LA JUSTICIABILITÉ DES INFRACTIONS DES FORCES ARMÉES DANS LES OPÉRATIONS DE PAIX

LA JUSTICIABILITÉ DES INFRACTIONS DES FORCES ARMÉES DANS LES OPÉRATIONS DE PAIX Serge Théophile Bambara* Il existe une certaine opacité dans les possibilités d’exercice des responsabilités des forces de paix. Devant le climat d’apparente indifférence ou d’impunité que les États de la communauté internationale semblent réserver aux infractions commises par les membres des contingents militaires des opérations de paix, il existe des faisceaux d’actions possibles, du moins théoriques, et juridiquement fondées qui puissent engager la responsabilité des coupables d’infractions au droit des conflits, aux droits nationaux et aux droits de l’homme. Cet article se propose alors de saisir les sustentations de la justiciabilité des infractions des membres militaires des opérations de paix. Cette justiciabilité s’articulera, d’une part, au prisme des linéaments de la justice pénale individuelle et par l’organisation des responsabilités des États et des organisations internationales qui restent tout à fait envisageables. D’autre part, elle s’articulera au creuset des rôles et compétences des mécanismes de mise en œuvre de cette responsabilité. Une responsabilité qui peut être mise en œuvre, dans une première esquisse, conformément à l’architecture normative relative à ces infractions, et, dans une seconde démarche, sous l’aile institutionnelle qui constitue la citadelle d’exercice et d’effectivité de ces responsabilités. Cependant, la matérialisation et l’effectivité de cette justiciabilité reste suspendue au bon vouloir des États de la communauté internationale. C’est bien là tout le défi. What responsibilities peacekeepers can exercise is somewhat unclear. Considering the apparent indifference or sense of impunity by States in the international community regarding offenses committed by members of military forces engaged in peacekeeping operations, there are various ways to act, in theory at least, and legally justified, to make accountable those who have breached conflicts law, national law and human rights law. This article deals with the fundamental principles for the prosecution of offenses committed by military members of peacekeeping operations. Liability can be based, on the one hand, on an interpretation of criminal law as it applies to individuals and quite possibly the structuring of the responsibilities of States and international organizations and, on the other hand, on the role and the scope of the implementation mechanisms of such responsibilities, which can be implemented, in an initial phase, on the basis of the normative architecture of those offenses, and in a second phase, under the institutional umbrella establishing the framework for an effective exercise of such responsibilities. But an effective and concrete liability regime is at the mercy of States in the international legal order. That is the real challenge. Esta justiciabilidad se articulará de una parte, al prisma de los lineamentos de la justicia penal individual y por la organización de las responsabilidades de los Estados y de los organismos internacionales que quedan completamente factibles. Por otra parte, se articulará al crisol de los papeles y las competencias de los mecanismos de puesta en ejecución de esta responsabilidad. Una responsabilidad que puede ser puesta en ejecución, en un primer esbozo, conforme a la arquitectura normativa relativa a estas infracciones, y, en un segundo paso, bajo la ala institucional que constituye la ciudadela de ejercicio y de efectividad de estas responsabilidades. Sin embargo, la materialización y la efectividad de este justiciabilidad queda suspendida del bono querer Estados de la comunidad internacional. Está allí toda la apuesta. * Doctorant en droit public, Université de Rouen. 2 29.1 (2016) Revue québécoise de droit international La sécurité collective et le maintien de la paix sont devenus les systèmes de référence de la sauvegarde de la paix dans le monde. Si l’idée de la sécurité collective est présente depuis le pacte de la Société des Nations1, les opérations de maintien de la paix sont le fruit de la guerre froide2. Elles ont été instituées pour contourner partiellement les obstacles institutionnels et politiques de l’exercice de la sécurité collective pendant la guerre froide. Cependant, malgré la fin de la guerre froide, l’exercice de la sécurité collective n’a pas donné lieu à une réactivation du mécanisme initialement prévu par la charte. Au contraire, les opérations de maintien de la paix ont été confortées par les nombreuses sollicitations de l’Organisation des Nations unies (ONU). Cette « surchauffe du système de sécurité collective3 » va instituer les opérations de maintien de la paix comme des activités fondamentales de sécurité internationale4 et parties intégrantes des mécanismes institutionnels de sécurité collective. À cette multiplication quantitative des opérations de maintien de la paix du fait de la multiplication des conflits, se greffera une progression qualitative de l’objet de la sécurité collective du fait de la complexité des conflits. Il sera de plus en plus question d’adapter les mécanismes aux enjeux opérationnels des conflits. Ces enjeux susciteront de façon graduelle des missions commandées par le contexte conflictuel et par les mutations de l’architecture normative et institutionnelle internationale5. Parties ainsi sur la base d’une mission d’observation de la cessation des hostilités entre les parties, encadrées par quelques principes6, les opérations de maintien de la paix avaient pour fonctions de surveiller le cessez-le-feu pour permettre un règlement politique global. À cette, fin, les opérations de maintien de la paix n’avaient pas besoin de recourir à l’usage de la force armée7 sauf bien sûr en cas de légitime défense8. Cependant, il a été de plus en plus question, au fil des opérations, d’interventions de contrainte dirigées contre une partie ou au profit d’une autre partie et souvent contre le consentement des parties9. Ces opérations, selon leur nature et le contenu de leur mandat, prendront des dénominations diverses10. Il sera 1 Pacte de la Société des Nations, 28 juin 1919, partie I du Traité de Versailles de 1919 (entrée en vigueur : 10 janvier 1920), arts 10-11, 16-17. 2 Philippe Lagrange, La sous-traitance de la gestion coercitive des crises par le Conseil de sécurité des Nations unies, thèse de doctorat en droit, Université de Poitiers, 1999 à la p 37 [non publiée]. 3 Pierre Marie Dupuy, « Sécurité collective et organisation de la paix » (1993) 97 RGDIP 617. 4 Nicolas Michel et Katherine Del Mar, « Opérations de maintien de la paix et droit des conflits armés » dans Vincent Chetail, dir, Permanence et mutation du droit des conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 2013, 185 [Michel]. 5 Ophélie Thielen, Le recours à la force dans les opérations de maintien de la paix contemporaines, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2013 à la p 23 [Thielen]. 6 Rapport du Secrétaire général sur le groupe d’étude sur les opérations de la paix de l’organisation des Nations unies, Doc off CS NU, 55e sess, Doc NU A/55/305-S/2000/809 (2000) à la p 9 au para 8. 7 Michel, supra note 4. 8 Umesh Palwanker, « Applicability of International Humanitarian Law to United Nations Peace- Keeping Forces » (1993) 249 RICR 227 [Palwanker]. 9 Philippe Ch-A Guillot, « Mission impossible au Liban pour la FINUL ? Un air de déjà-vu » (2007) 1 Ann dr 147 à la p 148. 10 Il peut s’agir d’opérations de rétablissement de la paix, d’opérations d’imposition de la paix ou d’interventions de contraintes aux fins de désarmement par exemple. La justiciabilité des infractions des forces armées dans les opérations de paix 3 question moins d’opérations de maintien de paix que d’opérations de paix tout court11, c’est-à-dire des opérations chargées d’activités diverses pouvant donc inclure l’usage de la force contrairement aux opérations originelles12. Nous ne nous attarderons pas dans cette étude à distinguer entre les opérations établies conformément à une résolution contraignante prise par le Conseil de sécurité des Nations unies en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies13 et celles mises en œuvre avec ou sans le consentement des parties. Cette distinction reste d’ailleurs floue et théorique dans la pratique et n’est pas pertinente14 dans le cadre de cette étude. Le développement des missions de paix et leur contenu protéiforme va susciter de nouvelles problématiques : la complexité du contenu des missions et le caractère « plus musclé » des opérations de paix posent de façon plus cruciale la question du statut des forces de paix15 et plus généralement celle du régime de droit qui leur est applicable lorsque celles-ci se rendent coupables d’infractions de droit dans l’exercice de leurs missions16. Il se pose aussi la question de savoir quels sont les mécanismes et dispositifs à même d’engager leurs responsabilités. La difficulté est grande, car, même si les différents textes s’accordent en apparence sur quelques considérations relatives à l’attribution et l’articulation des responsabilités, à l’épreuve de la réalité, les principes et théories divergent. Cette responsabilité tantôt incombe aux Nations unies17, tantôt à l’État contributeur18, ou aux deux19 ; elle peut relever 11 Michael Bothe, Peace-Keeping in the Charter of the United Nations: A Commentary, 3e éd, Oxford, Oxford University Press, 2013. Voir aussi Palwanker, supra note 8. 12 Karine Bannelier et Cyrille Pison, Le recours à la force autorisé par le Conseil de sécurité, Paris, Pedone, 2014. 13 Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, RT Can 1945, n° 7 [Charte]. 14 Michel, supra note 4 à la p 187. Cette distinction n’est plus uploads/S4/ la-justiciabilite-des-infractions-des-forces-arme-es-dans-les-ope-rations-de-paix-pdf.pdf

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  • Publié le Fev 10, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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