N°118 Avril 2014 47 JOURNAL DES SOCIÉTÉS F i c h e p r a t i q u e Les effets d
N°118 Avril 2014 47 JOURNAL DES SOCIÉTÉS F i c h e p r a t i q u e Les effets du contrat dans le projet de réforme Antoine Hontebeyrie, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’université d’Evry-Val-d’Essonne, Avocat associé, Cabinet Racine Comme l’annonce l’article 1er du projet, le contrat produit, avant tout, des effets de droit : des obligations, des permutations, diverses normes (1). Mais, osons le jeu de mots, les effets du contrat sont aussi les faits du contrat, ceux par qui l’accord des contractants se mue en réalité matérielle. L’obligation vient au fait par l’exécution, la permutation par la possession, la norme par son observation. C’est ce déploiement qui donne au contrat sa dimension sociale la plus forte, dépassant largement le cercle des contractants. C’est finalement lui que les parties, comme les tiers, tantôt revendiquent, tantôt esquivent. Et c’est de lui ou pour lui que naît le conflit. La matière est donc assez dense, au sein de ce projet qui doit beaucoup à ses prédécesseurs (2) et qui est également inspiré, harmonisation oblige, de « codifications savantes » (3). Point de révolution, mais tout de même des évolutions et des questions (4). On essaiera d’en retracer l’essentiel en distinguant, de façon peu académique mais néanmoins commode, les effets stricto sensu du contrat et la vie du contrat. I. Les effets stricto sensu du contrat La question conduit logiquement à distinguer, avec le projet, deux séries d’effets, les premiers entre les parties et les seconds à l’égard des tiers. A. Les effets du contrat entre les parties Comme l’annonçait, d’une certaine façon, la suppression du triptyque « donner, faire ne pas faire », le projet prend le parti de distinguer dans deux sous-sections successives l’effet obligatoire (sous-section 1) de l’effet translatif du contrat (sous-section 2), rejoignant cette idée que l’actuelle obligation de donner (i.e. de transférer la propriété) n’a pas réellement de substance (5). De fait, dans un système où le transfert de propriété s’opère en principe solo consensu, l’obligation de donner se trouve généralement éteinte aussitôt que née, ce qui peut faire douter de son existence même (6). Or, le projet maintient précisément ce principe (article 105, alinéa 1er), de même, bien sûr, que l’obligation de conservation avant délivrance (article 106), dans l’appréhension de laquelle le bon père de famille fait place à la « personne raisonnable ». Mais revenons plus en détail sur ces deux séries d’effets. 1. L’effet obligatoire Force obligatoire mais « forçage ». Réserve faite de l’hypothèse du « changement de circonstances », sur laquelle on reviendra plus loin, les dispositions qui régissent les effets du contrat entre les parties ne contiennent rien de profondément nouveau. L’actuel article 1134 du Code civil est maintenu en substance, à cette triple différence près que le contrat se substitue à la convention (cf. l’article 1), que la modification prend place aux côtés du mutuus dissensus, et que l’alinéa 3, relatif à l’exécution de bonne foi, est en quelque sorte promu à l’article 3 du projet. Plus inattendu est le maintien de la disposition actuellement contenue dans l’article 1135. L’article 103 du projet la reprend en effet mot pour mot, « conventions » excepté bien entendu : « Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature. » On sait combien ce texte a favorisé l’éclosion jurisprudentielle d’obligations non voulues, spécialement des obligations de sécurité, phénomène couramment dénommé « forçage » du contrat (7). Les raisons qui ont motivé la suppression de la cause, tenant essentiellement à l’instrumentalisation judiciaire dont elle a pu être l’objet, ne commandaient-elles pas d’en finir aussi avec l’article 1135 ? Aussi regrettable que soit cette suppression, il faut bien reconnaître que la question ne se présente pas de la même façon dans les deux cas. L’instrumentalisation de la cause a eu pour principale finalité la neutralisation de certaines clauses, voire de certains contrats. L’atteinte à la force obligatoire et, en amont, au postulat de l’autonomie de la volonté, est évidente. Au contraire, l’article 1135 a été utilisé pour ajouter au contrat des obligations dont les parties n’étaient pas convenues. En d’autres termes, alors que la cause, instrumentalisée, détruit l’accord en tout ou en partie, l’article 1135 ne 1) R. Libchaber, Réflexions sur les effets du contrat, in Mélanges offerts à J.-L. Aubert, Propos sur les obligations et quelques autres thèmes fondamentaux du droit, Dalloz, 2005, p. 211 ; P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1999, p. 771. 2) Avant-projet Catala, projet Terré, outre les précédents projets de Chancellerie de 2008 et de 2009. 3) Principes relatifs aux contrats du commerce international dits « Unidroit », Principes du droit européen du contrat, dits « Principes Lando », Avant-projet de Code européen des contrats de l’Académie des privatistes européens dit « Code Gandolfi (», Draft Common Frame of Reference (DCFR) ou Cadre commun de référence – v. Principes contractuels communs, Projet de cadre commun de référence, dir. B. Fauvarque- Cosson et D. Mazeaud, Société de législation comparée, 2008. 4) Pour un commentaire de l’ensemble du volet « contrat » du projet : D. Mazeaud, Droit des contrats : réforme à l’horizon : D 2014, chr. p. 291. Adde la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun européen de la vente (octobre 2011). 5) V. déjà les articles 91 et s. du projet Terré. 6) V. not. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, I, Contrat et engagement unilatéral, PUF, 3e éd., p. 205 et s. et les réf. ; pour une défense toute récente de la notion : J. Dubarry, Le transfert conventionnel de propriété, Essai sur le mécanisme translatif à la lumière des droits français et allemand, thèse Paris I, 2013. 7) Sur les origines et la pertinence de cette dénomination : P. Jacques, Regards sur l’article 1135 du Code civil, Dalloz, 2005, préf. F. Chabas, n° 233 et s. ; adde C. Mouly-Guillemaud, Retour sur l’article 1135 du Code civil, une nouvelle source du contenu contractuel, LGDJ 2006, préf. D. Ferrier, av.-propos C. Atias et R. Cabrillac. JOURNAL DES SOCIÉTÉS 48 N°118 Avril 2014 F i c h e p r a t i q u e fait que construire en périphérie. L’atteinte est moins évidente dans ce dernier cas, puisque l’accord des parties n’en reste pas moins effectif. Cette atteinte fait même complètement défaut si l’on considère, avec un auteur, que les obligations de l’article 1135 n’ont pas à être rattachées à la volonté des parties mais découlent… de l’équité, de l’usage ou de la loi (8). Le maintien de la disposition de l’article 1135 ne jure donc pas avec la suppression de la cause. Imprévision : ni-ni. Mais restons justement dans l’équité, qui de l’article 103 en question se propage dans la disposition suivante, quoique sans dire son nom. « Dans aucun cas, avait dit le célèbre arrêt «Canal de Craponne», généralement référencé sous l’article 1135, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants » (9). Pas question, donc, de reconnaître au juge le pouvoir de réviser un contrat au cas où un changement de circonstances imprévisible lors de sa conclusion viendrait en bouleverser l’équilibre. Ainsi s’est trouvée condamnée la théorie de la « révision pour imprévision » (10) au profit de l’intangibilité du contrat et, peut- être, d’une conception orthodoxe de la fonction juridictionnelle auxquelles les questions macro- économiques sont censées étrangères (11). Et alors que la jurisprudence administrative a accordé une certaine place à cette théorie trente années plus tard (12), la position du juge judiciaire n’a pas varié (13), encore qu’il faille la relativiser au regard du droit des entreprises en difficulté. Cette position n’en est pas moins discutée par de nombreux auteurs (14). En substance, certains défendent la consécration d’un pouvoir judiciaire de révision du contrat (15), d’autres la simple reconnaissance d’un devoir pour les parties de renégocier celui- ci (16). De fait, à compter des années 90, quelques décisions ont pu être perçues comme les signes d’une évolution via la bonne foi et la loyauté, dont résulterait un tel devoir (17). En outre, et sans doute surtout, le droit français semble aujourd’hui relativement isolé sur cette question par rapport à certains systèmes étrangers (18) et « codifications savantes » (19). C’est donc assez naturellement que les projets de réformes successifs se sont engagés dans cette voie (20), dont celui qui fait l’objet des présents développements. L’article 104, alinéa 1er, du projet dispose en effet : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations uploads/S4/ les-effets-du-contrat-dans-le-projet-de-reforme.pdf
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- Publié le Oct 09, 2021
- Catégorie Law / Droit
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