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1 Le parquet, une autorité judiciaire indépendante ? 1 GRANGER Marc-Antoine « Séisme judiciaire »2, « tempête sur le parquet »3, « procureur (…) sur la sellette »4, les arrêts Medvedyev5 et Moulin6 rendus par la Cour européenne des droits de l’Homme les 29 mars et 20 novembre 2010 auraient, selon le professeur Frédéric SUDRE, « sonn(é) le glas du parquet »7. Sans exagérer la portée juridique de ces arrêts qui s’inscrivent dans une ligne jurisprudentielle somme toute bien affirmée, il convient cependant de ne point négliger leur impact sur le droit positif français. Ils bousculent le statut du parquet au regard de la Constitution française ou, à tout le moins, nous interrogent. Certes, le statut du parquet est un vieux serpent de mer du « droit constitutionnel juridictionnel »8 qui ressurgit épisodiquement que ce soit notamment à l’occasion des projets de réforme de la procédure pénale9 ou de différentes « affaires médiatico-judiciaires »10. Déjà en 1994, à la lumière des propositions du Comité consultatif pour la révision de la Constitution11, le doyen Louis FAVOREU dressait un constat plutôt sévère mais qui n’a malheureusement pas perdu de son acuité : « le problème du statut constitutionnel du parquet 1 Marc-Antoine GRANGER, docteur en droit, membre de l’IE2IA, ATER à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. 2 Jean-François RENUCCI, « Un séisme judiciaire : pour la Cour européenne des droits de l’Homme, les magistrats du parquet ne sont pas une autorité judiciaire », D., 2009, p. 600, [en ligne]. Disponible sur [www.dalloz.fr] et Jean-François RENUCCI, « L’affaire Medvedyev devant la grande chambre : les « dits » et les « non-dits » d’un arrêt important », D., 2010, p. 1386, [en ligne]. Disponible sur [www.dalloz.fr]. 3 Jean-Pierre MARGUENAUD, « Tempête sur le Parquet », comm. sous CEDH, 10 juillet 2008, Medvedyev c/ France, RSC, 2009, p. 176, [en ligne]. Disponible sur [www.dalloz.fr]. 4 Jean-François RENUCCI, « Un séisme judiciaire : pour la Cour européenne des droits de l’Homme, les magistrats du parquet ne sont pas une autorité judiciaire », op. cit. 5 CEDH, 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, requête n° 3394/03. 6 CEDH, 20 novembre 2010, Moulin c. France, requête n° 37104/06. 7 Frédéric SUDRE, « Le glas du parquet », somm. sous CEDH, 20 novembre 2010, Moulin c/ France, JCP G, n° 49, 6 décembre 2010, [en ligne]. Disponible sur [www.lexisnexis.com]. 8 Expression empruntée au doyen Louis FAVOREU pour désigner les travaux relatifs à l’organisation ou au fonctionnement de la justice sous l’angle constitutionnel : Louis FAVOREU, « Brèves observations sur la situation du parquet au regard de la Constitution », RSC, 1994, p. 675, [en ligne]. Disponible sur [www.dalloz.fr]. 9 Mireille DELMAS-MARTY (dir.), La Mise en état des affaires pénales, rapport de la commission justice pénale et droits de l’Homme, La documentation française, janvier 1991, pp. 225, [en ligne]. Disponible sur [www.ladocumentationfrancaise.fr] ; Henri DONNEDIEU DE VABRES, « La réforme de l’instruction préparatoire », RSC, 1949, pp. 499 et s. (texte du rapport de la commission sur le code d’instruction criminelle) ; Philippe LEGER (dir.), rapport du comité de réflexion sur la justice pénale, 1er septembre 2009, pp. 59, [en ligne]. Disponible sur [www.justice.gouv.fr], et Pierre TRUCHE (dir.), rapport de la commission de réflexion sur la justice, La documentation française, juillet 1997, pp. 500, [en ligne]. Disponible sur [www.ladocumentationfrancaise.fr]. 10 Concernant l’« affaire d’Outreau », v. en particulier le rapport n° 3125 de Philippe HOUILLON et de André VALLINI, fait au nom de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 6 juin 2006, [en ligne], pp. 585 et suivantes. Disponible sur [www.assemblee-nationale.fr]. Concernant l’« affaire Woerth-Bettencourt », v. par exemple, AFP, « Juge d’instruction pour Woerth-Bettencourt : " pas trop tôt " », 26 octobre 2010 ; Eva JOLY (propos recueillis par Gérard DAVET), « " M. Courroye est un procureur aux ordres " », Le Monde, 16 juillet 2010, p. 11, et la pétition du club « justice, droits et sécurités » lancée sur le site du journal en ligne Mediapart demandant l’ouverture d’une instruction : « Plus de 27.000 signataires de l’appel pour une justice indépendante et impartiale », [en ligne]. Disponible sur [www.mediapart.fr]. Concernant l’affaire « urba », v. notamment, Valéry TURCEY, « Vers un nouveau pouvoir judiciaire ? », LPA, n° 100, 20 août 1997, p. 3, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr]. 11 Rapport remis au président de la République le 15 février 1993 par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, J.O., 16 février 1993, pp. 2537-2555. 2 et de ses membres n’est toujours pas résolu, du moins de manière vraiment satisfaisante »12. A l’heure de la réforme de la garde à vue13 et de la procédure pénale plus globalement14, une réflexion sur l’indépendance du parquet et sur son rôle dans la phase présentencielle du processus pénal ne peut être évitée d’autant que les récentes décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’Homme et par les juridictions nationales ont déjà commencé à produire leurs effets. En témoigne, par exemple, la loi du 5 janvier 2011 relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’Etat en mer15. Espérant répondre aux attentes de la Cour strasbourgeoise, le législateur français a prévu que le procureur de la République doit saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) dans un délai de 48 heures suivant la mise en œuvre des mesures de restriction ou de privation de liberté prises à l’encontre des personnes à bord des navires soupçonnées d’avoir commis des actes de piraterie. Ce magistrat du siège statue dans un délai de 48 heures sur la prolongation éventuelle de ces mesures coercitives pour une durée maximale de cinq jours16. Plus récemment encore, le 14 avril 2011 précisément, le législateur a voté la loi relative à la garde à vue17. Prévue initialement pour figurer dans le cadre de la réforme d’ensemble de la procédure pénale, cette modification du régime juridique des gardes à vue a finalement été adoptée séparément pour tenir compte de la décision M. Daniel W. et autres rendue par le Conseil constitutionnel le 30 juillet 201018. Afin de permettre au législateur de prendre les mesures nécessaires d’adaptation du droit positif, le Conseil constitutionnel a en effet décidé de reporter au 1er juillet 2011 la date d’effet de l’abrogation des dispositions du code de procédure pénale relatives au régime commun des gardes à vue qui ont été jugées contraires à la Constitution19. Pour tirer les conséquences des jurisprudences nationales et européennes, 12 Louis FAVOREU, « Brèves observations sur la situation du parquet au regard de la Constitution », op. cit. 13 V. la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, J.O. 15 mars 2011, texte n° 1, p. 6610. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 14/22 QPC, 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres, J.O. 31 juillet 2010, p. 14198) et de la Cour de cassation (Cass., crim., 19 octobre 2010, n° 10-82902 ; Cass., crim., 19 octobre 2010, n° 10-82306, et Cass., crim., 19 octobre 2010, n° 10-85051) ont rendu nécessaire cette réforme du régime de la garde à vue. 14 L’avant-projet du futur code de procédure pénale soumis à concertation ([en ligne]. Disponible sur [www.justice.gouv.fr]) prévoit en particulier un cadre juridique unique permettant de mener les investigations de police judiciaire - l’enquête judiciaire pénale - qui se substituerait ainsi à l’enquête de flagrance, à l’enquête préliminaire et à l’instruction préparatoire. La direction des activités de police judiciaire serait assurée par le seul procureur de la République (art. 221-16 de l’avant-projet du futur code de procédure pénale soumis à concertation). Pour sa part, le procureur général devrait conserver la surveillance des officiers et agents de police judiciaire (art. 221-13 de l’avant-projet du futur code de procédure pénale soumis à concertation). V. Philippe LEGER (dir.), rapport du comité de réflexion sur la justice pénale, op. cit. Pour la mise en évidence de quelques difficultés liées à l’instauration de ce cadre unique d’enquête, v. notamment, Haritini MATSOPOULOU, « Plaidoyer pour l’indépendance fonctionnelle des magistrats du parquet », comm. sous CEDH, 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, requête n° 3394/03, Gaz. Pal., n° 117, 27 avril 2010, p. 15, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr]. 15 Loi n° 2011-13 du 5 janvier 2011 relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’Etat en mer, J.O. 6 janvier 2011, n° 4, p. 374. 16 Ibid., art. 6. 17 Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, préc. 18 Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres, préc. 19 Ibid., considérant n° 30. Dans le prolongement de l’arrêt Association AC ! lu par le Conseil d’Etat le 11 uploads/S4/ le-parquet-une-autorite-judiciaire-independante.pdf

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  • Publié le Jui 06, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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