AD2010DEF1027N1 Defrénois, 15 mai 2010 n° 9, P. 1027 - Tous droits réservés LEG
AD2010DEF1027N1 Defrénois, 15 mai 2010 n° 9, P. 1027 - Tous droits réservés LEGS 39110. Le cantonnement des libéralités Le cantonnement des legs et des libéralités entre époux constitue un instrument précieux de transmission patrimoniale pour les praticiens, présentant de nombreux avantages pour leurs clients. Compte tenu de son intérêt pratique, tant pour le gratifié lui-même que pour les héritiers du disposant, l'auteur s'est appliqué à apporter, au-delà de l'analyse du régime de cette faculté juridique, des conseils rédactionnels permettant une efficace mise en œuvre du cantonnement. par François SAUVAGE, Professeur à l'Université d'Angers, Centre Jean Bodin (UPRES EA 4337). 1. Dans l'ombre des principaux instruments de transmission du patrimoine mis entre les mains de la pratique notariale par la loi no 2006-728 du 23 juin 2006, le cantonnement des libéralités trace discrètement son chemin. 2. La faculté de cantonner les legs et les libéralités entre époux a été consacrée dans des termes identiques, ou presque, aux articles 1002-1 et 1094-1, alinéa 2, du Code civil (1) . L'article 1002-1 dispose en effet que, « sauf volonté contraire du disposant, lorsque la succession a été acceptée par au moins un héritier désigné par la loi, le légataire peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Ce cantonnement ne constitue pas une libéralité faite par le légataire aux autres successibles », alors que l'article 1094-1 prévoit dans son alinéa 2 que, « sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Cette limitation ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles ». 3. Ces dispositions sont inspirées de l'offre de loi du groupe de travail Carbonnier, qui suggérait de permettre au conjoint survivant de cantonner le disponible entre époux. La proposition a emporté l'adhésion du gouvernement (2) . Il l'a non seulement inscrite dans le projet de loi, mais a approuvé son extension aux legs testamentaires (3) . Peu importe que le cantonnement des libéralités contrarie l'indivisibilité de l'option successorale (4) ; peu importe qu'il octroie une compétence partagée au testateur et au légataire pour déterminer l'objet libéral : les dommages causés à la théorie des libéralités sont impuissants, à ses yeux, à diminuer les bénéfices retirés par sa pratique. 4. Ceux-ci sont en effet nombreux. Du point de vue du gratifié, le cantonnement lui permet d'individualiser son émolument libéral en nature, et de le limiter en valeur. Il peut ainsi éviter d'avoir à verser une indemnité de réduction, à acquitter l'impôt de mutation ou celui sur la fortune (5) . Du point de vue des héritiers, il augmente leur part successorale et sature leurs abattements. En somme, le gratifié a le pouvoir de canaliser les ardeurs libérales du disposant et de réorienter ses élans de générosité en direction des héritiers. De tels avantages n'avaient d'ailleurs pas échappé aux notaires antérieurement à la loi du 23 juin 2006. Ils s'étaient cependant heurtés à l'obstacle de l'indivisibilité de l'option. Toute renonciation partielle à la libéralité procède en effet d'une acceptation intégrale et provoque une fâcheuse double mutation (6) . Pour échapper à l'alternative du « c'est à prendre ou à laisser », des donations entre époux de biens à venir à objets alternatifs ou à quotités disponibles sécables avaient d'ailleurs été suggérées (7) . La faculté de cantonnement attachée à certaines libéralités rend aujourd'hui superflues de telles stratégies de contournement. 5. Si les utilités du cantonnement des libéralités interpellent, sa nature juridique intrigue. Le cantonnement n'est pourtant pas inconnu du droit privé. Il désigne la « réduction (en général judiciairement autorisée) de l'immobilisation résultant d'une mesure conservatoire ou d'une sûreté à une fraction du bien immobilisé propre à procurer une garantie suffisante et à libérer le surplus » (8) . Il s'applique aux sûretés (cantonnement des inscriptions d'une hypothèque légale ou judiciaire) et aux voies d'exécution (anciens cantonnements de la saisie conservatoire, de la saisie-arrêt, ou de l'opposition du syndic de copropriété, et nouveau cantonnement de la saisie de plusieurs immeubles). Il n'est pas non plus inconnu du droit successoral, lorsque l'assiette d'une charge grevant la réserve héréditaire est libérée (9) . Le cantonnement constitue donc une modalité de réduction entre les mains de son titulaire destinée à mettre fin à un excès (10) , ruinant son crédit, entravant sa réserve, ou, désormais, appauvrissant la succession. De sorte qu'une définition plus générale peut aujourd'hui être proposée : le cantonnement désigne la réduction partielle d'une indisponibilité ou d'un émolument libéral excessifs (11) . Cette analyse contribue à atténuer le rayonnement de cet instrument de modération entre les mains du bénéficiaire d'un trop plein libéral : une simple amputation de l'émolument recueilli n'a aucun effet « novatoire » et, en particulier, ne parvient pas à dénaturer la libéralité ou à ébranler son régime juridique. 6. Il est vrai que celui-ci suscite déjà de nombreuses interrogations, en raison des règles pour le moins laconiques et lacunaires prévues par la loi du 23 juin 2006, tant au regard de ses conditions (I) que de ses effets (II). I. Les conditions du cantonnement des libéralités 7. Les conditions à réunir pour cantonner une libéralité sont relatives à son existence (A) et à son exercice (B). A. Conditions d'existence 8. Le cantonnement n'est attaché qu'aux libéralités à cause de mort. Encore faut-il que le disposant ne l'ait pas écarté et que sa succession ait été acceptée par au moins un héritier. 1. Libéralité à cause de mort 9. Toute libéralité n'est pas « cantonnable ». Elle doit avoir pour objet une succession volontaire, testamentaire ou contractuelle (12) ou une fraction de celle-ci ou encore un ou plusieurs biens en faisant partie. En d'autres termes, seule une libéralité mortis causa peut être cantonnée. Cette délimitation du périmètre du cantonnement est fondée sur les articles 1002-1 du Code civil, qui n'envisage que les legs testamentaires, et 1094-1, alinéa 2, qui prévoit que le cantonnement ne constitue pas une libéralité consentie aux autres successibles, renforcé par l'article 788 bis du Code général des impôts (CGI) (13) , lequel précise que les biens recueillis par l'héritier sont réputés transmis par le défunt. Autant dire que le cantonnement ne peut avoir pour objet que des biens faisant partie de la succession du disposant. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il fait échec à l'indivisibilité de l'option successorale, selon les travaux préparatoires de la loi du 23 juin 2006 (14) . Mais, à y regarder de plus près, la faculté de cantonnement n'est pas attachée à l'ensemble des libéralités à cause de mort. 10. En premier lieu, les legs testamentaires (C. civ., art. 1002-1) (15) et les donations de biens à venir entre époux peuvent certainement être cantonnés (C. civ., art. 1094-1, al. 2) (16) , sauf à préciser, dans ce dernier cas, que cette faculté ayant été introduite dans un texte relatif à la quotité disponible spéciale en présence de descendants, l'interprète peut se demander si le législateur n'impose pas que l'héritier bénéficiaire du cantonnement soit réservataire (17) . Dans cette opinion, le cantonnement des donations de biens à venir entre époux ne pourrait prospérer que dans un cercle de famille limité au conjoint et aux descendants du donateur. Une telle interprétation est cependant étriquée, car le cantonnement du légataire a vocation à s'appliquer quelle que soit la configuration de la famille du testateur (18) , et stérile, puisque l'interdiction de cantonner une donation de biens à venir entre époux en l'absence de descendants peut être aisément contournée par un legs au conjoint survivant. Celui-ci semble donc en droit de cantonner les donations de biens à venir consenties par le prémourant y compris lorsque ce dernier est décédé sans postérité (C. civ., v. art. 1094). 11. En second lieu, ne peuvent être cantonnées ni les donations de biens à venir faites par contrat de mariage aux époux, ni les donations de biens présent, à défaut de texte leur associant une faculté de cantonnement. Cette prohibition paraît devoir être étendue aux donations de biens présents entre époux, y compris les réversions d'usufruit dont l'exercice est différé au décès du donateur (19) . En effet, le donataire a acquis un droit sur l'émolument libéral dès l'acceptation de la réversion. Cet usufruit successif appartient au gratifié et l'héritier ne peut alors tenir ses droits du défunt (20) . La question est cependant parfois discutée en raison tant du rapprochement du régime juridique et fiscal des réversions d'usufruit de celui des donations de biens à venir entre époux, que de la lettre de l'article 1094-1, alinéa 2, du Code civil indifférente au vecteur libéral du disponible entre époux (21) . Les libéralités-partages ne peuvent pas non plus être cantonnées au décès de leur auteur. Il y aurait là un moyen trop commode d'anéantir le partage successoral convenu par les parties (donation-partage) ou décidé par le défunt (testament-partage). Dans le premier cas, le cantonnement se heurte à l'acceptation définitive de leur lot par les donataires-copartagés, alors que, dans le second, il uploads/S4/ le-cantonnement-des-liberalites.pdf
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- Publié le Fev 08, 2021
- Catégorie Law / Droit
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