Propriété, affectation, destination. Réflexion sur les liens entre propriété, u

Propriété, affectation, destination. Réflexion sur les liens entre propriété, usage et finalité Blandine Mallet-­ Bricout* 1. Multiplicité des concepts, multiplicité des liens, la propriété obser- vée sous le prisme de l’affectation et de la destination pourrait présenter un nouveau visage. On pourrait d’ailleurs être pris de vertige tant le sujet semble redoutable, car conceptuel, comparatif et d’une ampleur remar- quable, puisqu’il mène a priori sur les sentiers de la propriété privée, de la propriété publique, de la propriété des biens corporels et incorporels, de celle des meubles et des immeubles, et sur le sentier aussi peut-­ être de biens spéciaux en raison de leur caractère primordial, essentiel. Pour aborder un tel sujet, on trouve toutefois quelques guides : la doc- trine française s’est en effet beaucoup intéressée à la propriété, beaucoup aussi à l’affectation et beaucoup encore à la destination. On pourrait alors avoir le sentiment de planter sur un terrain déjà bien labouré, mais en réa- lité, la doctrine s’est souvent intéressée, pour ce qui concerne l’affectation et la destination, non aux concepts envisagés dans leur généralité, mais plutôt à une grande variété de terrains d’études, qu’il s’agisse de l’urba- nisme, de la copropriété des immeubles bâtis, de l’immobilisation par des- tination1. Et lorsque destination ou affectation sont étudiées de manière 1 Voir notamment : François-­ Xavier Testu, L’influence de la destination des biens sur leur transmission successorale, thèse de doctorat, Nanterre, École doctorale Droit et Science politique, Université de Paris X-­ Nanterre, 1983 ; Jacques Forestier, La vente de l’im- meuble loué ou le rôle de la destination en droit privé, thèse de doctorat, Poitiers, École doctorale Pierre Couvrat, Université de Poitiers, 1994 ; Lionnel Boueri, La notion de destination en droit immobilier, thèse de doctorat, Toulon, École doctorale Droit et Science politique, Université du Sud Toulon-­ Var, 1999 ; Serge Ridel, Essai sur la desti- nation de l’immeuble en copropriété, thèse de doctorat, Paris, École doctorale de droit privé, Université Panthéon-­ Assas (Paris II), 1998 ; Ludovic Belfanti, La notion de des- tination de l’immeuble en copropriété, thèse de doctorat, Montpellier, École doctorale Droit et Science politique, Université Montpellier I, 1999 ; Jocelyne Séchier-­ 537 * Professeur à l’Université de Lyon Jean Moulin (Lyon 3). 538 (2014) 48 RJTUM 537 plus globale et conceptuelle, elles sont toujours rattachées aux biens2 ou aux choses3. Ces mécanismes ne sont pas, ou plus rarement, rapprochés de la propriété. Certes, évoquer l’affectation ou la destination des biens, c’est indirec- tement renvoyer aux liens qui peuvent naître à l’initiative des sujets de droit, donc au lien d’appropriation, ce lien primordial entre personne et chose dans nos sociétés occidentales. Les deux approches ne sont donc pas sans relations, mais confronter la propriété à l’affectation et à la destina- tion, c’est aussi confronter ces concepts à un droit, celui d’exercer sur une chose un pouvoir dans la durée, total et exclusif. 2. Un tel sujet nécessite au préalable de s’entendre sur les concepts. L’écueil est évident s’agissant de la propriété, tant le débat doctrinal est riche à ce propos4. On ne saurait s’engager sur un tel terrain dans cette étude, dont l’objet est davantage de s’intéresser aux liens unissant pro- priété, affectation et destination qu’à la détermination abstraite de ce que recouvrent les trois concepts. Mais la démarche n’est pas neutre pour Dechevrens, Essai sur la notion d’immobilisation par destination, thèse de doctorat, Lyon, École doctorale de droit, Université Jean Moulin Lyon III, 2005. 2 Voir notamment les thèses de : Serge Guinchard, L’affectation des biens en droit privé français, t. 145, coll. « Bibliothèque de droit privé », Paris, L.G.D.J., 1976 ; Jean-­ Patrice Storck, Recherches sur le rôle de la destination des biens en droit positif français, thèse de doctorat, Strasbourg, École doctorale Droit, Science politique et histoire, Université de Strasbourg, 1979 ; Camille Dreveau, L’affectation de l’immeuble. Étude de droit des biens et de droit des contrats, thèse de doctorat, Nantes, École doctorale Degest, Univer- sité de Nantes, 2008. 3 Voir notamment : Romain Boffa, La destination de la chose, t. 32, coll. « Doctorat & Notariat », Paris, Éditions Defrénois, 2008 ; Grégoire Loiseau, « Typologie des choses hors du commerce », RTD civ.2000.47 (l’auteur s’intéresse à l’affectation en tant que critère et mesure de l’extracommercialité). 4 Parmi de nombreux articles, voir : Marquis de Vareilles-­ Sommières, « La définition et la notion juridique de la propriété », RTD civ.1905.443 ; Louis Josserand, « Configuration du droit de propriété dans l’ordre juridique nouveau », dans Mélanges juridiques, dédiés à M. le professeur Sugiyama, Paris, Recueil Sirey, 1940, p. 95 ; André Rouast, « Rapport provisoire de M. le professeur Rouast sur l’évolution du droit de propriété », dans Association Henri Capitant, Travaux de l’association Henri Capitant pour la culture juridique française, t. 1, Paris, Librairie Dalloz, 1945, p. 45 ; Frédéric Zénati, « Pour une rénovation de la théorie de la propriété », RTD civ.1993.305 ; ­ Frédéric Zénati-­ Castaing, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », RTD civ.2006.445 ; William Dross, « Une approche structurale de la propriété », RTD civ.2012.419 ; Gwen- doline Lardeux, « Qu’est-­ ce que la propriété ? », RTD civ.2013.741. Propriété, affectation, destination 539 autant, elle pourrait renouveler la réflexion sur ce qui constitue, en ce début de xxie siècle, les piliers de la propriété privée civiliste. Afin de mener cette étude, la propriété sera entendue dans un sens classiquement admis, comme le droit réel le plus complet exercé directement sur une chose, attribuant au propriétaire l’usage, la jouissance et la disposition de celle-­ ci, à titre exclusif et dans une perspective perpétuelle5. 3. Il reste cependant nécessaire de prendre position dans le débat qui concerne les notions d’affectation et de destination, moins connues et tout aussi controversées que celle de propriété. L’étymologie respectivement de l’affectation et de la destination ren- voie l’une à l’autre. L’affectation viendrait du radical du latin médiéval affectatus (xve s.), qui correspond à la « destination à un usage déterminé ». La destination viendrait quant à elle du latin médiéval destinatio (xiie s.), qui renverrait d’une part à la finalité « ce pour quoi une personne ou une chose est faite », d’autre part à « l’affectation » au sens d’ « emploi, d’usage et d’utilisation »6. Dans le langage courant, les deux termes semblent donc pour une large part se confondre, reposant tous deux sur le socle commun d’un « usage particulier » conféré à une chose ou à une personne. La langue juridique n’est ni plus précise ni davantage et clairement distinctive. 5 Voir : Jean-­ Louis Bergel avec la collab. de Marc Bruschi et Sylvie Cimamonti, Les biens, 2e éd., coll. « Traité de droit civil » sous la direction de Jacques Ghestin, Paris, L.G.D.J., 2010, no 79 et suiv., p. 88 et suiv. ; François Terré et Philippe Simler, Droit civil. Les biens, 8e éd., Paris, Dalloz, 2010, no 102 et suiv., p. 111 et suiv. Comparer avec Christian Larroumet, Droit civil, 5e éd., t. 2 « Les biens, droits réels principaux », Paris, Éditions Economica, 2006, no 195 et suiv., p. 103 et suiv. ; Frédéric Zénati-­ Castaing et Thierry Revet, Les biens, 3e éd., coll. « Droit fondamental », Paris, P.U.F., 2008, no 163 et suiv., p. 259 et suiv. 6 Le Nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Dictionnaire Le Robert, 2012, p. 713, vo « destination ». Le Dictionnaire de l’Aca- démie française, 9e éd., voit dans la destination « l’emploi auquel une chose doit être affectée » et dans l’affectation la « désignation de l’usage qui doit être fait […] d’un bien ». Les définitions retenues plus spécialement pour la matière juridique sont très proches, renvoyant à un « usage déterminé ». Voir également : S. Guinchard, préc., note 2. 540 (2014) 48 RJTUM 537 Quant à l’affectation, soit le mot est ignoré dans un sens générique7, soit il jaillit dans toutes ses dimensions8 avec, en bonne place – au titre du « sens général » – la « détermination d’une finalité particulière en vue de laquelle un bien sera utilisé ». L’affectation semble alors se situer au cœur du droit des biens, attachée aux biens et seulement « par extension »9 aux personnes. Quant à la destination, il s’agirait de « l’utilisation d’un bien à un usage particulier qui permet de déterminer sa nature juridique »10, ou encore de « la norme d’usage d’une chose déclenchant le régime juridique approprié »11. La destination, selon ces ouvrages, commanderait la nature ou le régime juridique des biens. Le Vocabulaire juridique publié par l’as- sociation Henri Capitant établit, quant à lui, d’intéressantes distinctions : la destination peut renvoyer au « but poursuivi » dans un acte juridique : il s’agit alors de la « finalité imprimée à un accord », tout comme elle peut correspondre, « plus concrètement », à un « usage auquel une chose est affectée ». Il y aurait dès lors une destination concrète, qui renverrait à l’usage, et une destination plus abstraite, uploads/S4/ b-mallet-bricout-propriete-affectation-destination-reflexion-sur-les-liens-entre-propriete-usage-et-finalite 1 .pdf

  • 35
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Oct 05, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.3860MB