Les tuiles Girih : de l’art islamique aux fractions France Caron, Universit´ e

Les tuiles Girih : de l’art islamique aux fractions France Caron, Universit´ e de Montr´ eal R´ esum´ e Cet article pr´ esente une activit´ e math´ ematique pour des ´ el` eves du 3e cycle du primaire, qui tire parti d’une d´ ecouverte r´ ecente sur l’art islamique et permet de lier certains apprentissages en arithm´ etique et en g´ eom´ etrie. En proposant de mettre momentan´ ement de cˆ ot´ e les instruments de mesure et en optant plutˆ ot pour l’alternance de phases d’exploration, de cr´ eation, d’obser- vation, d’inf´ erence et de d´ eduction, l’activit´ e s’inscrit dans le d´ eveloppement du raisonnement math´ ematique. Dans la conception d’activit´ es d’apprentissage en math´ ematiques pour les ´ el` eves du primaire, il est toujours int´ eressant de trouver des situations authentiques o` u les math´ ematiques ont apport´ e, ou apportent encore, un ´ eclairage particulier. Lorsque ces situations sont abordables par des ´ el` eves du primaire ou peuvent ˆ etre adapt´ ees en ce sens, il y a l` a une nouvelle occasion de faire appr´ ecier le sens et la puissance des math´ ematiques pour mieux comprendre le monde qui nous entoure. En 2007, un jeune physicien am´ ericain r´ eussissait ` a ´ elucider un des myst` eres de l’art islamique en montrant que la vari´ et´ e et la complexit´ e apparente de certains motifs d´ ecoratifs (appel´ es Girih) pouvaient en fait ˆ etre ramen´ ees aux diff´ erents dallages1 permis par cinq polygones tr` es simples. La publication de cette d´ ecouverte, qui pourrait t´ emoigner d’une connaissance des pavages non p´ eriodiques plus de cinq cents ans avant leur ´ etude en occident, a suscit´ e un vif int´ erˆ et m´ ediatique qui s’est manifest´ e ` a travers le monde dans diff´ erents quotidiens, magazines, chaˆ ınes de radio et t´ el´ evision : The New York Times, Iran Daily, BBC, Radio-Canada, Discover, etc. En examinant les possibilit´ es de transposition de cette jolie d´ ecouverte en activit´ e d’apprentissage pour des ´ el` eves du primaire, nous y avons vu l’occasion de retravailler la notion d’angle et d’´ etablir, ` a travers l’exploration de dallages, des ponts avec l’apprentissage des fractions. C’est donc une activit´ e d’apprentissage orient´ ee en ce sens que nous pr´ esentons, apr` es avoir expos´ e bri` evement l’int´ erˆ et de mettre temporairement de cˆ ot´ e le degr´ e comme unit´ e de mesure des angles. L’angle comme partie d’un tout L’usage conduit souvent ` a d´ efinir l’angle droit comme un angle de 90 ˚ . Cela n’est ´ evidemment pas faux, mais il s’agit davantage d’une propri´ et´ e qui d´ ecoule ` a la fois du choix du degr´ e comme 1Aussi appel´ es pavages c ⃝Association math´ ematique du Qu´ ebec Bulletin AMQ, Vol. XLIX, no 1, mars 2009 – 30 unit´ e et d’une caract´ eristique plus fondamentale de l’angle droit, qui en constitue davantage l’es- sence : lorsque, dans un mˆ eme plan, deux droites se coupent en d´ efinissant quatre angles congrus, chacun de ces angles constitue un angle droit. Ainsi, si l’on associe l’angle plein ` a une rotation d’un tour complet autour d’un point, l’angle droit peut ˆ etre associ´ e ` a une rotation d’un quart de tour et donc ˆ etre vu comme le quart de l’angle plein ; de mˆ eme, l’angle plat (de 180 ˚ ) vaut la moiti´ e d’un angle plein et correspond ` a une rotation d’un demi-tour. Et le degr´ e n’est rien d’autre que la mesure d’un angle qui correspond ` a 1/360 de tour et donc ` a 1/360 de l’angle plein. Le choix du degr´ e comme unit´ e conventionnelle de mesure des angles permet dans bien des cas de travailler uniquement en nombres entiers, en raison notamment des nombreux facteurs du nombre 360 et du degr´ e de pr´ ecision que permet un tel nombre de divisions de l’angle plein.2 En contrepartie, le choix de l’angle plein comme unit´ e naturelle de mesure des angles se r´ ev` ele tr` es int´ eressant pour travailler conjointement angles et fractions, et pour introduire plus tard au diagramme circulaire en statistique sans avoir ` a recourir explicitement aux proportions. En fait, 2Ce choix renvoie au syst` eme sexag´ esimal de num´ eration des Babyloniens dont on trouve aussi des traces dans le choix des unit´ es pour marquer le temps (heures, minutes, secondes). Rappelons d’ailleurs que lorsque l’emploi des degr´ es ne suffit pas ` a la pr´ ecision vis´ ee, chacune des 360 divisions de l’angle plein associ´ ees aux degr´ es peut ˆ etre divis´ ee en 60 minutes et que chacune de ces minutes peut elle-mˆ eme ˆ etre divis´ ee en 60 secondes. Bulletin AMQ, Vol. XLIX, no 1, mars 2009 – 31 avec pareille unit´ e, on peut envisager la mesure d’un angle dans le plan comme la portion (entre 0 et 1), d´ elimit´ ee par les demi-droites associ´ ees ` a l’angle, de l’aire d’un disque centr´ e au sommet de cet angle. Les dallages constituent un contexte particuli` erement int´ eressant pour ´ etudier l’angle comme frac- tion de l’angle plein et pour travailler par cons´ equent les op´ erations sur les fractions. En effet, la visualisation d’un disque autour d’un sommet d’un polygone d’un dallage conduit ` a examiner la mesure des diff´ erents angles qui s’y rencontrent comme des nombres dont la somme donne 1, comme des parties d’un tout, qu’on peut exprimer, lorsque les angles s’y prˆ etent, sous forme de fractions de l’angle plein. Cela permet mˆ eme d’inf´ erer certaines propri´ et´ es g´ eom´ etriques et arithm´ etiques. Ainsi, de l’observation de dallages obtenus par translation et rotation d’un mˆ eme polygone, on peut par exemple inf´ erer (sans pour autant le d´ emontrer formellement) que : ■ La somme des angles d’un triangle quelconque vaut la moiti´ e d’un angle plein. ■ La somme des angles int´ erieurs d’un quadrilat` ere quelconque vaut un angle plein. Bulletin AMQ, Vol. XLIX, no 1, mars 2009 – 32 ■ Chacun des angles int´ erieurs d’un triangle ´ equilat´ eral vaut le sixi` eme d’un angle plein, alors que chacun de ceux d’un hexagone r´ egulier en vaut le tiers. Munis de ces quelques rep` eres pour aborder l’´ etude des angles, nous nous tournons ` a pr´ esent vers les motifs Girih. Le myst` ere r´ ev´ el´ e des motifs Girih L’art islamique est r´ eput´ e pour la richesse et la complexit´ e de ses motifs g´ eom´ etriques. Les motifs Girih, qui se pr´ esentent comme un entrecroisement de droites qui se brisent en d’innombrables zigzags, suscitent depuis des si` ecles une r´ eelle fascination. c ⃝Science. Lu & Steinhardt (2007) Bulletin AMQ, Vol. XLIX, no 1, mars 2009 – 33 Jusqu’` a tout r´ ecemment, un v´ eritable myst` ere planait autour de ces motifs qu’on retrouve de la Tur- quie ` a l’Afghanistan dans des ´ el´ ements de l’architecture islamique m´ edi´ evale : comment les artisans de l’´ epoque avaient-ils fait pour r´ ealiser de tels ouvrages en ´ evitant toute distorsion g´ eom´ etrique ? Malgr´ e la complexit´ e et la taille du motif qui auraient dˆ u donner lieu ` a des d´ ecalages en travaillant avec une r` egle et un compas, l’alignement paraissait parfait. Le voile a pu ˆ etre lev´ e sur ce myst` ere grˆ ace au regard de Peter J. Lu, alors ´ etudiant au doctorat en physique ` a l’Universit´ e Harvard et passionn´ e de g´ eologie et d’histoire de l’art. Il a pu montrer que ces nombreux motifs riches et vari´ es ne s’appuyaient en fait que sur la combinaison de cinq polygones de base d´ ecor´ es de quelques lignes. Ces cinq polygones permettent de cr´ eer une grande vari´ et´ e de dallages et d’assurer aux lignes qui les d´ ecorent de s’aligner tout naturellement. Ce sont ces lignes que l’on voit se croiser et non les cˆ ot´ es des polygones ; ces derniers disparaissent pour ne laisser voir que les lignes d´ ecor´ ees, tout comme on oublie le contour des pi` eces individuelles d’un casse-tˆ ete lorsqu’on arrive ` a reconstituer l’image. Cette d´ ecouverte conduit ` a croire aujourd’hui qu’` a partir du 13e si` ecle, l’alignement parfait des mo- tifs Girih reposait en fait sur l’utilisation par les artisans de tuiles con¸ cues par des math´ ematiciens et bas´ ees sur ces cinq polygones, qu’on appelle aujourd’hui tuiles Girih. Certains dallages non p´ eriodiques r´ ealis´ es au 15e si` ecle avec ces tuiles, o` u un mˆ eme motif ne se r´ ep` ete jamais, semblent t´ emoigner de connaissances math´ ematiques particuli` erement avanc´ ees pour l’´ epoque. Les cinq tuiles Girih sont repr´ esent´ ees ci-dessous : Cet uploads/S4/ article-caron.pdf

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  • Publié le Dec 16, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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