CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE ET CONTROLE DE CONVENTIONNALITE Par Olivier DUTH

CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE ET CONTROLE DE CONVENTIONNALITE Par Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE Conseiller d’Etat Texte publié dans les « Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle », Dalloz 2007 « La loi est l’expression de la volonté générale ». Inscrit à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce principe, qui est au cœur de la philosophie de Jean-Jacques ROUSSEAU, explique l’hostilité des révolutionnaires de 1789 vis-à-vis de toute forme de contrôle de constitutionnalité des lois. Cette hostilité, née d’une très grande méfiance vis-à-vis de l’action des Parlements de l’Ancien Régime, s’exprime bien dans l’article 10 du Titre II de la loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire aux termes duquel « Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du Corps-Législatif, sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture ». C’est cette réticence fondamentale vis-à-vis de toute forme de contrôle de la loi qui explique les conditions d’apparition et de développement du contrôle de constitutionnalité des lois dans notre pays. Le Conseil constitutionnel, créé en 1958 pour contrôler le respect par le Parlement du domaine de la loi défini par l’article 34 de la Constitution, a développé progressivement son contrôle en deux étapes. 2 Par la Décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association, le Conseil a jugé que désormais il n’exercerait plus seulement son contrôle sur les lois qui lui étaient déférées vis-à-vis de la Constitution elle-même, c’est-à-dire essentiellement de son article 34, mais également vis-à-vis du Préambule de la Constitution qui lui-même renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et au Préambule de 1946, lequel définit les principes économiques et sociaux « particulièrement nécessaires à notre temps » et réaffirme « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». La révision constitutionnelle du 29 octobre 1974 a, dans un second temps, élargi la saisine du Conseil constitutionnel à 60 députés ou 60 sénateurs, faisant ainsi de cette saisine l’une des principales armes de l’opposition. En refusant en 1975 de contrôler la conformité des lois aux traités internationaux, le Conseil constitutionnel a conduit les tribunaux, tant judiciaires qu’administratifs, à développer une nouvelle forme de contrôle de constitutionnalité des lois : le contrôle de conventionnalité (1). Malgré des différences apparentes, ce contrôle de conventionnalité nous paraît, en effet, s’apparenter très largement à un contrôle de constitutionnalité des lois (2). 1. En refusant d’exercer un contrôle de la conformité des lois aux traités internationaux dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a conduit les juridictions administratives et judiciaires à affirmer et développer une nouvelle compétence : le contrôle de conventionnalité de la loi. 1.1. Au point de départ du processus, on trouve le refus traditionnel et constant des tribunaux d’exercer un contrôle de la constitutionnalité des lois. Pour le juge judiciaire, on fait traditionnellement remonter ce refus à l’arrêt rendu par la Cour de Cassation dans la célèbre affaire Paulin, selon lequel 3 la loi du 8 octobre 1830 sur les délits de presse « délibérée et promulguée dans les formes constitutionnelles prescrites par la Charte, fait la règle des tribunaux et ne peut être attaquée devant eux pour cause d’inconstitutionnalité » (Cass. Crim. 11 mai 1833, S. 1833, 1, p. 357). Plus récemment, la Cour de Cassation a réaffirmé que l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi « ne peut être portée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire » (Cass, Civ, 2e, 20 décembre 1956, Bull civ. N° 714 p. 464). Pour le juge administratif, ce refus a été exprimé par l’arrêt de Section Arrighi selon lequel, « en l’état actuel du droit public français », un moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une loi « n’est pas de nature à être discuté devant le Conseil d’Etat statuant au contentieux » (S. 6 novembre 1936, sieur Arrighi, rec p. 966 ; D. 1938. 3. p. 1, conclusions Latournerie et note Eisenmann). Il a été réaffirmé récemment par une décision d’Assemblée rendue le même jour que l’arrêt Nicolo, selon laquelle « il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier la constitutionnalité de la loi du 7 juillet 1977 » sur les élections européennes (Ass. 20 octobre 1989, Roujansky, J.C.P. 1989, II, n° 21 371). 1.2. La décision n° 75-54 DC du 15 janvier 1975 sur la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse a déclenché un processus qui a conduit à remettre en cause ce tabou. Avec le recul de trente années, on peut légitimement évoquer à l’égard de cette décision la théorie du battement d’ailes du papillon. Saisi d’un moyen tiré de la violation par la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à la vie, le Conseil a jugé qu’il ne lui appartient pas « lorsqu’il est saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international ». Cette décision repose à la fois sur des arguments de droit et des raisons pratiques. 4 Sur le plan du droit, trois arguments sont invoqués dans la décision. Le premier, à vrai dire déterminant, est tiré d’une interprétation stricte, d’ailleurs traditionnelle, de l’article 61 de la Constitution. Si les dispositions de l’article 55 de la Constitution « confèrent aux traités, dans les conditions qu’elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution prévu à l’article 61 de celle- ci ». Un deuxième argument est tiré de la différence de nature entre le contrôle de constitutionnalité, prévu par l’article 61, qui revêt « un caractère absolu et définitif », et le contrôle de conventionnalité, prévu par l’article 55, qui présente « un caractère à la fois relatif et contingent ». Le Conseil constitutionnel a, dans ses décisions ultérieures, abandonné cette formulation qui avait été critiquée par la doctrine 1. La référence au « caractère relatif et contingent » renvoie, en effet, essentiellement à la condition de réciprocité posée par l’article 55. Or cette condition est sans objet, comme le Conseil a eu l’occasion de le préciser ultérieurement, pour les engagements internationaux relatifs aux droits fondamentaux, comme la Convention européenne des droits de l’Homme ou le traité portant statut de la Cour pénale internationale (Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, recueil p. 29), et pour les traités communautaires (Décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992, recueil p. 55 ; n° 98-400 DC du 20 mai 1998, recueil p. 251). Un troisième argument est tiré de ce « qu’une loi contraire à un traité ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution ». Cet argument a été également critiqué par la doctrine dans la mesure où la supériorité des traités sur les lois résulte d’une disposition expresse de la Constitution 2. 1 AJDA 1975, II, p. 134, note Jean RIVERO sous la Décision du 15 janvier 1975. 2 R.F.D.A. 1989 p. 824, note GENEVOIS sous Ass. 20 octobre 1989 NICOLO. 5 Mais la décision I.V.G. repose également sur des raisons pratiques. Selon la Constitution, le Conseil constitutionnel ne dispose que d’un délai d’un mois pour rendre ses décisions. Il serait très difficile d’examiner dans un délai aussi bref la conformité des lois avec les très nombreux engagements internationaux souscrits par la France, évalués à l’époque à plus de 4 000 traités. Dans le cadre du droit communautaire, il serait impossible pour le Conseil constitutionnel de poser, dans ce délai, une question préjudicielle d’interprétation ou d’appréciation de la validité d’un acte communautaire à la Cour de Justice des Communautés européennes, conformément à l’ancien article 177 (devenu l’article 234) du Traité instituant la Communauté européenne. Cette jurisprudence est absolument constante 3. Dès l’origine, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions de l’article 55 de la Constitution qui confèrent aux traités une autorité supérieure à celle des lois ne devaient pas, pour autant, rester sans sanction. On peut d’ailleurs noter qu’à la date à laquelle le Conseil a pris sa décision, la Cour d’Appel de Paris avait déjà, par un arrêt du 7 juillet 1973, Société des Cafés Jacques Vabre, écarté l’application de la taxe intérieure de consommation prévue par l’article 265 du code des douanes du fait de son incompatibilité avec les dispositions de l’article 95 du Traité de Rome au motif que celui-ci, en vertu de l’article 55 de la Constitution, a une autorité supérieure à celle de la loi interne, même postérieure (Paris, 7 juillet 1973, D. 1974. 159, note J. Rideau ; Gaz. Pal. 1973.2.661, concl. J. Cabannes). Le Conseil a, ultérieurement, explicité sa position en jugeant « qu’il appartient aux divers organes de l’Etat de veiller à l’application de ces conventions internationales dans le cadre de leurs compétences respectives » 3 Décisions n° 77-83 DC du 20 juillet 1977, ct 6 ; n° 77-92 DC du 18 uploads/S4/ controle-de-conventionalite.pdf

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  • Publié le Aoû 02, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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