues uploads/S4/ constitution-decentralisation-et-unite.pdf
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- Publié le Sep 21, 2022
- Catégorie Law / Droit
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