1 L’INDÉPENDANCE DU POUVOIR JUDICIAIRE À L’ÉGARD DU POUVOIR EXÉCUTIF AU CONGO-K

1 L’INDÉPENDANCE DU POUVOIR JUDICIAIRE À L’ÉGARD DU POUVOIR EXÉCUTIF AU CONGO-KINSHASA Introduction Au cours d’un point de presse du 29 août 20081, le Ministre congolais de la Justice et des droits humains du Gouvernement Gizenga II a fait un constat amer sur le fonctionnement du Pouvoir judiciaire congolais. Pour lui, « des magistrats rendent des jugements iniques et se compromettent dans les corruptions ». Et d’ajouter : « On ne peut pas refuser d'appliquer la loi parce qu'on est mal payé. Tout magistrat qui se compromet dans un jugement doit trouver mieux ailleurs ». Et de surenchérir : « Le droit n'est pas dit comme il doit l'être. Chacun fait ce qu'il veut. Quand vous dites, je ne suis pas bien payé, donc je n'applique pas le droit. Meilleur conseil, c'est de trouver mieux ailleurs ». Le Ministre de la Justice avait promis « des sanctions contre les magistrats qui ne disent pas le droit comme il se doit ». De tous ces propos, on peut retenir deux choses : la première est la gangrène qui frappe le Pouvoir judiciaire du Congo dont les magistrats sont mal payés et n’accomplissent pas leur fonction juridictionnelle, mais se livrent à des pratiques de corruption. La seconde est la promesse de sanctions par le Ministre, membre du Pouvoir exécutif, contre les magistrats, membres du Pouvoir judiciaire. Dès lors, deux questions étroitement liées peuvent se poser. Elles sont relatives à l’effectivité de l’indépendance des magistrats et à celle de l’impartialité des juges. L’étude de cette double question passe d’abord par l’examen du lien organique existant entre le ministère de la Justice et le Pouvoir judiciaire (1). Elle sera suivie par la recherche de quelques moyens à utiliser pour conquérir l’effectivité de l’indépendance (2) et de l’impartialité (3) du Pouvoir judiciaire. 1 Lire l’intégralité de ce point de presse sur : http://www.justice.gov.cd/j/index.php?option=com_content&task=view&id=96&Itemid=45 2 1. Le ministère de la Justice et le Pouvoir judiciaire Le ministère de la Justice est l’administration centrale chargée de la gestion du service public de la Justice. Il est placé sous l'autorité du Ministre de la Justice, qui peut également porter le titre de garde des Sceaux, appellation qui, en France, remonte à l'Ancien Régime. Il n'exerce aucune fonction juridictionnelle. Il n'est pas un juge mais un administrateur. Sous ce titre, on rappellera les attributions du Ministre de la Justice (1.2) éclairées en amont par l’origine de cette fonction (1.1). Ensuite, sera appréciée la constitutionnalité de ces attributions (1.3). 1.1. L’origine du ministère de la Justice Le ministère de la Justice est né sous la Révolution française. Il prit la succession de la Chancellerie qui existait sous l'Ancien Régime et qui a été supprimée le 27 novembre 1790. Le Chancelier, premier des grands officiers de la couronne, présidait le Parlement, les cours souveraines et le Conseil du roi. Il était ainsi au-dessus des juridictions, mais comme le représentant du roi. Mais déjà le 21 novembre 1790, Louis XVI avait nommé Dupont- Dutertre « Ministre de la Justice, Garde des Sceaux de l'Etat ». Le Décret du 25 avril - 25 mai 1791 sur l'organisation du ministère définit ainsi ses compétences : -garder le sceau de l'Etat ; -sceller les lois, traités, patentes, provisions d'office, commissions et diplômes du gouvernement ; -exécuter les lois relatives à la sanction des décrets du corps législatif, à la promulgation et à l'expédition des lois; -assurer la correspondance avec les tribunaux et les commissaires du Roi ; -assurer la surveillance des juges ; -soumettre au corps législatif les questions relatives à l'ordre judiciaire et qui nécessitent l'interprétation de la loi ; -transmettre au Commissaire du Roi près le tribunal de Cassation les pièces et mémoires qui lui sont adressés, avec ses observations ; -fournir un compte-rendu annuel à la législature sur le fonctionnement de la Justice. 3 Très rapidement, le ministère s’est constitué autour de deux pivots : la division civile et la division criminelle qui prirent le titre de « direction » sous la Restauration. C’est l’ordonnance du 31 octobre 1830 qui a intégré au ministère de la Justice l'administration du Sceau -jusqu'alors assurée par la Commission du Sceau – en créant une division du Sceau au sein de la direction des affaires civiles. Autour de ces divisions fonctionnent un secrétariat général, un secrétariat particulier, des bureaux assurant les fonctions relatives au personnel et à la comptabilité, fonctions qui ne fusionneront que le 9 juin 1909 avec la création de la direction du personnel et de la comptabilité. Avec le Second Empire, apparaît le Casier judiciaire central : la circulaire du 6 novembre 1850 établit un Casier judiciaire au tribunal civil de chaque arrondissement tandis que la circulaire du 30 août 1856 établit un casier judiciaire central au ministère pour les condamnés d'origine étrangère ou ceux dont le lieu de naissance est inconnu2. On retiendra qu’à l’origine, le Ministre de la Justice était le mandataire du roi sur des questions relatives à la Justice. Comme celle-ci était rendue au nom du roi, le ministre qui l’avait en charge était également une autorité de surveillance des juges et assurait la présidence des juridictions. Il était un véritable membre du personnel judiciaire. Ces compétences originaires exercées au nom de la couronne, qui concentrait tous les pouvoirs en ses mains, gardent encore leurs traces dans les attributions actuelles du ministère congolais de la Justice3. 1.2. Les attributions du ministère de la Justice Les attributions du ministère de la Justice au Congo sont définies dans l’ordonnance présidentielle n° 07/018 du 16 mai 2007 fixant les attributions des Ministres4. À son article premier, let. B, ch. 9, cette ordonnance reconnaît au ministère de la Justice, entre autres attributions, l’administration de la Justice. Par administration de la justice, l’ordonnance entend : -l’exercice du pouvoir réglementaire ; -le contrôle des activités judiciaires ; 2 http://www.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10050&ssrubrique=10289&article=11905 et http://www.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10017. 3 À rappeler que le droit congolais s’inspire, dans ses grands principes, du droit français, directement ou par le biais du droit belge. 4 On trouve également ces attributions sur le site du ministère de la Justice : http://www.justice.gov.cd/. 4 -la surveillance générale sur le personnel judiciaire ; -la garde des sceaux et le suivi des réformes institutionnelles. La compétence d’administrer la justice place le Ministre de la Justice, membre du Pouvoir exécutif au-dessus du Pouvoir judiciaire, comme si celui-ci était une parcelle de celui-là. Elle fait du Ministre de la Justice l’autorité de surveillance et de contrôle du Pouvoir judiciaire, en violation du principe de l’indépendance de la Justice5. Certes, la séparation des pouvoirs veut que le pouvoir limite le pouvoir par le biais d’un contrôle mutuel. Mais, c’est un contrôle visant l’équilibre des pouvoirs et non une immixtion d’un pouvoir dans l’activité essentielle de l’autre6. C’est dans cette perspective que les actes de gouvernement, par exemple, échappe au contrôle juridictionnel au contraire des actes administratifs7. Pourquoi en serait-il autrement de la juridiction (fonction de dire le droit) qui est l’activité essentielle du Pouvoir judiciaire ? De toutes les façons, subordonner le Judiciaire à l’Exécutif est une entorse à la Constitution. 1.3. La constitutionnalité des attributions du ministère de la Justice au Congo Pour être conformes à la constitution, les attributions du ministère de la Justice devraient être réduites à l’exercice du Pouvoir exécutif. On combinerait ainsi harmonieusement les deux conceptions de la séparation des pouvoirs, à savoir l’indépendance et la spécialisation des pouvoirs8. Cette combinaison peut découler de l’interprétation systématique de la Constitution congolaise qui, tout en affirmant l’indépendance du Pouvoir judiciaire à l’égard 5 À noter que des relations peu claires entre le Ministre de la Justice et le Pouvoir judiciaire ont amené Rachida Dati, alors Ministre française de la Justice, à des immixtions dans l’exercice du Pouvoir judiciaire entraînant en octobre 2008 une grève des magistrats en guise de protestation. De plus, le 13 juillet 2009, les deux principaux syndicats de magistrats, l'Union syndicale de la magistrature (USM, majoritaire) et le Syndicat de la magistrature, ont critiqué l’actuelle ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, qui a demandé et obtenu un appel du parquet contre le verdict du procès de l'affaire Halimi. Tout en reconnaissant que le garde des Sceaux a légalement le droit de donner des consignes générales de politique pénale et des instructions dans des affaires particulières par écrit, ils estiment que l'utilisation extensive de ce pouvoir contredit le principe constitutionnel d'indépendance de la justice (cf. http://fr.news.yahoo.com/4/20090713/tts-france-halimi-magistrature- ca02f96.html). Ces réactions constituent un signal appelant à rendre effectif le principe de l’indépendance du Pouvoir judiciaire sans lequel il n’existe pas une séparation effective des pouvoirs. Cette dernière étant, à notre avis, la condition nécessaire d’un État de droit, elle doit être concrétisée dans toutes les rapports entre les différentes fonctions et les différents organes étatiques. 6 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois ; avec des notes de Voltaire, de Crevier, de Mably, de la Harpe, etc. Nouvelle édition sur les meilleurs textes, suivie de la défense de l’esprit des lois par l’auteur, Garnier, Paris 1869, p. 142 ; D. CHAGNOLAUD, Droit constitutionnel contemporain, Dalloz, Paris 1999, p. 59 et 61. 7 uploads/S4/ independance-du-pouvoir-judiciaire-rdc-2 1 .pdf

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  • Publié le Apv 18, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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