L’argument de droit comparé en droit administratif français Extrait de l’ouvrag

L’argument de droit comparé en droit administratif français Extrait de l’ouvrage collectif L’argument de droit comparé en droit administratif français, Bruylant, 2007. S’interroger sur l’argument de droit comparé en droit administratif pourra sembler, au moins pour un juriste français, largement incongru. D’abord parce que sa conception du métier de juriste se réduit parfois à une posture exclusivement technicienne. Or la recherche ici menée amène inévitablement à opérer une sorte de discours sur le discours des acteurs juridiques et une telle posture est souvent tenue pour vaine voire vaniteuse par une doctrine française davantage charmée par la seule analyse normative et technicienne. S’interroger sur les sources d’inspiration de tel ou tel projet de réforme, d’un arrêt, d’une loi ou éventuellement d’une construction doctrinale est indéniablement une opération de nature différente de celle consistant à offrir une présentation ordonnée de la jurisprudence ou du droit écrit. Bref, en n’étudiant pas uniquement des normes du point de vue de la stricte technique juridique, on sortirait pour certains du champ réservé à la « science » du droit. On ne ferait plus du droit mais autre chose souvent tenue pour négligeable. Cet ouvrage repose sur une conviction diamétralement opposée, fermement exprimée par Duguit en son temps : « Si le rôle du professeur de droit devait se borner à commenter les lois positives, il ne vaudrait pas une minute d’effort et de travail. La mission des Facultés de droit va encore plus loin. Elles sont, elles doivent être des Facultés de sciences sociales »1. Ensuite, parce que l’administrativiste français est…français et qu’il est indéniable que l’argument de droit comparé (entendu comme l’invocation d’un ou plusieurs exemples étrangers pour justifier une évolution du droit positif, un projet de réforme ou même l’adoption d’une construction 1 Leçons de droit public général, De Boccard, 1926, p.27-28. 1 doctrinale) a joué un rôle historiquement très faible dans l’élaboration du droit administratif français sauf peut-être pour servir de repoussoir. Or, autant un juriste allemand (qu’on songe à la manière dont Otto Mayer2 a importé et adapté en Allemagne à la fin du XIXème siècle les constructions françaises avant que le droit allemand ne suive une voie différente et ne serve aujourd’hui de modèle), ou mieux encore un juriste italien, espagnol, grec ou belge sont culturellement habitués à étudier ce qui se passe à l’extérieur de leurs frontières pour éventuellement s’en inspirer, autant les administrativistes français, parce que leur droit était historiquement en avance sur celui des autres pays comparables et correspondait bien aux besoins du moment (assurer le bon fonctionnement d’un Etat fort en offrant aux administrés des garanties minimales), n’ont jusqu’à il y a quelques années pas eu besoin ou plus exactement très peu eu besoin d’aller voir ailleurs3 sauf pour constater l’influence de leur droit national ou critiquer les lacunes des droits étrangers. Les temps ont toutefois bien changé, les imitations de modèles étrangers se multipliant4. Et sans qu’il soit ici question de participer au très discuté chœur contemporain des « déclinologues » prédisant l’affaiblissement de notre modèle social, de notre Etat (et donc de notre droit administratif tant ce dernier est avant tout « l’ombre de l’Etat éclairé par la lumière du siècle »5), il convient d’évaluer ce phénomène et d’en proposer une étude. Tel est l’objet de cet ouvrage issu d’un séminaire organisé par le Centre d’Etudes et de Recherches Comparatives sur les Constitutions, les Libertés et l’Etat (CERCCLE) en septembre 2005 dans le cadre de la semaine du droit comparé de l’Université Montesquieu-Bordeaux IV. S’y mêlent études 2 Francine Graff, Otto Mayer et la théorie du droit administratif français en Allemagne, thèse Strasbourg III, 1989. 3 Voir cependant les exemples étudiés par Roger Errera, The use of comparative law before the french administrative law courts, in Guy Canivet, Mads Andenas et Duncan Fairgrieve, dir., Comparative law before the courts, The british institute of international and comparative law, 2004, p.153-163. Voir également l’analyse de Jean Rivero, Droit administratif français et droits administratifs étrangers, in Livre du centenaire de la société de législation comparée, 1969, spécialement p.206-209. 4 Voir la recension incomplète opérée in Fabrice Melleray, L’imitation de modèles étrangers en droit administratif français, AJDA, 2004, p.1224. 5 Jean Boulouis, Supprimer le droit administratif ?, Pouvoirs, 1988, n°46, p.12. 2 générales et analyses thématiques plus précises afin d’évaluer les ressorts, les canaux et la pertinence du recours au droit comparé en matière administrative. Il ne s’agit nullement de dresser un réquisitoire contre l’utilisation du droit comparé ou de développer une forme de gallicanisme juridique en considérant sans nuance à la manière de Larnaude6 qu’il n’y a « rien de plus dangereux que les emprunts au droit étranger pour le droit public »7. Bien au contraire, l’élaboration de ce séminaire repose sur l’idée suivant laquelle le droit comparé peut être une source essentielle d’inspiration pour améliorer le droit français8. Il ne s’agit pas davantage de regretter le temps révolu où le « modèle » français de droit administratif était quasi exclusivement un produit d’exportation et de constater qu’il importe désormais plus volontiers des constructions étrangères. Cela n’aurait aucun sens pas plus que d’affirmer que l’on assisterait aujourd’hui au triomphe du droit anglo-saxon. Bien au contraire, et comme le démontre un récent ouvrage9, l’heure n’est pas au triomphe d’une tradition juridique sur les autres mais bien davantage au métissage des systèmes juridiques. Il n’y a donc ni nostalgie ni dénonciation d’un prétendu impérialisme étranger dans le projet à l’origine de cet ouvrage. Mais il y a par contre la conviction qu’il convient de ne pas tomber dans un excès qui consisterait, par effet de mode ou par calcul, à tenir pour vérité d’évangile tout argument comparatiste. Une chose est en effet de s’apercevoir que les pouvoirs publics, les groupes de pression ou encore la doctrine citent de manière de plus en plus fréquente des exemples étrangers pour justifier une réforme (qu’il s’agisse d’une simple proposition ou d’un projet mené à terme), une autre est de s’interroger sur la pertinence de ces références. Autrement dit, s’agit-il suivant les cas d’un argumentaire reposant sur une 6 Qui était d’ailleurs, mais c’est une autre question, beaucoup plus nuancé et beaucoup plus ouvert au droit comparé que ne le laisse supposer la citation qui suit. 7 Ferdinand Larnaude, Droit comparé et droit public, RDP, 1902, volume XVII, p.5. 8 Et ce d’autant plus que l’on assiste à une croissance exponentielle de l’information disponible. Voir Amandine Garde et Michael Haravon, La circulation de l’information juridique en Europe : plus de moyens pour apréhender les différences, D., 2006, p.405. 9 Bernard Stirn, Duncan Fairgrieve et Mattias Guyomar, Droits et libertés en France et au Royaume-Uni, Odile Jacob, 2006. 3 réelle analyse comparative et sur la démonstration qu’une « greffe juridique » est possible ou s’agit-il au contraire d’une analyse naïve, superficielle voire abusive ? Bref, assiste-t-on simplement à une instrumentalisation croissante du droit comparé afin de donner à un argumentaire une légitimité supposée accrue ou cet emploi est-il le plus souvent pertinent, maîtrisé et judicieux ? Dès lors oui, cent fois oui au droit comparé mais non, mille fois non, à une utilisation mal maîtrisée, gadgétisée du droit comparé chose aujourd’hui (peut-être plus qu’hier) trop sérieuse pour être utilisée sans précautions. Mais il faut pour arriver à cette conclusion mesurer l’importance d’une évolution historique où l’on est assez brutalement passé du droit comparé comme moyen de célébrer le droit administratif français au droit comparé comme vecteur de sa remise en cause. Croire que le droit administratif comparé est en France une absolue nouveauté serait d’ailleurs une erreur grossière et ne révèlerait rien d’autre qu’une méconnaissance de la littérature juridique classique. Pour autant, on ne fait assurément pas du droit comparé de la même manière aujourd’hui qu’hier ou avant hier. On peut, au risque d’être exagérément schématique et en s’en tenant à la doctrine administrativiste moderne (autrement dit à partir de Laferrière et Hauriou10), distinguer trois étapes, trois temps. I. Le temps de la justification Il s’agit au départ pour la plupart des auteurs utilisant la démarche comparative de s’en servir pour expliquer l’originalité du droit administratif français, c’est-à-dire historiquement la dualité de juridictions et la place occupée par le Conseil d’Etat et par le droit que ce dernier a très largement façonné. 10 Voir en ce sens René Chapus pour qui Laferrière « a fondé l’étude scientifique du contentieux administratif (ainsi que celle du droit administratif) » (Droit du contentieux administratif, 12ème éd., 2006, n°5). 4 Il suffit pour s’en convaincre de relire le Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux d’Edouard Laferrière dont la première édition en deux tomes date de 1887-188811. Après un chapitre premier d’une vingtaine de pages où le vice-président du Conseil d’Etat12 présente quelques « notions générales » relatives au système français de justice administrative, il consacre 80 pages à l’étude de la « législation comparée » et ce avant même d’étudier ensuite longuement l’ « histoire de la juridiction administrative en France ». Il y distingue les pays se rapprochant le plus de la France puis uploads/S4/ l-x27-argument-de-droit-compare-en-droit-administratif-fracais 1 .pdf

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  • Publié le Mar 09, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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