Études photographiques 17 | Novembre 2005 Exportations de la photographie / L'i

Études photographiques 17 | Novembre 2005 Exportations de la photographie / L'image fétiche L’image dans le prétoire Usages du document filmé chez Fritz Lang et Stanley Kramer Christian Delage Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/752 ISSN : 1777-5302 Éditeur Société française de photographie Édition imprimée Date de publication : 25 novembre 2005 Pagination : 44-66 ISBN : 2-911961-17-x ISSN : 1270-9050 Référence électronique Christian Delage, « L’image dans le prétoire », Études photographiques [En ligne], 17 | Novembre 2005, mis en ligne le 17 septembre 2008, consulté le 22 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ etudesphotographiques/752 Ce document a été généré automatiquement le 22 avril 2019. Propriété intellectuelle L’image dans le prétoire Usages du document filmé chez Fritz Lang et Stanley Kramer Christian Delage NOTE DE L’ÉDITEUR Maître de conférences à l’université Paris VIII, Christian Delage a récemment publié, avec Vincent Guigueno, l’ouvrage L’Historien et le film, Paris, Gallimard, Folio histoire, 2004. Cet article est issu d’un ouvrage en préparation sur le statut de l’image comme preuve et les procès filmés comme médiation de l’histoire à paraître en 2006 aux éditions Denoël. 1 Dans leur souci de faire valoir les films comme des sources à part entière, les historiens ont souvent dû, bien davantage que pour d’autres types de documents, en légitimer l’intérêt et, surtout, en définir le statut de vérité. Cette démarche n’a pas toujours rencontré le meilleur accueil lorsqu’il s’agissait d’établir une méthode solide permettant la socialisation des images animées au sein de la communauté des chercheurs. Les subjectivités respectives du cinéaste et de l’historien circonscrivaient le champ de l’analyse au registre des “représentations”. Cependant, même dans cette perspective, ce n’est pas le terrain de la création, de l’écriture cinématographique, qui est privilégié, mais celui de la réception, dans la mesure où elle atteste la diffusion massive, au sein des sociétés, desdites représentations ou une fortune critique particulière. 2 L’historien peut néanmoins se trouver parfois dans une situation où ce n’est pas lui qui, en priorité, institue l’historicité d’un document et détermine sa valeur “véritative”, mais d’autres foyers, qui agissent en prise plus ou moins directe sur l’événement, et dont l’autorité s’impose à la communauté sociale dont elles émanent. Ce fut le cas pour l’instance judiciaire mise en place par les Alliés lors de la sortie de guerre en 1945, marquée par une double innovation : à la création d’un tribunal international (TMI) pour juger les dignitaires nazis correspondit simultanément la décision, en raison de l’échelle inédite des crimes de masse qu’ils avaient délibérément commis, d’inclure à part entière L’image dans le prétoire Études photographiques, 17 | Novembre 2005 1 les films dans la recherche des preuves à charge et de faire entrer l’image dans le prétoire. Ces deux initiatives sont dues principalement, mais non exclusivement, aux États-Unis. 3 Dès 1901, il est possible de trouver dans certaines affaires judiciaires américaines la mention qu’« une carte ou une photographie, sous réserve de se référer correctement à l’événement qu’elle relate, est une preuve acceptable, même si elle a été faite spécifiquement pour l’objet du procès1 ». En général, priorité est donnée à la « real evidence », ainsi définie par Richard Lea Kennedy en 1935 : 4 Les « representative real evidence » n’interviennent qu’en second dans la hiérarchie des preuves acceptables et présentables en audience. Considérées comme telles, les « photographs, including X-ray photographs, maps, charts, plans, models, diagrams, sketches, etc., are admissible (subject usually to the rules governing secondary evidence) where evidence of the physical characteristics of the person, place or thing they represent is relevant and material, if they are duly authenticated, by any one having knowledge, as being correct representations3 ». 5 En se penchant sur le cas le plus significatif en la matière, les affaires d’accidents de personnes où les plaignants ont recours à des films médico-légaux, un juriste, Pierre R. Paradis, a reconstitué l’évolution des règles d’acceptation et de présentation, en audience, de documents filmiques4 et définit ainsi les précautions particulières qui devaient être prises : 6 Procédure pour authentifier le film : Garantie de l’authenticité. Identification de ce qui figure à l’image. Exactitude des faits rapportés. Conformité de la vitesse de l’enregistrement et de la projection. Liberté d’appréciation par la cour de la recevabilité du film comme preuve. Conditions de projection du film avant le procès. ProjectionBest Evidence Rule.Notice to the Opposing Party.Enticement.Continuity of Film. Continuity of Action. Cumulative Evidence. Weight. Hearsay. Gruesomeness. Uses. Tactics. 7 Il s’avère en général préférable que la prise de vues ait été faite par un professionnel, mais ce n’est pas une obligation. En revanche, il est impératif que son auteur puisse être présent à l’audience pour témoigner (Authenticating Witness) ou, à défaut, toute personne ayant assisté au tournage : dans ce cas, il faut donner le nom de la personne, le type de caméra utilisée, les circonstances dans lesquelles la vue a été prise, et certifier que « the pictures were a true and correct likeness of the things he saw at the time they were taken5 ». Pierre Paradis imagine ainsi le questionnaire modèle garantissant la recevabilité d’un film comme preuve : 8 « – Did you take these rolls of film, which I now hand you, marked Defendant’s Exhibit 12 and Defendant’s Exhibit 13 ? — Yes. — Would you tell us when and where you took them ? L’image dans le prétoire Études photographiques, 17 | Novembre 2005 2 — I took them at various intervals on June 26 and 27 of this year at the site of the new Bedrock Medical Center construction. — And what did you take these pictures of ? — I photographed Mr Frederick Flintstone performing various odd jobs. — That’s the man sitting on your left at the plaintiff’s table ? — Yes. — Have you seen these films projected ? — I have. — Do they accurately represent the activities of Mr Flintstone which you observed on June 26 and 27 ? — Yes. They do6. » 9 L’affirmation par un témoin de l’authenticité de l’origine des images présentées est déterminante. Elle dépend de l’examen des bobines acheminées au tribunal, pour permettre, le cas échéant, de déterminer si, dans la chaîne qui va du développement du négatif au tirage d’une ou plusieurs copies de diffusion, des modifications sont intervenues. D’autres paramètres, internes au film lui-même, entrent également en jeu : il convient ainsi de porter attention à tout ce qui, dans la prise de vues, peut modifier la physionomie des personnages (échelle des plans), le rythme de leur pas (vitesse de déroulement de la pellicule dans la caméra ou usage de travellings), la continuité d’une action dans laquelle ils sont impliqués (ellipses, raccords). Bien entendu, les magistrats sont conscients que la technique cinématographique altère la qualité des êtres ou des objets représentés : un gros plan de visage, projeté sur un écran large, exprimera des sentiments, des attitudes, de manière plus accentuée ou visible7. 10 La police de Chesterfield, qui essayait en 1936 d’obtenir des preuves par l’image de trafics opérés dans la rue par des bookmakers, installa une caméra cachée dans une voiture pour prendre sur le fait les contrevenants. Invité à réagir sur l’intérêt de cette nouvelle technique utilisée par leurs collègues américains, Scotland Yard « said they had considered the idea but discarded it as impractical. There certainly would appear to be many technical snags. If the police-car is travelling at high speed, the vibration would almost certainly reduce the picture to a blur. And who will check the camera speed ? The most innocuous driving looks dangerous when the camera is turning slow8 ! ». En revanche, la caméra n’offre aucune difficulté de lecture lorsqu’elle surveille des personnes à leur insu et qu’elle contribue à leur identification : le FBI eut ainsi recours à des caméras cachées pour espionner l’ambassade allemande à Washington avant le début de la Deuxième Guerre mondiale. À partir des images saisies, il « examined the films to obtain automobile licences, peculiarities of dress and other possible leads ». Gardée secrète, l’information fut révélée peu avant la sortie en salles d’un film d’espionnage sur l’infiltration d’agents nazis aux États-Unis, La Maison sur la 92e Rue (House on 92nd Street, Henry Hathaway, 1945)9. 11 Ajoutés les uns aux autres, les divers cas repérés par Paradis ont abouti à une sorte de jurisprudence, généralement fondée sur la constatation que le film ne doit pas être une « preuve redondante » et que, par le mouvement qui le caractérise, il apporte quelque chose de plus qu’une image fixe : « En règle générale [...], les films [...] sont admis comme pièces à conviction, à la discrétion du tribunal, lorsqu’ils concernent directement les débats et constituent une reproduction précise de personnes et d’objets dont les témoins ont fait état verbalement devant les jurés. » 12 Il n’est pas étonnant que ce soit un cinéaste allemand, Fritz Lang, qui, après avoir fui le nazisme et s’être installé à Los Angeles, mette en scène le premier cette nouvelle L’image dans le prétoire Études photographiques, 17 | uploads/S4/ l-x27-image-dans-le-pretoire 1 .pdf

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  • Publié le Dec 12, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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