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1 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André CONCOURS ENM 2014 Droit civil « Le juge et l’intangibilité du contrat » Corrigé proposé par Christophe André « Que reste-t-il de l’intangibilité du contrat ? » Ce titre d’un colloque organisé à Chambéry en 1997 est révélateur. Il sous-entend que les atteintes répétées à cette intangibilité, de la part du législateur et du juge, auraient fait de ce principe une peau de chagrin. Pourtant, si l’interrogation demeure 20 ans plus tard, c’est bien qu’il en reste quelque chose… Plutôt que de ressasser de vieilles lunes, selon lesquelles le juge disposerait de l’accord de volontés, jusqu’à en faire sa chose, il paraît nécessaire de bien cerner au préalable ce que signifie « l’intangibilité du contrat ». Le mot « intangibilité », distinct de l’immutabilité ou même de la pérennité, renvoie au caractère sacré, inviolable, intouchable. Rapportée au contrat, la notion mérite d’être doublement précisée. Par rapport aux parties d’abord : dire que le contrat est intangible ne signifie pas que, une fois conclu, il développe une existence propre qui échapperait à l'emprise des contractants. Ce que la volonté commune a fait, la volonté commune peut le défaire, en vertu d’un « distrat » (article 1134, al. 2 du Code civil) ou par voie d’avenant. Sous cet angle, l'intangibilité du contrat le protège de modifications par volonté unilatérale non prévues initialement. Dans la pureté des principes, le contrat est, en effet, l'accord de plusieurs volontés, qu'une volonté solitaire et postérieure ne peut pas atteindre. Seul un nouvel échange de consentements entre les intéressés permettrait de modifier l'accord initial. Comme l’affirmait le professeur Rouhette, rien de ce qui a été fait contractuellement n'est donc hors de portée de la volonté, si cette dernière est "commune". Par rapport au juge, ensuite, en se tenant éloigné d'écueils purement idéologiques, tel que le mythe de l’autonomie de la volonté, qui ferait du juge « l’ennemi contractuel numéro un » (D. Mazeaud), limitant sa jurisdictio à la portion congrue. Quant au mythe du solidarisme, il cherche à faire du juge un acteur majeur du théâtre contractuel. Ces deux visions extrêmes sont identiquement trompeuses : les parties ne vivent pas à l'écart du droit, tels des Robinson coupés du monde (dans la mesure, au moins, où elles cherchent la protection de l'ordre juridique); par ailleurs, le juge, même s’il le voulait, ne pourrait pas refaire un contrat, notamment d'affaires, à défaut d'être (et de devoir être) un expert économique. En réalité, l’évolution historique du rôle du juge est plus concrète, plus prosaïque aussi. Dans la conception libérale originelle, le postulat d’un contrat de gré à gré conclu entre parties de mêmes forces conduisait à n’admettre l’intervention du juge que dans les cas les plus graves. Dans cette conception, qui n'a pas disparu et qui explique, encore aujourd'hui, nombre de règles du droit positif, le contrat est la chose des parties. L'immixtion du juge dans la sphère contractuelle doit alors être limitée au strict minimum, car elle serait porteuse d'insécurité juridique. Cette position explique la défiance traditionnelle de la doctrine vis-à-vis du pouvoir de révision du juge, c'est-à-dire vis-à-vis de la possibilité, offerte à un juge, de modifier le contenu de l'accord des parties, en le corrigeant s'il se révèle défectueux, en le complétant s'il s'avère insuffisant, voire en le réduisant s'il s'avère annulable. Or, la massification des contrats et l‘avènement des contrats d’adhésion entre parties inégales ont conduit à multiplier les hypothèses dans lesquelles le juge intervient pour en modifier le contenu, notamment lorsqu'il s'agit de rééquilibrer le contrat en modérant ses dispositions. Enfin, et précisément, cette évolution témoigne de la superposition des deux conceptions de l’intervention du juge dans notre droit : s’il doit respecter la norme 2 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André contractuelle, ce respect n’est pas pour autant servile. Serviteur, mais pas esclave, telle serait la fonction du juge. Cependant, dira-t-on alors que les rapports du juge et de l’intangibilité du contrat s’articulent autour d’un rapport principe/exceptions, l’intangibilité étant tantôt respectée, tantôt écornée ? Rien n’est moins sûr, compte tenu de LA référence posée par la loi en la matière : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». L’analogie entre norme contractuelle et loi est forte, au moins d’un point de vue symbolique, mais elle appelle deux séries de précisions. D’une part, pour le juge, la force obligatoire signifie qu'il va avoir, à l'égard de ce qui a été convenu dans le contrat, une activité fondamentalement identique à celle qu'il doit déployer en dehors de la matière contractuelle pour un litige à résoudre par application directe d'une norme légale : il appliquera la norme contractuelle exactement comme il appliquerait la loi. Cette norme lui servira de référence pour sa décision. D’autre part, le juge dispose d'une marge de manœuvre plus large que dans l'application de la norme légale, à la fois dans le contrôle de sa validité, dans la détermination de son contenu, et dans les multiples atteintes qu'il est autorisé à porter à la force obligatoire du contrat, ou qu'il s'autorise lui-même à porter. Loin d'être prisonnier de l'accord des parties, il peut y introduire toutes sortes d'éléments que les parties n'ont pas envisagés, soit par le biais d'une interprétation objective du contrat, soit sur le fondement de l'article 1135 du code civil, soit en utilisant la notion de « bonne foi » de l'article 1134 alinéa 3. Si l'extension, souvent soulignée, des pouvoirs du juge en matière contractuelle est un signe de la valeur très inférieure reconnue au contrat dans la hiérarchie des actes créateurs de droit, elle n'implique nullement une remise en cause de l'effet normatif du contrat. Comme l'indique Pascal Ancel (Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, 1999), il y a sans doute lieu d’introduire dans le débat la distinction entre le contenant et le contenu, l’accord et les clauses convenues. Or, « les suites de l’obligation » que le juge découvrira eu égard à la dimension sociale du contrat ne sont pas moins obligatoires que les clauses du « bargain » initial, de la substance. C’est l’accord des parties qui est enrichi ou amputé, mais le contrat, pour sa part, demeure intangible. On perçoit alors combien notre droit fait du juge, aujourd’hui comme hier, un garant de la norme contractuelle, ce qui ressortit à la lecture classique de l’intangibilité du contrat (I) ; il peut toutefois aussi, en vertu de sa jurisdictio, enrichir le contenu de l’accord, ou l’amputer, sans que cela signifie autre chose qu’une lecture renouvelée de l’intangibilité du contrat (II). I- Le juge garant de la norme contractuelle : la lecture classique de l’intangibilité du contrat Pour le juge, garantir l’application de la norme contractuelle signifie en respecter à la fois le sens (A) et la substance (B). A- Le respect du sens du contrat De la même manière qu’un juge en interprétant la loi cherche à connaître la volonté du législateur à travers les travaux préparatoires, le juge se doit ne pas « toucher », altérer le sens du negotium. Cela se traduit non seulement par l’interdit de la dénaturation (1), mais encore par les directives, qui en cas d’obscurité, suggèrent une interprétation subjective, au plus près de la volonté originaire des parties. 1- L’interdit de la dénaturation L’intangibilité du sens du contrat est en premier lieu assurée par la théorie classique de la dénaturation, ancrée dans notre droit depuis l’arrêt Foucault/Coulombe de la chambre civile du 15 avril 1872. Le juge de fond ne saurait, sous prétexte d'interprétation, aller à l'encontre d'une volonté des parties qui a été 3 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André clairement exprimée de manière claire et précise. A défaut, il y aurait dénaturation. Elle apparaît à ce point grave que, par exception, elle ouvre à une censure possible de la Cour de cassation. Dans une longue série d'arrêts, elle a affirmé que « s'il appartient aux juges du fait de déterminer le sens et la portée des conventions des parties et de rechercher leur intention, ce pouvoir ne saurait aller jusqu'à dénaturer ces conventions lorsqu'elles sont claires et précises et ne comportent aucune interprétation » (Civ. 30 novembre1892). Le principe d’une interdiction de la dénaturation vaut du reste non seulement pour les contrats mais aussi pour tous les actes juridiques privés. Sa mise en œuvre appelle trois séries de précisions. D’abord, ce contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation procède de l'idée qu'en dénaturant le contrat, sous couleur de l'interprétation, le juge refuse de l'appliquer et viole ainsi l'article 1134, alinéa 1er, du code civil (d'où la compétence de la Cour de cassation, dans un domaine qui semble factuel au premier abord). Ensuite, et précisément, cela suppose qu'il n'y ait vraiment pas matière à interprétation, ce que ne permet pas une clause claire et précise. Néanmoins, la Cour de cassation se réserve le contrôle de ce qui est « clair et précis ». Enfin, la portée de la règle revêt une double face : en présence d'une clause apparemment uploads/S4/ corrige-civil-dissertation-2014.pdf

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  • Publié le Mai 07, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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