La réparation du préjudice causé à

       La réparation du préjudice causé à l’environnement Mathilde BOUTONNET   Pour rendre compte de l’importance de la crise environnementale, on a bien souvent tendance à rappeler les grandes catastrophes industrielles ayant eu des répercussions à la fois sur la nature et la vie de l’homme1. Des grands accidents industriels tels que celui de Minamata, au Japon, en 1959, Seveso en 1976, ou Bhopal en 1984, aux grandes marées noires connues sous le nom des pétroliers les provoquant tels que le Torrey Canyon, en 1967, l’Amoco Cadiz en 1978, l’Exxon Valdez en 1989 et bien sûr l’Erika venu souillé les côtes françaises en 1999. Aussi graves qu’elles puissent être, ces grandes catastrophes ne doivent pas masquer les dégradations écologiques plus quotidiennes et moins médiatisées2 : 1 Sur ce rappel, M. Rémond-Gouilloud, Du droit de détruire, Essai sur le droit de l’environnement, PUF, Les voies du droit, 1989, p. 75 s. V. aussi N. Hulot, Combien de catastrophes avant d’agir, Seuil 2002. 2 Tous ces exemples sont tirés de décisions judiciaires in, M. Boutonnet, Lamy Droit de la responsabilité civile, Etude 370, n° 370-61 ; Jurisclasseur Environnement, fascicule 4960, Contentieux délictuel. V. aussi L. Neyret et M.-L. Demesteer, Répertoire Dalloz Droit civil, v. Environnement ; L. Neyret, La réparation des atteintes à l’environnement par le juge judiciaire, D. 2008, chron. p. 170. De manière plus générale, pour un constat de la dégradation de l’environnement au quotidien, v. les publications sur le site de l’Agence Européenne de l’Environnement, not. L’environnement en Europe, troisième évaluation ; M. Beaud, C. Beaud et L. Bouguerra, L’état de l’environnement dans le monde, La découverte, coll. Etat du monde, 1993 ; N. Hulot, Combien de catastrophes avant d’agir, préc. ; La nature et les risques, Université de tous les savoirs, V. 6, O. Jacob, 2002. V aussi, S. Maljean-Dubois, Quel droit pour     l’agriculteur déversant des produits toxiques dans une rivière dans laquelle s’abreuvent les bovins de son voisin3, l’usine non respectueuse du droit des installations classées qui pollue l’eau destinée à alimenter une partie de la population4 ou le sol dans lequel des exploitants agricoles cultivent5, le chasseur peu préoccupé de la rareté des espèces qui tue quelques espèces protégées, rapaces6 ou chamois7, ou encore les promoteurs immobiliers qui, pour réaliser une construction, détruisent un habitat essentiel pour l’écosystème8. Et aussi graves qu’elles puissent être, ces grandes catastrophes ne doivent pas masquer la croissance des dommages écologiques progressifs et scientifiquement débattus en ce qu’ils ne sont pas visibles au-delà d’un certain seuil et souffrent de contestations quant à leur réalité 9 : on pense ici aux éventuelles conséquences néfastes de la dissémination des cultures OGM (organisme génétiquement modifié) dans la nature10, à la probable mortalité des l’environnement ?, Hachette, Les fondamentaux, 2008, p. 9 s. ; J. Vernier, L’environnement, Que sais-je ?, 2001 ; D. Bourg, Les scénarios de l’écologie, Hachette, questions de société, 1996. 3 Par ex, Cass. 2e civ., 7 déc. 1960, Bull. civ. II, n° 745 ; Cass. 2e civ., 23 janv. 2003, n° 00-20.932. 4 TGI Tours, 24 juillet 2008, n° 1747 D, Environnement, octobre 2008, Etude p. 11, M. Boutonnet. 5 V. l’affaire Métaleurop, Cass. 2e civ., 25 mai 1993, n° 91-17.276. 6 Cass. 1ère civ., 16 nov. 1982, n° 81-15.550, Bull. civ. I, n° 331. 7 TGI Digne-Les-Bains, 26 février 2004, n° 163.04. 8 CA Caen, 6 sept. 1994, RJE 1995/1, p. 121, note R. Léost. 9 Not. P. Jourdain, Le préjudice écologique, in Les responsabilités environnementales dans l’espace européen, G. Viney, B. Dubuisson, Ph. Brun et X. Thunis (sous la direction de), point de vue franco-belge, Bruylant, LGDJ, 2005, p. 150 ; M.-J. Littmann-Martin et C. Lambrecht, La spécificité du dommage écologique, in Le dommage écologique en droit interne, communautaire et comparé, Economica 1992, p. 52 ; D. Bourg, L’avenir de l’environnement, in La nature et les risques, Université de tous les savoirs, Vol. 6, O. Jacob, p. 196 s ; M. Rémond-Gouilloud, ouvrage préc., p. 28 s. 10 R. Romi, Droit et administration de l’environnement, Montchrestien, 6e éd.,Litec 2007, p. 277 ; D. Bourg, Les organismes génétiquement modifiés, inquiétudes citoyennes, concepts philosophiques et représentations de la nature, La réparation du préjudice causé à l’environnement (Boutonnet)    abeilles due à l’utilisation de pesticides11 et à l’ampleur du changement climatique dû aux rejets de gaz à effet de serre12. Accidentelles ou progressives, non visibles ou contestées, ces atteintes environnementales ont en revanche un point commun : leur importance est telle que le droit a dû évoluer pour mieux les appréhender, s’en soucier pour répondre à l’urgence écologique. Et il est indéniable que le législateur, suivi du juge, agit en ce sens : on ne compte plus les Traités internationaux, les règlements et directives communautaires ainsi que les lois ayant pour objet de limiter, gérer, prévenir ou réparer les dégradations environnementales13, s’attaquant à une pollution précise, telle la pollution marine ou atmosphérique, ou à la préservation plus générale de la nature14. Le droit français a même franchi un pas important en hissant au niveau constitutionnel la volonté politique de lutter contre les atteintes environnementales. Plus précisément, par le biais de la loi du 1er mars 200515, le législateur a ajouté une Charte de l’environnement au bloc de constitutionnalité, symbole d’une nouvelle génération de droits de l’homme et principes tournés vers la préservation de l’environnement 16 . Une idée forte en résulte, celle du lien in L’opinion publique face aux plantes transgéniques, entre incertitudes et prise de conscience, Albin Michel, 1999, p. 27 ; L.M. Houdebine, OGM, le vrai et le faux, éd. Le Pommier, 2003. 11 V. les soupçons actuels concernant le « gaucho », insecticide Cruiser dont l’autorisation de mise sur le marché est temporaire. 12 Sur ce point et pour des précisions bibliographiques, Le changement climatique, dossier La documentation française, mis à jour janvier 2009, www.ladocumentationfrançaise.fr. 13 Sur ce bilan de l’état du droit de l’environnement, C. Lepage, Les véritables lacunes du droit de l’environnement, Droit et environnement, ouvrage préc. p. 123. 14 Sur la diversité des instruments, v. les manuels de droit de l’environnement, not. S. Maljean-Dubois, ouvrage préc. p. 22 s. ; M. Prieur, Droit de l’environnement, Précis Dalloz, 4e éd. 2004, n° 19 s. 15 Loi constitutionnelle n° 2005-205, 1er mars 2005, JO 2 mars 2005. 16 Parmi les nombreuses études de la Charte, M.-A. Cohendet, La charte et le    indissociable existant entre la prévention et la réparation des dommages causés à l’environnement : puisque « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (art. 1), toute personne doit prévenir et réparer les atteintes à l’environnement qu’elle cause. Sont ainsi constitutionnalisés les principes de prévention (art. 3), de précaution (art. 5) et du pollueur-payeur (art. 4). Certes, il va de soi que, pour préserver l’environnement, le mieux est d’éviter la réalisation des atteintes. En ce sens, l’objectif de prévention doit primer. Toutefois, la réparation des atteintes à l’environnement reste indispensable, non seulement parce que le dommage causé à l’environnement peut se réaliser en raison des carences de la prévention, mais aussi parce qu’imposer la réparation des atteintes environnementales participe de leur prévention : se trouve ici le rôle prophylactique du droit17, la perspective de devoir assumer les conséquences dommageables d’une pollution invitant leur auteur à les éviter. Reste bien sûr à savoir si ce principe constitutionnel imposant la conseil constitutionnel, point de vue, RJE n° spécial 2003, p. 56 ; F.-X. Fort, L’insertion de la charte constitutionnelle de l’environnement au sein du droit public français, Environnement, janvier 2009, n° 1, p. 12 ; M. Verpeaux, La charte de l’environnement, texte constitutionnel en dehors de la constitution, Environnement, avril 2005, p. 16 ; O. Carton, De l’inutilité d’une constitutionnalisation du droit de l’environnement, LPA n° 175, 2 sept 2005, p. 3 ; N. Chahid-Nouraï, La portée de la charte pour le juge ordinaire, AJDA 2005, p. 1175 ; La charte de l’environnement et le principe de participation, réflexion sur la portée de la constitutionnalisation d’un principe général du droit de l’environnement, Les cahiers du GRIDAUH 2007, n° 17, p. 75 ; M. Guyomar, La charte de l’environnement est-elle directement invocable ?, BDEI 2006, n° 5, p. 4 ; Y. Jegouzo, De certaines obligations environnementales, AJDA 2005, p. 1164 ; B. Mathieu, La portée de la charte pour le juge constitutionnel, AJDA 2005, p. 1170. V. le numéro spécial de la revue environnement, avril 2005 avec les contributions de M. Prieur, L. Fonbaustier, Ph. Billet, G. Martin. 17 Ph. Malaurie, L’effet prophylactique du droit civil, Mélanges Calais-Auloy, Dalloz 2004, p. 669 ; plus particulièrement concernant le droit de la responsabilité civile, Droit de la responsabilité et des contrats, sous la direction de Ph. Le Tourneau, Dalloz Action 2008/09, n° 26. La réparation du préjudice causé à l’environnement (Boutonnet)   réparation des dommages causés à l’environnement possède une effectivité18. Se manifeste-t-il en droit positif ou ne relève-t-il que de l’incantation juridique ? D’emblée, on peut uploads/S4/ la-reparacion-ambiental.pdf

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  • Publié le Dec 28, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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