VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.FR - 22/11/2020 20:23 | UNIVERSITE PARIS II

VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.FR - 22/11/2020 20:23 | UNIVERSITE PARIS II ​Au nom de quoi ? Au nom de qui ? Réflexions sur la légitimité de la justice transitionnelle Issu de Revue du droit public - n°4 - page 985 Date de parution : 01/07/2018 Id : RDP2018-4-004 Réf : RDP 2018, p. 985 Auteur : Par Luis-Miguel Gutiérrez Ramírez, Enseignant contractuel en droit public Université Grenoble-Alpes Le traitement juridique des crimes commis pendant une dictature ou à l’occasion d’un conflit armé est un sujet extrêmement difficile au sein de sociétés anéanties par des années de violence. Lorsqu’une transition vers la paix ou vers la démocratie semble possible, alors se pose immédiatement la question de savoir ce qu’il va être fait d’un passé douloureux imprégné d’atrocités. Ces périodes laissent un nombre considérable de victimes : personnes assassinées ou disparues, d’autres déplacées en interne ou exilées à l’étranger, des survivants portant les traces des tortures et des violences sexuelles. Il est alors indispensable de s’interroger sur les réponses qui peuvent être apportées à des milliers d’hommes et de femmes brisées par des exactions qui s’apparentent, en raison de leur caractère systématique ou généralisé, à des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes génocides. Une réflexion autour des conséquences qui doivent en découler pour les responsables de ces crimes sera aussi menée dans les périodes de post-conflit. Façonnée dans et par la spécificité de ces circonstances, la justice transitionnelle est devenue ces dernières années une possibilité pour des sociétés envisageant de faire face aux crimes commis par le passé. Cette justice résulte d’un effort théorique de rationalisation d’expériences de transition ayant eu lieu en Amérique latine et en Europe de l’est dans les années 1980 et 1990. Celle-ci a continué à se nourrir des expériences plus récentes ou en cours. La grande flexibilité et l’adaptabilité qui caractérisent la justice transitionnelle dans la pratique en font une notion ambiguë et difficile à cerner. L’absence d’une définition précise de la justice transitionnelle1 a permis de l’identifier avec des manifestations assez diverses, parfois même totalement opposées2. Il semble dès lors pertinent de s’approcher de la notion de justice transitionnelle au regard d’une caractéristique qui semble commune à toutes les expériences et qui serait la base même de sa singularité. L’existence de cette justice peut s’expliquer par la volonté de remplacer la manière établie par le droit en vigueur pour traiter les crimes commis par le passé au sein de la justice ordinaire. Dans cette perspective, la justice transitionnelle peut être définie à la fois comme un régime juridique et un ensemble de processus dérogatoires mis en place lors de contextes particuliers pour faire face à certaines infractions3 commises dans une période déterminée antérieure, à partir de la promulgation de normes ad hoc qui sont appliquées à ces infractions de manière rétroactive4. Au terme d’une situation de violence, le cours normal de la justice semble tronqué par les circonstances particulières dans lesquelles se déroule la transition vers la paix ou vers la démocratie. Les rapports de force entre les divers acteurs ainsi que les conditions économiques, sociales et politiques qui entourent ces processus de changement politique sont déterminants au moment de prendre des décisions relatives au traitement des exactions commises par le passé. Les sociétés faisant appel à la justice transitionnelle éprouvent la nécessité d’écarter les voies ordinaires du droit qu’elles considèrent comme inadéquates, inadaptées ou, simplement, matériellement incapables de faire face au lourd héritage du passé. L’enjeu décisif n’est pas seulement d’identifier les mécanismes juridiques disponibles pour faire face à ces crimes, mais de s’interroger s’ils peuvent être mobilisés et mis en place dans des situations fragiles de sortie de crise. Les choix opérés dans cette matière ne sont pas totalement isolés, car ils s’inscrivent dans des processus beaucoup plus larges de pacification ou de démocratisation. La configuration spécifique de chaque expérience de justice transitionnelle rend utopique l’établissement d’un modèle unique et transposable à l’ensemble des transitions. Loin de faire l’unanimité, les choix opérés dans le cadre de la justice transitionnelle font souvent l’objet de vives contestations de la part des victimes, des bourreaux, de la société civile en général et parfois aussi de la communauté internationale. Les critiques se focalisent sur deux aspects fondamentaux : – d’une part, se pose la question de savoir sur quel(s) fondement(s) – juridique(s), politique(s), éthique(s), philosophique(s) – les sociétés en sortie de crise peuvent décider de ne plus appliquer la justice ordinaire pour mettre en place une justice différente ou alternative ; – d’autre part, on s’interroge sur la capacité des personnes au pouvoir, amenées à prendre ces décisions, à exprimer une volonté partagée par l’ensemble (ou par la majorité) des citoyens au sein d’une société fortement fragmentée par la violence du passé. Au nom de quoi et au nom de qui sont deux problématiques centrales de la justice transitionnelle susceptibles d’être abordées sur l’angle de la légitimité. Notion « carrefour » des sciences sociales, la légitimité implique une évaluation d’un objet, d’une action ou d’une décision par rapport à son acceptation dans un contexte social déterminé. Depuis ces origines, cette notion est étroitement liée à celle de légalité5. L’étymologie du terme « légitime » renvoie en effet à l’idée de conformité à la loi6. En ce sens, Max Weber affirme que « la forme de légitimité actuellement la plus courante consiste dans la croyance en la légalité, c’est-à-dire la soumission à des statuts formellement corrects et établis selon la procédure d’usage »7. L’importance de la notion de légitimité tient au fait qu’elle sert de fondement au caractère contraignant du droit : « L’idée de légitimité concerne d’abord et surtout le droit de gouverner […] elle tente d’apporter une solution à un problème politique fondamental, qui consiste à justifier simultanément pouvoir politique et obéissance »8. La légitimité est une qualité nécessaire à tout processus de justice transitionnelle en ce qu’elle véhicule une volonté d’agir ensemble face aux crimes commis par le passé. Pour sa mise en place, cette justice doit être incarnée par la puissance de l’État et s’imposer par la force du droit aux individus assujettis à un ordre juridique. L’analyse de la légitimité de la justice transitionnelle semble pourtant un exercice assez complexe puisqu’il englobe à la fois des éléments d’ordre subjectif et objectif. Il s’agirait en effet de la caractériser par la « perception ou présomption généralisée que les actions d’une entité [prises en fonction de la justice transitionnelle] sont désirables, correctes et appropriées à l’intérieur d’un système de normes, de valeurs, de croyances et de définitions sociales construites »9. En raison de son caractère multidimensionnel, une analyse exhaustive portant sur la légitimité de la justice transitionnelle nécessite de prendre en considération des aspects d’ordre juridique, politique, sociologique et même psychologique. La prétention de notre réflexion est beaucoup plus modeste en ce qu’elle se concentre sur l’aspect juridique de la notion de légitimité. Dépourvue de toute considération d’ordre moral ou éthique, la définition de justice transitionnelle retenue ici se concentre sur l’aspect dérogatoire de cette dernière sans préciser quels sont les éléments de remplacement qu’elle implique dans la pratique. C’est ainsi que l’appréciation morale ou philosophique de la justice transitionnelle se déplace de l’abstrait de la notion vers les manifestations précises de celle-ci dans l’expérience de chaque pays (légitimité 1/6 concrète). Notre démarche est de type analytique et s’intéressera exclusivement sur la légitimité abstraite de la justice transitionnelle. Celle-ci ne portera donc pas sur le contenu et les manifestations concrets que cette justice peut rencontrer dans un pays déterminé10. Insistant sur le lien fort entre légalité et légitimité, une présomption de légitimité abstraite peut alors être envisagée en faveur de la justice transitionnelle (I). Pourtant, cette légitimité n’est pas acquise de manière définitive. Plus qu’un élément intrinsèque à la justice transitionnelle, il s’agit d’une qualité recherchée de manière permanente dans la pratique (II). I. — LA PRÉSOMPTION THÉORIQUE DE LÉGITIMITÉ DE LA JUSTICE TRANSITIONNELLE Pour que la justice transitionnelle puisse être appliquée à des crimes commis par le passé, il lui faut une concrétisation en termes de normes juridiques. Une présomption théorique de légitimité peut alors être proposée au regard des normes qui la régulent (A). Divers degrés de légitimité peuvent ainsi être attribués en fonction de l’auteur de la norme promulguée (B). A. — Le support juridique de la légitimité de la justice transitionnelle Un nombre important de critiques ont été soulevées par rapport au lien établi entre légalité et légitimité11. Sur ce front, Jean-Marc Coicaud signale chez Weber le problème de vouloir faire de la croyance en la légalité l’étalon ultime de la légitimité politique. Pour lui, « défendre la thèse selon laquelle la domination légale assure la légitimation grâce à ses seuls moyens techniques revient à considérer que les performances de la loi rendent superflues les représentations de la légitimité […] si ce qui est légal est légitime par le seul fait d’être légal, il en résulte une passivité à l’égard du pouvoir qui est à l’opposé de l’esprit de la légitimité »12. Contre une telle interprétation, Augustin Simard replace uploads/S4/ au-nom-de-quoi-au-nom-de-qui-reflexions-sur-la-legitimite-de-la-justice-transitionnelle-22-11-2020-20-23-53.pdf

  • 23
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Aoû 14, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1414MB