Le Kanun et la vendetta en Albanie : du mythe à la réalité ASSOCIATION ALBANIA

Le Kanun et la vendetta en Albanie : du mythe à la réalité ASSOCIATION ALBANIA HTTP://ASSOC.WANADOO.FR/ALBANIA Mise en ligne : jeudi 13 février 2003 Des parlementaires albanais ont décidé de s’exprimer, pour la première fois en France, dans l’enceinte du Sénat, sur la question du Kanun, qui représente un phénomène particulièrement complexe en Albanie. Entourés de spécialistes du code médiéval albanais, ils ont cherché à nous faire appréhender l’ampleur et la spécificité que revêt, de nos jours, le phénomène de la vendetta en Albanie. Grâce aux informations, aux analyses et aux solutions qu’ils ont présentées et relayées au cours de cette réunion publique, il n’est pas de doute qu’ils apportent là un soutien essentiel à l’évolution de la société albanaise contemporaine. Il s’agit d’un sujet d’autant plus d’actualité qu’il survient à l’heure où les autorités albanaises ont fait le choix d’une intégration résolument tournée vers l’Europe. Le 31 janvier 2003, l’ouverture des négociations en vue d’un Accord de Stabilité et d’Association (ASA) avec l’Union européenne (UE) est un processus qui ne peut pas se satisfaire de la survivance d’un droit coutumier plusieurs fois centenaire, et largement détourné de son objectif premier, pour réglementer et gérer les échanges sociaux et économiques d’un pays moderne. Certains montrent un optimisme modéré. D’autres campent sur un pessimisme interrogatif. Du point de vue de l’association Albania, l’élaboration de propositions dans un cadre institutionnel, pour arriver progressivement à l’éradication de la vendetta, va dans le sens de l’évolution de la société civile contemporaine albanaise vers l’Etat de droit. Albania a souhaité organiser cette réunion publique en France, au Sénat, pour marquer son attachement à l’Etat de droit, à la libre circulation des personnes et à l’individualisation des peines, qui sont autant de valeurs que notre pays souhaite partager avec l’Albanie. Modérateur de la réunion : Pascal Hamon, Secrétaire général de l’association Albania. Résumé de la communication de Monsieur Christian GUT Professeur émérite à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO) et à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE), traducteur du Kanun de l’albanais au français (édition Dukagjini, Prishtina, 2002). Il a introduit la réunion par une rappel du contexte historique dans lequel s’inscrit la tradition et l’apparente résurgence de la vengeance coutumière en Albanie. Introduction historique : l’organisation juridique des pays albanais Le Kanun est est un mot grec, traduit en albanais par le turc. Ils s’agit d’un code coutumier remontant au XVème siècle qui ne se réduit pas à la gjakmarrja, littéralement " prise " ou plutôt " reprise du sang ", mais d’un corpus qui rassemble un ensemble de règles qui régissent des institutions. Ce code, qui prévoit les procédures civiles comme pénales ainsi que les institutions n’a jamais véritablement cessé de fonctionner en parallèle avec d’autres cadres juridiques plus officiels. Sous l’occupation ottomane, le pays était régi par la Charia excluant en principe les règles du Kanun. Toutefois de nombreuses régions d’Albanie échappaient à l’emprise de la Charia et le régime de la personnalité des lois a prévalu jusqu’à la première guerre mondiale. Le roi Zog a tenté, entre les deux guerres, d’introduire de profondes réformes sociétales appuyées sur un code de lois moderne inspiré du modèle occidental. Après la seconde guerre mondiale, le modèle soviétique a été instauré par le nouveau régime communiste et ce jusqu’en 1991. Durant cette période, longue de presque un demi- siècle, l’influence du Kanun semble avoir été jugulée, les moyens de coercition du régime étant plus puissants. Il existe plusieurs variantes du Kanun : celui de Dukagjin dans les montagnes de Lezhë et de Shkodër, et jusqu’au Kosovo dans les région de Pejë, Gjakovë et Prizrën ; celui de Skanderbey dans les régions centrales du Mat et de Dibër, etc.), mais il s’en dégage une profonde unité. Le Kanun de Dukagjin limitait strictement la reprise du sang en édictant des règles par rapport aux victimes. A à un meurtre ne devait répondre qu’un seul autre meurtre. Les femmes et les enfants ainsi que les prêtres catholiques en étaient exclus malgré quelques exceptions difficiles à comprendre aujourd’hui (épouses trahissant les lois de l’hospitalité, cas d’adultère ou d’homicide involontaire). La complicité de meurtre pouvait également déclencher la gjakmarrja. Le propriétaire du fusil ou du râtelier dont celui-ci se serait détaché était également tenu pour responsable en cas d’accident. Toute reprise de sang était soumise à un rituel précis : précédé d’une annonce et d’une trêve de 24 heures, le meurtrier devant participer aux obsèques et au repas funèbre en l’honneur de la victime, la gjakmarrja pouvait être différée pour une nouvelle trêve de 30 jours laissant aux amis le temps d’entamer les négociations avec la famille de la victime. Des compensations financières pouvaient être versées. A l’issue d’une négociation réussie, un repas dans la maison de l’assassin et une cérémonie d’échange de sang entre les chefs des deux familles sanctionnaient la réconciliation. Schématiquement, on distingue trois grandes périodes dans l’histoire moderne de l’Albanie : Vers la fin de l’Empire ottoman, l’exacerbation des luttes de clans et la pression désespérée des régnants entraînèrent des dérives vers des pratiques barbares impliquant des enfants et occasionnant des meurtres en série. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le pays se caractérisait par l’originalité de ses lois issues de coutumiers de l’époque médiévale, dont le plus répandu est celui de Lek Dukagjin. Des efforts importants avaient cependant été engagés par l’administration turque afin de propager, parmi ces populations, une législation modernisée. la période du roi Zog se caractérise par l’introduction de codes extrêmement modernes. Avant même la seconde guerre mondiale toutefois, la plupart des dispositions du Kanun étaient tombées en désuétude : par exemple, l’exclusion successorale des femmes qui ne subsiste plus qu’à l’état résiduel au Kosovo. le régime communiste a, quant à lui, imposé un régime juridique plus ou moins calqué sur le modèle soviétique. Mais, à côté, un droit coutumier, non inscrit, continuait à exister, principalement dans les montagnes albanaises et pas seulement dans le Nord du pays. La chute du régime communiste semble avoir favorisé la résurgence de la vengeance privée, y compris dans le cas où la sanction publique a été accomplie. Les règles précises du Kanun n’étant plus connues, le réseau social sous- tendant ce code ayant disparu, les manifestations de cette nouvelle gjakmarrja apparaissent particulièrement anarchiques, perverties et incontrôlables. Leur condamnation est indispensable. Les conditions dans lesquelles les familles impliquées peuvent se réconcilier sont énoncées par le Kanun. Il peut y avoir l’intervention d’une autorité supérieure : le Sultan, le Vali de Shkodër ont pris part à plusieurs procédures de réconciliation. On a besoin de faire appel à des médiateurs pour négocier le prix du sang et les garanties selon lesquelles la réconciliation se fera. On remarque qu’au cours de la période moderne (entre la Seconde guerre mondiale et la fin du XX ème siècle) les traits principaux de la " reprise du sang " ou " gjakmarrje " dans les territoires du nord de l’Albanie, évoluent vers une plus grande barbarie, et non vers la tolérance. L’application d’un Kanun " ancien " a été dépassée par l’utilisation dévoyée d’un Kanun " moderne " au profit de vengeances privées et de règlements de comptes mafieux. Le spectre des assassinats par vengeance s’est finalement élargi à tous les membres de la communauté albanaise, y compris aux femmes et même aux enfants. L ’organisation juridique édictée par le Kanun n’arrive plus à canaliser les énergies meurtrières. Résumé de la communication de Monsieur Neritan CEKA Député, fondateur et président du Parti de l’Alliance démocratique, président de la commission parlementaire sur l’Ordre public et la Sécurité. Docteur et Professeur en archéologie classique, il enseigne à l’Université de Tirana. Données chiffrées sur la situation actuelle du Kanun en Albanie. A l’heure actuelle, la vendetta en Albanie fait partie des préoccupations de la société civile car elle touche de nombreuses familles, situées principalement dans la moitié nord du pays. Elle n’est pas considérée, en temps que tel, comme une question majeure relevant de l’Etat. De ce fait, elle demeure en dehors des champs d’interrogations du gouvernement albanais. Mais dans tous les cas, le Parlement se refuse à faire référence au Kanun pour résoudre les cas de vendetta. La collecte de données chiffrées sur les cas de meurtres et d’enfermements liés au " Kanun " s’est révélée difficile. Les données rassemblées sont largement contradictoires et rendent difficile un suivi fiable. Les assassinats : Les autorités ont noté une diminution des assassinats entre 1998 et 2003, avec, pour cette période, un total de 330 cas d’homicides clairement liés à des règlements de compte pouvant être associés au Kanun. Mais ce serait 10 000 personnes qui auraient à subir, de près ou de loin, les méfaits du Kanun. L’activité criminelle varie, selon les années, en fonction de la stabilité politique et économique, de l’activité déployée par la justice et la police. Les autorités ont dénombré dans l’ensemble du pays : En 1978 573 assassinats dont 45 intrinsèquement liés au Kanun En 1979 497 dont 41 En 2000 275 dont 18 En 2001 208 dont 19 En 2002 uploads/S4/ le-kanun-et-la-vendetta-en-albanie.pdf

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  • Publié le Apv 10, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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