1 < PAGE 11 > L’ALLOCATION DES RISQUES DANS LES CONTRATS : DE L’ECONOMIE DES CO

1 < PAGE 11 > L’ALLOCATION DES RISQUES DANS LES CONTRATS : DE L’ECONOMIE DES CONTRATS ‘INCOMPLETS’ A LA PRATIQUE DES CONTRATS ADMINISTRATIFS 1 Thierry Kirat Chargé de recherche au CNRS – IDHE, Ecole normale supérieure de Cachan Revue internationale de droit économique n°1, 2003, pp. 11-46. 1. Le contrat de l’economiste… et son “environnement institutionnel” : l’en-soi du contrat et la vacuite du droit et du juge........3 1.1. Contrats et institutions : l’ontologie du contrat et l’extériorité des institutions...................................................................3 1.2. Le problème de l’incomplétude : les limites du grand écart entre des “bons contrats” et de “mauvaises institutions”.......4 2. De l’incomplétude … à l’imprévision ?......................................................................................................................................5 2.1. L’incomplétude comme outil d’analyse économique : l’économie des “Default Rules”....................................................6 2.2. L’incomplétude : de la nécessité de traduire une catégorie économique en dispositifs juridiques......................................7 2.3. Incomplétude et imprévision : de faux amis ?.....................................................................................................................9 3. Comment traduire juridiquement et empiriquement le probleme de l’incertitude du futur? .....................................................11 3.1. Incomplétude informationnelle et complétude juridique ..................................................................................................11 3.2. Les dispositifs du droit privé.............................................................................................................................................12 3.3. L’imprévision en droit des contrats administratifs : une étude empirique ........................................................................14 4. La détermination du prix et l’allocation des risques dans des contrats “incomplets”................................................................20 4.1.La déterminabilité du prix..................................................................................................................................................22 4.2. La détermination du prix de règlement.............................................................................................................................22 4.3. La jurisprudence administrative........................................................................................................................................25 Conclusion....................................................................................................................................................................................26 Références.....................................................................................................................................................................................27 Liste des arrêts du conseil d’etat et des cours administratives d’appel..........................................................................................29 1 Je remercie vivement Horatia Muir-Watt, EvelyneServerin et Laurent Vidal pour leurs commentaires qui ont accompagné l’élaboration de ce texte. 2 < page 12 > L’allocation des risques inhérents à l’exécution d’obligations dans des accords dont la temporalité est longue est une question importante, notamment pour l’économie. Or, à cet égard, il est significatif de constater que les entrées consacrées au droit administratif dans l’Encyclopedia of Law and Economics ne font pas mention des contrats administratifs, et que les entrées relatives au droit des contrats ne renvoient jamais au droit administratif. On ne peut que signaler, à ce propos, l’originalité de l’ouvrage de microéconomie des marchés publics et de la réglementation de J.-J Laffont et J. Tirole (1993). Quelles conclusions tirer de ce constat ? De notre point de vue, deux hypothèses peuvent être avancées : soit les économistes se désintéressent des contrats administratifs, soit ils les intègrent implicitement dans le même moule que les contrats de droit privé. Nous estimons que la deuxième hypothèse est la plus plausible, et nous souhaitons l’explorer ici en réfléchissant sur le fait de savoir si le droit positif des contrats privés et administratifs rend possible l’application de mêmes catégories d’analyse en matière d’allocation des risques. Cette question appelera naturellement une réflexion sur la signification et la portée empirique de la notion économique d’incomplétude des contrats. Il est bien évident que l’allocation contractuelle des risques a des conséquences importantes sur l’efficacité d’un contrat ; elle est intimement liée aux incitations des co-contractants à allouer des ressources, à procéder à des investissements dans une relation, ainsi qu’à la capacité respective des parties à assumer des risques (Trianis, 2000, p. 100). Cette question, considérée d’un point de vue normatif, débouche sur des recommandations en termes d’allocation des risques, ou en termes de pertinence des différents procédés juridiques applicables en cas de survenance d’un risque non prévisible ou d’inexécution du contrat par une des parties 2. La position commune à nombre d’économistes du contrat, qui consiste à penser que l’“incomplétude” fait échapper le contrat à l’emprise de solutions juridiques et le fait entrer dans la sphère de la “régulation privée” nous paraît devoir être dépassée par une analyse empirique du fonctionnement des dispositifs juridiques qui se rapportent à l’exécution des contrats. 3 Nous procéderons ici à une brève étude positive et comparative du problème de l’allocation des risques dans les contrats administratifs, en droit français et en droit des Etats-Unis. Cette étude sera précédée d’une mise en scène, assortie d’une discussion critique, de la manière dont la théorie économique des contrats se saisit de leur contexte juridique ; l’enjeu est de penser les contrats comme des formes d’échange économique juridicisées, plutôt que comme des processus ontologiques < page 13 > (1.). Nous procéderons alors à une présentation critique de l’économie de l’incomplétude des contrats, puisque les risques sont réputés d’autant plus grands que les contrats s’éloignent du canon idéal de la “complétude” ; nous examinerons les prolongements de ces analyses économiques sur la définition du rôle et des fonctions des variables juridiques (2.). Nous réaliserons alors une première étude positive, consacrée à l’allocation des risques dans les contrats privés et administratifs, en testant 2 Et ce en dépit d’une curieuse jurisprudence du Conseil d’Etat qui s’est employée à trouver dans le risque le critère de la distinction entre délégations de service public et marchés publics, les premières étant associées à la présence d’un risque financier induit par la rémunération du titulaire liée aux résultats de l’exploitation. Si ce critère est discriminant, on ne peut que logiquement conclure que les marchés publics sont exempts de risque… sur ce point, voir L. Vidal (1999). 3 Cette position est très prégnante dans le courant dit de la théorie des coûts de transaction. Pour une présentation critique, voir Bazzoli et Kirat (2003). La question de l’analyse empirique du droit des contrats est vigoureusement posée par Korobkin (2001). 3 la pertinence des analyses économique (3.), avant de procéder de même avec les conditions de détermination des prix (4.). 1. LE CONTRAT DE L’ECONOMISTE… ET SON “ENVIRONNEMENT INSTITUTIONNEL” : L’EN-SOI DU CONTRAT ET LA VACUITE DU DROIT ET DU JUGE La littérature est pléthorique en économie des contrats et du droit des contrats, sur le continent nord-américain ; elle est importée à peu de frais en France par des économistes des contrats, sensibles à la question de l’ontologie de l’accord contractuel et à la vacuité du droit dans ses interférences nuisibles avec elle. Elle est aussi pleinement envahie et structurée par l’idée que les contrats du monde réel sont des contrats… incomplets. 1.1. Contrats et institutions : l’ontologie du contrat et l’extériorité des institutions En dépit de ses affirmations relatives au fait qu’elle prend pour objet pertinent le cadre institutionnel des contrats, la théorie économique persiste à considérer ce dernier comme extérieur aux contrats, ce qu’illustrent les intitulés du tableau suivant (tableau 1). La clé d’entrée dans l’étude des contextes institutionnels des relations contractuelles demeure strictement confinée dans les termes de l’analyse micro-économique, partant des caractéristiques des accords bilatéraux inter-individuels pour procéder à la construction de modèles d’analyse des institutions. Cette méthode de construction “en creux” des contextes institutionnels des contrats peut être discutée, et remise sur ses deux jambes en considérant les caractéristiques des relations contractuelles comme des produits de dispositifs institutionnels. Néanmoins, l’honnêteté commande de reconnaître l’incursion de certains économistes dans des analyses qui procèdent d’une “entrée par les institutions” dans l’analyse des contrats. En particulier, Schwartz (2000) cherche à situer les dispositifs institutionnels comme des dispositifs structurants de la pertinence de certaines règles du droit des contrats ; Ménard (2001) tente de mettre en évidence les correspondances entre les discours du droit et de l’économie sur la détermination du prix dans les < page 14 > TABLEAU 1 - UNE SCHEMATISATION DES DIFFERENTES APPROCHES ECONOMIQUES DES CONTRATS ET DU ROLE DES CADRES INSTITUTIONNELS Théorie Information des contractants Institutions extérieures* aux contractants Théorie walrasienne Complète et symétrique Parfaites (garantissant l’absence de déviations par rapport aux plans annoncés) Théorie des incitations Complète et asymétrique Parfaites (garantissant l’exécution des engagements) Théorie des contrats incomplets Complète et symétrique Imparfaites (incapables de vérifier certaines variables) Théorie des coûts de transaction Incomplète et asymétrique Très imparfaites (incapables de vérifier certaines variables et soumises à la rationalité limitée) * nous soulignons Source : d’après E. Brousseau et J.-M. Glachant, “Economie des contrats et renouvellement de l’analyse économique”, Revue d’économie industrielle, n°92, 2è et 3è trimestre 2000, p. 34. 4 contrats de longue durée ; Brousseau (2001) s’emploie à établir les avantages comparés des dispositifs juridiques américains et français de modification des clauses contractuelles en cours d’exécution. Néanmoins, nous estimons que ces travaux, du moins ceux des deux derniers auteurs cités, persistent à penser que la qualité des contrats trouve sa source exclusivement dans le registre de l’accord inter- individuel, et que l’intervention des institutions juridiques (en particulier du juge) relève d’une interférence souvent inopportune avec les préférences et les engagements des parties. Ces thèses peuvent être explicitées en référence à la question de l’incomplétude des contrats. 1.2. Le problème de l’incomplétude : les limites du grand écart entre des “bons contrats” et de “mauvaises institutions” Sans embrasser l’ensemble des théories économiques des contrats, sa version néo- institutionnaliste (dite aussi Théorie des coûts de transaction- TCT) fait usage d’une notion de contrats incomplets en situation d’incertitude radicale et de rationalité limitée des agents et des institutions. Elle pose, ainsi, que la qualité des relations contractuelles est doublement contrainte : d’une part, par l’incomplétude des accords conclus entre les parties et, d’autre part, par des défaillances institutionnelles. Ces dernières découlent du fait que les institutions chargées de rendre les contrats “exécutoires” sont, elles aussi, victimes d’une information imparfaite et d’une uploads/S4/ contrat-incomplet.pdf

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  • Publié le Apv 10, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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