PATRICK MORVAN Agrégé de droit privé Professeur à l’Université Panthéon-Assas (

PATRICK MORVAN Agrégé de droit privé Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) « LE PRINCIPE DE DROIT PRIVÉ » Quatrième de couverture : Invitation au voyage sur le vaste océan des principes de droit : la rive étendue du droit privé interne est explorée, les rivages du droit public et du droit international sont cotoyés. Nourri à la sève de l’équité, de valeurs idéales, d’adages empreints d’histoire, du fait et de raison, monument prétorien bâti par une jurisprudence sédimentaire sous les auspices d’une 1 doctrine multiple, le principe de droit privé manifeste sa force terrible, subversive du droit écrit. Invention déposée dans la main d’un juge qui ne maîtrise plus ses propres œuvres, il contraint l’esprit à se représenter d’une nouvelle manière l’ordre juridique. Nulle harmonie, nulle cohérence insufflée dans le droit par cette voie : le principe érode, ébrèche, creuse dans la loi pour y loger un corpus normatif d’une ampleur méconnue, d’une vigueur inattendue. Au cœur de ce matériau puissant gît le phénomène, prospère depuis cinquante années sous l’égide de la Cour suprême, des « visas de principe ». Un inventaire vient éclairer cet aspect insigne de la technique de cassation, ce haut lieu de l’art judiciaire. Divers essais s’efforcent de résoudre le mystère de son existence. Thèse soutenue le 29 novembre 1997 à l’université de Paris II, sous la direction de Monsieur Jean-Louis Sourioux, devant un jury composé de Messieurs André Decocq, Jean-Louis Sourioux, Philippe Simler, Bernard Teyssié et Philippe Delebecque Prix de thèse de la Ville de Paris Prix de thèse de l’Association nationale des docteurs en droit Prix de thèse de l’université Panthéon-Assas (Paris 2) 2 “Elle me dit son nom, celui qu’elle s’est choisi: «Nadja, parce qu’en russe c’est le commencement du mot espérance, et parce que ce n’en est que le commencement»”. André Breton1 . “Principe est synonyme de commencement; et c’est dans cette signification qu’on l’a d’abord employé; mais ensuite à force d’en faire usage, on s’en est servi par habitude, machinalement, sans y attacher d’idées, et l’on a eu des principes qui ne sont le commencement de rien” E. Bonnot de Condillac2. INTRODUCTION 1. Il n’existe guère de mot plus employé que le mot “principe” dans les disciplines de la connaissance. Il n’est de science qui ne possède ses principes. Les principes sont, de surcroît, abondamment mis à contribution pour ne rien exprimer, remplissant une fonction rhétorique de solennisation du discours. Tel orateur politique en appelle aux grands “principes de droit”, sans en désigner aucun, pour déclarer son hostilité à un projet de loi. Mais “les hommes qui (...) se jettent à la tête des arguments trouvent dans l’affirmation des principes des vêtements magnifiques pour des opinions discutables. Cette éloquence politique est indifférente au droit”3 . Au-delà de nos frontières, “la diplomatie unilatérale nous a habitués, notamment par voie de «communiqués finaux» ou de «déclarations conjointes», à l’évocation solennelle de 1 A. Breton, Nadja, 1928. 2 E. Bonnot de Condillac, La logique ou les premiers développemens de l’art de penser, An III (1794- 1795), Seconde partie, chap. VI, p. 161. 3 G. Ripert, Les forces créatrices du droit, L.G.D.J., 1955, n° 132, pp. 326-327. Mais Ripert dénonce un travers auquel... il n’échappe pas. Selon lui, “les principes juridiques ce sont les grandes règles qui président au maintien de l’ordre essentiel”, “les poutres maîtresses du bâtiment”. “L’attachement des juristes aux principes vient du sentiment de la stabilité nécessaire du droit pour maintenir les caractères de notre civilisation” (n° 141, pp. 344-345). Dans ce propos, l’éminent civiliste revêt lui-même ses “opinions”, imprégnées d’une idéologie libérale et individualiste, du “vêtement magnifique” des principes. Un opposant politique ne sera pas moins fondé à revêtir des opinions contraires du même vocable. À titre d’exemple, la conception de l’abus de droit de Josserand, que Ripert accusera de soviétiser le droit français, n’est pas moins conforme aux “principes” que la conception individualiste et absolue de la propriété qu’elle maltraite. La restauration de l’objectivité et de la juridicité des principes n’est donc pas accomplie au terme de cette critique. 3 «principes» au statut incertain, situés quelque part entre le droit et la politique”4 , chétifs embryons de règles juridiques. Enfin, la plus haute juridiction française les ravale parfois au rang de simple “commodité de langage”5 . Le succès de ce vocable trouve aujourd’hui sa rançon dans son extrême banalisation, une utilisation détachée de toute signification précise qui en ruine la valeur. La tentation est forte d’entreprendre la restauration de l’édifice. Celle-ci requiert au préalable une purification de la notion qui la restitue dans toute sa splendeur au langage du droit. “À tenter de séparer le bon grain de l’ivraie, la notion de principes pourrait bien retrouver son prestige initial, ainsi débarrassée d’homonymes gênants”6. Cette tentation se présente fortement dans les jeunes disciplines du droit interne, où le vocable “principe” fait l’objet d’un usage immodéré de la part des professionnels. Par exemple, en droit comptable, “les spécialistes résistent mal à la manie d’ériger en principes, donc en propositions premières fondamentales, de simples règles... Si on veut éviter l’encombrement des sources du droit (...), l’épuration s’impose. (...) La terminologie ne doit pas abuser, ce sont là des principes au petit pied...”7. L’observation vaut également dans les matières juridiques les plus classiques, en raison de l’utilisation débridée qui y est faite des “principes”. Une entreprise de “purification” du principe suppose cependant l’existence d’une vérité absolue à redécouvrir. Il est sans doute présomptueux d’adopter un tel postulat qui conduit à remiser avec dédain dans les errances de la pensée juridique de nombreux emplois du terme “principe” après avoir dénoncé en eux des dévoiements de la notion. En outre, nul ne peut prétendre imposer une définition précise du “principe”. Ce mot n’appartient qu’à la langue: il n’a pas de maître qui puisse l’asservir à une acception monolithique. 4 P-M. Dupuy, Droit international public, Dalloz, 3ème édition, 1995, n° 323, p. 259. Adde : J. Combacau et S. Sur, Droit international public, Montchrestien, 2ème édition, 1995, pp. 110-111: “le terme renvoie à l’inachèvement des règles en cause (...). Inachèvement de règles en voie de formation, quant à leur contenu mais aussi quant à leur autorité juridique”. Exemple: la Résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, relative aux “Principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies”. De même, le droit international de l’environnement “utilise immodérément et sans précision aucune le terme “principe” . (...) Le caractère trop général des principes n’aggrave-t-il pas la faiblesse d’un droit déjà si décrié pour son caractère insuffisamment prescriptif et rarement sanctionnateur ?” (M. Kamto, Les nouveaux principes du droit international de l’environnement, Rev. jur. env. 1993, p. 11, spéc. pp. 12 et 20). 5 G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, P.U.F, coll. Thémis, 12ème édition, 1992, t. I, p. 479: “le Conseil constitutionnel utilise fréquemment, pour désigner les normes de valeur constitutionnelle dont il assure le respect, les termes «principe» ou même «principe général du droit» (...). Mais -et c’est essentiel- le terme employé a une simple valeur «littéraire» (...) l’emploi du mot «principe» à la place de celui de «règle» solennise la matière (...). Mais dans aucun de ces cas, le juge constitutionnel n’entend poser de son propre chef une norme qui n’aurait pas de façon précise sa source dans une disposition écrite de rang constitutionnel.(...) Donc le terme de «principes généraux» qui, dans la jurisprudence administrative, désigne une catégorie de source du droit, n’est, dans la jurisprudence constitutionnelle, qu’une commodité de langage sans référence à une source du droit originale”. 6 D. Bureau, Les sources informelles du droit dans les relations privées internationales, thèse Paris II, 1992, n° 56, p. 54. 7 A. Viandier et Ch. de Lauzainghein, Droit comptable, Dalloz, 2ème édition, 1993, n° 305, p. 249. Adde : M. Vallas, Principes comptables et principes moraux, Revue de droit comptable 1994/3, p. 5. 4 Mais la très grande variété des emplois du vocable inspire, en droit, une trop profonde perplexité8 pour y être impunément tolérée. Il importe de définir le principe en ce domaine et de le confronter à des notions distinctes qui lui empruntent inutilement son appellation (Section II). Certains des “principes” dont la signification aura été élucidée se retireront alors du champ de l’étude. Mais ce projet de clarification terminologique suppose comprise au préalable la signification du “principe” en elle-même, par-delà le droit (Section I). Il sera ensuite possible de présenter l’étude des principes en droit privé interne et de suggérer des directions inédites (Section III). 5 SECTION I: Les définitions du principe. 2. Étymologiquement, le mot principe vient du latin principium, lui-même dérivé du mot princeps, formés tous deux de primo (premier) et de caps (de capio, capere : prendre). Le princeps est celui qui prend la première place, la première part, le premier rang... Il est le prince, le chef, la tête, le soldat de première ligne9... Le principium est le commencement. Dans sa “substantifique moëlle”, le principe est commencement. Les significations du principe se sont considérablement enrichies au uploads/S4/ le-principe-de-droit-prive-patrick-morvan-1999.pdf

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  • Publié le Jan 15, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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