De l’influence (néfaste) de la diplomatie sur le droit pénal international fran
De l’influence (néfaste) de la diplomatie sur le droit pénal international français : à propos de l’arrêt Ivan du 8 décembre 2009 Publié le : 9 juillet 2010 Adresse de l’article original : http://www.village-‐justice.com/articles/influence-‐nefaste-‐ diploamtie-‐droit,8216.html L’affaire Noriega vient de se solder par une condamnation de l’ancien dictateur panaméen par le Tribunal correctionnel de Paris à une peine de sept ans de prison pour "blanchiment" dans un jugement en date du 7 juillet 2010. Pourtant, comme nous le verrons, les règles du droit international public interdisent à une juridiction étrangère de poursuivre et condamner un chef d’État, peu important qu’il soit encore dans l’exercice de ses fonctions. L’arrêt Ivan rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 8 décembre 2009 (pourvoi n° 09-‐82.135, publié au bulletin, FS-‐F+P+I) [1] aboutissait, lui, à une solution totalement inverse concernant l’actuel président de la République de Croatie... A première vue, l’arrêt rendu le 8 décembre 2009 aurait pu sembler surprenant... Surprenant parce que le juge français a pour habitude de se reconnaître, de manière "très impérialiste" [2], une compétence internationale pour appliquer la loi pénale française sur le fondement du principe de territorialité [3]. Or, tel ne fut pas le cas dans la décision commentée ci-‐après. En l’espèce, en 2006, l’actuel président de la République de Croatie avait formulé des menaces de mort, depuis le sol croate, à l’encontre d’un avocat français lors d’une conférence de presse. Les menaces avaient ensuite été relayées sur le site internet officiel de la présidence de la République de Croatie. Et ce fut par ce site internet que le destinataire des menaces prit connaissance de ces dernières en France. Face à un échec d’une procédure initiée devant la justice croate (sic), il décida de formuler une plainte devant le procureur de la République française mais ce dernier lui fit savoir qu’il n’entendait pas engager de poursuites. L’avocat saisit alors la juridiction d’instruction qui refusa d’informer. La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, confirmant l’ordonnance de refus d’informer jugeait que les faits dénoncés avaient été commis à l’étranger, par un étranger, et que le juge français n’était dès lors pas compétent au motif de l’absence de réalisation d’un élément constitutif du délit sur le territoire français, le lieu de commission de l’infraction étant celui où les menaces ont été proférées et non pas le pays où elles ont ensuite été rapportées par la voie télévisée ou de presse écrite ou électronique et par lesquelles l’intéressé a pu en prendre connaissance en France. Dès lors, le principe de territorialité ne pouvait pas trouver à s’appliquer. Solution validée par la Cour de cassation. Si les magistrats sont arrivés à cette conclusion discutable selon nous, c’est parce qu’ils ont fait une application spécieuse du délit de menaces de mort, plus particulièrement en ce qui concerne l’élément matériel de l’infraction (1), la solution retenue remettant en cause la jurisprudence traditionnelle pour des raisons d’opportunité, au nom de la diplomatie (2). 1. La dénaturation de l’élément matériel du délit de menaces Pour localiser l’infraction lorsque le fait délictueux ne se situe pas exclusivement sur le territoire de la République, il convient de rechercher où les actes caractéristiqes de l’élément matériel se sont produits [4]. 1.1. Éléments du délit de menaces de mort D’emblée, il faut rappeler qu’il n’y a pas de définition légale de la menace. En effet, l’article 222-‐17 du code pénal qui prévoit et réprime ce délit reste muet sur ce point [5]. La Cour de cassation a donc pu juger que doit être considérée comme menace "tout acte d’intimidation qui inspire la crainte d’un mal" [6]. Cela peut être des propos propres à faire naître sérieusement chez la personne qui en est l’objet la crainte, l’appréhension pour sa sécurité personnelle ou des faits ayant le caractère d’actes d’intimidation [7]. En toute hypothèse, la Cour de cassation se réserve le contrôle de la qualification des actes de menaces [8]. Le délit de menaces est une infraction intentionnelle au sens de l’article 121-‐3 du code pénal qui suppose que son auteur les profère en sachant qu’elles sont de nature à porter atteinte à la sûreté morale de leur destinataire [9]. Il importe peu que l’auteur ait eu l’intention ou la possibilité de mettre sa menace à exécution [10]. Concernant l’élément matériel de l’infraction, il s’agit d’une infraction complexe composée d’un premier élément : des propos proférés à l’encontre d’une victime ; et d’un second : le trouble à la tranquillité né de ceux-‐ci. Ainsi, le délit de menaces ne saurait être constitué si les propos n’inquiètent pas leur destinataire [11]. Comme l’écrit un auteur, "la menace doit être celle d’un mal suffisamment considérable pour émouvoir la victime" [12] et donc revêtir une certaine gravité comme l’indique l’article 222-‐17 du code pénal. Très précisément, selon un arrêt fondamental datant de 1927 rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, l’infraction est consommée au moment où les menaces ont été reçues et le délit se matérialise au lieu où le destinataire en a eu connaissance [13]. Jurisprudence frappée au coin du bon sens à laquelle fait écho celle des juges du fond depuis plus d’un siècle. Ainsi, il n’est pas nécessaire que les menaces aient été adressées directement à la personne visée, dès lors, dans le cas où elles ont été prononcées hors de sa présence, il faut qu’elles soient parvenues à sa connaissance pour que le délit soit matériellement constitué [14]. 1.2. L’arrêt Ivan du 8 décembre 2009 : un arrêt de revirement en matière de délit de menaces de mort ? Par l’arrêt Ivan, les hauts magistrats ont apparemment opéré un revirement de jurisprudence en décidant qu’il y avait absence d’ "élément constitutif" du délit de menaces sur le territoire français (alors que la victime a pris connaissance des menaces de mort en France). Désormais, il y aurait tout lieu de croire que le délit de menaces est matériellement constitué au moment où les menaces sont proférées et donc au lieu où elles sont émises et non plus au moment où elles ont été reçues et donc au lieu où le destinataire en a eu connaissance. Ce revirement prend appui sur le raisonnement selon lequel, in fine, la matérialité du délit de menaces de mort ne réside plus qu’en la verbalisation de propos de nature à intimider une personne déterminée. Le résultat, à savoir l’atteinte à la sûreté morale de la victime lors de sa prise de connaissance desdits propos, et le lieu où il se produit sont indifférents à la caractérisation du délit dans la mesure où il est impossible de délier l’acte du lieu où il se réalise ! Dans ces conditions, il est possible de s’interroger sur le reflux de ce que la doctrine appelle l’extension du principe de territorialité par indivisibilité. En effet, en adoptant la solution rapportée (qui aurait du se cantonner à être un arrêt d’espèce compte tenu des enjeux diplomatiques sous-‐jacents et qui a pourtant été publié au bulletin), la Cour de cassation a refoulé la théorie de l’ubiquité à laquelle le juge pénal français est pourtant traditionnellement enclin [15]. Cette théorie commande que le délit se localise tant par le lieu de l’accomplissement du fait générateur que par celui de la réalisation du dommage [16]. Il est certain que l’arrêt Ivan du 8 décembre 2009 marque un coup d’arrêt à l’impérialisme de la compétence juridictionnelle française, renforçant au passage la théorie de l’action selon laquelle seul le fait générateur de l’infraction et non le résultat caractérise l’élément matériel du délit [17]. 2. Les raisons diplomatiques qui ont influencé la décision de la Cour de cassation 2.1. L’immunité du chef de l’État étranger délinquant : une solution en défaveur de la victim Sur le terrain de la compétence internationale du juge français, outre que l’affirmation de la Cour de cassation revient à écarter l’application du principe de territorialité, elle dessert la victime en conditionnant la protection offerte par le juge pénal français au bon vouloir du Parquet, royaume de l’opportunité. En effet, vouloir éviter l’application du principe de territorialité dans les circonstances rapportées entraine l’application des articles 113-‐7 et 113-‐8 du code pénal, en d’autres termes : celle du régime propre aux infractions commises hors du territoire de la République qui prévoir expressément que la poursuite du délit ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public [18]. Le principe d’opportunité des poursuites fait le reste [19] : le procureur de la République estimait que des poursuites ne sauraient être engagées s’agissant de faits reprochés à un chef d’Etat étranger en exercice qui, en raison de l’immunité résultant de ses fonctions, ne peut être poursuivi devant une juridiction française. L’immunité pouvant être définie comme "une cause d’impunité définitive ou temporaire" [20]. 2.2. Précédents Au Royaume-‐Uni, Lord Millet, à l’occasion de l’affaire Pinochet [21], avait pu déclarer dans un arrêt rendu par la Chambre des Lords en 1999 qu’aucun système raisonnable de justice pénale ne peut accorder une immunité à ce qui est consubstantiel au crime [22]. Mais sans uploads/S4/ droit-penal-international-cass-crim-8-decembre-2009-pourvoi-n0-09-82-135-commente-par-jonathan-quiroga-galdo.pdf
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- Publié le Jui 07, 2022
- Catégorie Law / Droit
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