BANQUE DES MEMOIRES Master de Droit privé général Dirigé par M. le professeur L

BANQUE DES MEMOIRES Master de Droit privé général Dirigé par M. le professeur Laurent LEVENEUR 2020 La caractérisation de l’intention frauduleuse François EXPERT Sous la direction de M. le professeur Pierre-Yves GAUTIER 2 TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION............................................................................................................... 3 Section 1 – Définition et source du correctif fraus omnia corrumpit ................................................................................. 3 Section 2 – Caractérisation de l’intention frauduleuse : nécessité et difficultés .......................................................... 6 TITRE 1 – DÉFINITION DE L’INTENTION FRAUDULEUSE .................................. 8 CHAPITRE 1 – DÉFINITION GÉNÉRALE ............................................................................ 8 Section 1 – Définition classique : volonté d’éluder une règle obligatoire..................................................................... 8 Section 2 – Limites de cette définition dans la jurisprudence ...................................................................................... 15 Section 3 – Proposition de définition : volonté de parvenir à un résultat illégitime ................................................ 17 Chapitre 2 – DÉFINITIONS PARTICULIÈRES ...................................................................... 19 Section 1 – Volonté d’éluder une règle obligatoire ........................................................................................................ 19 Section 2 – Volonté de porter atteinte aux droits ou intérêts d’autrui ........................................................................ 26 Section 3 – Simple conscience du préjudice causé ......................................................................................................... 28 Section 4 – Autres définitions particulières ..................................................................................................................... 33 TITRE 2 – PREUVE DE L’INTENTION FRAUDULEUSE ......................................... 35 CHAPITRE 1 – OBJET DE LA PREUVE .................................................................................35 Section 1 – Preuve de l’intention frauduleuse de l’auteur de la fraude ....................................................................... 35 Section 2 – Preuve de l’intention frauduleuse d’un éventuel complice ...................................................................... 36 CHAPITRE 2 – CHARGE ET RISQUE DE LA PREUVE ......................................................40 Section 1 – Principe : « la fraude ne se présume pas » .......................................................................................................... 40 Section 2 – Aménagements de la charge de la preuve ................................................................................................... 40 CHAPITRE 3 – MODES DE PREUVE : JEU DES PRÉSOMPTIONS JUDICIAIRES .........46 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. 61 Ouvrages généraux et manuels .......................................................................................................................................... 61 Thèses ..................................................................................................................................................................................... 62 Mélanges ................................................................................................................................................................................ 62 Articles.................................................................................................................................................................................... 63 3 INTRODUCTION Fraus omnia corrumpit : la fraude corrompt tout. Cet adage, apparu sous sa forme latine dans la seconde moitié du XIXè siècle1 mais précédé dans la jurisprudence par la maxime selon laquelle « la fraude fait exception à toutes les règles »2, exprime la réprobation du droit vis-à-vis de certains agissements qualifiés de « fraudes », qui pêchent par un excès de ruse ou de déloyauté. Érigé au rang de principe général du droit, il permet de faire exception à l’application normale des règles juridiques, lorsque cette application aurait pour effet de consolider un résultat inadmissible pour l’ordre juridique dans son ensemble. C’est en ce sens qu’il est régulièrement qualifié de « correctif », de « garde-fou »3 : refusant au fraudeur le bénéfice d’une règle de droit dont les conditions étaient pourtant réunies, le principe fraus omnia corrumpit constitue « un moyen de garder le contrôle de l’application des normes juridiques en permettant d’y déroger au nom de la sauvegarde du droit tout entier »4. Il convient de définir ce correctif et de préciser sa place parmi les sources du droit (Section 1) avant de souligner l’importance de son élément moral, l’intention frauduleuse, et d’introduire les questionnements qui s’y attachent (Section 2). Section 1 – Définition et source du correctif fraus omnia corrumpit §1 – Fraude lato sensu et fraude stricto sensu Fraude lato sensu. Dans une acception large qui est aussi son sens courant, le mot fraude désigne tout « acte de mauvaise foi et de tromperie »5, tout « acte malhonnête fait dans l'intention de tromper en contrevenant à la loi ou aux règlements »6. C’est en ce sens que la loi elle-même prend l’expression, lorsqu’elle réprime les fraudes fiscales, les fraudes douanières, les fraudes aux examens, les fraudes électorales. Les actes matériels ainsi incriminés sont des actes non seulement trompeurs et malhonnêtes, mais 1 Selon H. Roland et L. Boyer (Adages du droit français, LexisNexis, 1999, « Fraus omnia corrumpit »), l’adage fraus omnia corrumpit, en dépit de sa formulation latine, serait apparu pour la première fois dans une note anonyme publiée au recueil Dalloz sous un arrêt de cassation daté de 1855 relatif à la transcription d’une cession immobilière : « Attendu que la fraude fait exception à toutes les règles ; que si la transcription a été faite par suite d'un concert frauduleux entre le vendeur et l'acquéreur, elle ne peut produire aucun effet » (note sous Civ., 26 mars 1855, DP, 1855, 1, spéc. p. 326). Ce n’est que bien plus tard, en 1954, que l’adage est apparu sous la plume de la Cour de cassation (Civ. 2, 7 janv. 1954, Bull. civ. II, n° 2). La maxime paraît en revanche « n’avoir jamais eu cours en droit romain » (H. Barbier, J. Ghestin, Traité de droit civil, Introduction générale : Droit objectif et droits subjectifs, sources du droit, t. I, LGDJ, 5è éd., 2018, n° 809) même si l’idée de fraude était déjà présente (J. Vidal, Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français, Dalloz, 1957, p. 11) L’adage fraus omnia corrumpit a été devancé par une formule de portée générale formulée par Cujas au XVIè siècle : « fraus semper excepta videtur » (« la fraude fait toujours exception à la règle » ; voir not. H. Barbier, J. Ghestin, op. cit., n° 809). 2 La première occurrence semble se trouver dans l’arrêt Cass. req., 3 juill. 1817, S. chr. 1815-1818, I, 342 : la fraude « fait exception à toutes les règles faites pour les cas ordinaires ». 3 Voir par ex. P. Sargos, « Les principes généraux du droit privé dans la jurisprudence de la Cour de cassation, les garde-fous des excès du droit », JCP, 2001, I, 306. 4 H. Barbier, J. Ghestin, op. cit., n° 812. 5 É. Littré, Dictionnaire de la langue française. 6 Dictionnaire Larousse de la langue française. 4 surtout illicites. Aussi peuvent-ils être sanctionnés sans que le fondement de cette sanction soulève aucune difficulté. Fraude stricto sensu. La notion de fraude au sens de l’adage fraus omnia corrumpit possède quant à elle une signification bien plus restreinte – ou au contraire plus large ? – et spécifique. Il y a fraude, en ce sens, lorsqu’une personne, faisant jouer les règles de droit les unes contre les autres7, parvient à un résultat illégitime par l’emploi d’un moyen en apparence irréprochable du point de vue du droit objectif. L’acte matériel réalisant une fraude, dans le sens strict de cette notion, est « régulier en soi » ou « en tout cas non sanctionné d’inefficacité »8 : il est parfaitement licite et ne donne lieu, a priori, à aucune sanction ni civile, ni pénale. À la différence de la violation de la loi, la fraude ne suppose donc la transgression d’aucune règle de droit. Comme le souligne J. Vidal : « Le problème de la fraude ne se pose que dans la sphère d’application du principe "Tout ce qui n’est pas défendu est permis". »9 Lorsqu’un justiciable méconnaît directement une interdiction, une prescription ou une obligation qui lui est applicable, nul n’est besoin de recourir à la théorie de la fraude : il suffit aux juges d’identifier cette violation et de la sanctionner. Le correctif fraus omnia corrumpit n’a pas non plus vocation à s’appliquer en cas de simple jeu sur la qualification d’un acte juridique, ni même en cas de simulation. Lorsque le justiciable, soucieux d’éluder l’application de certaines des règles composant un régime juridique, donne à son acte une qualification inexacte, plus favorable, il suffit aux juges de restituer à cet acte sa véritable qualification10. Lorsque le même justiciable, plus audacieux, simule un acte juridique « apparent » destiné à maquiller la réalité de son opération, l’action en déclaration de simulation, ayant pour effet de rendre l’acte simulé inopposable aux tiers, suffit à sanctionner la manœuvre sans qu’aucune fraude ne doive être démontrée. Le principe fraus omnia corrumpit n’a donc vocation à s’appliquer qu’à titre « subsidiaire », non pas au sens où il ne pourrait être invoqué qu’en tant que prétention « subsidiaire » dans une assignation ou les conclusions d’une partie, mais dans la mesure où, comme le souligne J. Vidal, « le problème de la fraude ne se pose qu’in extremis, lorsqu’un résultat contraire au droit est atteint sans que soient encourues les sanctions de la violation de la règle qui l’interdit, ou du moins lorsque la mise en œuvre de ces sanctions ne permet pas d’attaquer ce résultat »11. L’action (ou l’exception) de fraude, qui tend à combler les lacunes de l’ordre juridique, n’a vocation à s’appliquer qu’en dernier ressort, lorsque ni la sanction d’une 7 H. Barbier, J. Ghestin : « Il s’agit, en somme, de faire jouer les lois les unes contre les autres et ceci non pas fictivement mais en déclenchant véritablement un mécanisme apte à produire le résultat escompté ; de sorte que si on laissait fonctionner normalement les règles de droit, la ruse serait couronnée de succès. » (op. cit., n° 812). 8 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 13è éd., 2020, « Fraude ». 9 J. Vidal, op. cit., p. 120. 10 C. pr. civ., art. 12, al. : « [Le juge] doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en uploads/S4/ expert-francois-memoire-2020.pdf

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  • Publié le Aoû 03, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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