ESCHYLE : LES EUMENIDES I – Présentation A. L’Orestie d’Eschyle Eschyle (526-45

ESCHYLE : LES EUMENIDES I – Présentation A. L’Orestie d’Eschyle Eschyle (526-456) est le plus ancien des trois grands poètes tragiques grecs du Vème siècle av. JC que nous connaissons, les deux autres étant Sophocle et Euripide. Selon Aristote, il porta à deux le nombre des acteurs : L’acteur principal jouait le personnage principal. Le second acteur jouait plusieurs rôles grâce aux masques et le chef du cœur, le « coryphée » dialogue aussi avec les acteurs et constitue un acteur à part entière. Eschyle écrivit une centaine de pièces, dont seulement sept nous sont parvenus à la suite d’un choix que pratiquèrent les Alexandrins au IIIème siècle av. JC : les copistes se faisant rare, ils décidèrent de garder uniquement les pièces les plus importantes. Les tragédies étaient représentées trois fois dans l’année à l’occasion de fêtes en l’honneur de Dionysos. Elles s’articulaient autour d’un « concours » lors duquel chaque poète présentait trois tragédies, ainsi qu’un drame satyrique. Au début, les tragédies étaient « liées », ce qui veut dire qu’elles avaient le même sujet, puis elles furent « indépendantes ». La seule tragédie « liée » qui nous est restée est L’Orestie, mais nous n’avons pas le drame satyrique associé. L’Orestie a pour sujet l’histoire la plus souvent reprise dans le théâtre occidental, l’histoire des Atrides, en particulier celle du retour d’Agamemnon après la guerre de Troie. La première pièce, Agamemnon, raconte le retour d’Agamemnon à Argos, en compagnie de sa captive Cassandre, qui « voit » ce qui va se passer, impuissante. Ils sont tués tous les deux à l’intérieur du palais par Clytemnestre, qui assiste son amant Egisthe. Ce dernier est aussi le cousin d’Agamemnon et le fils de Thyeste qui a survécu à l’horrible festin : Atrée, père d’Agamemnon, avait fait manger à son frère Thyeste les morceaux de ses propres enfants. Depuis, la famille des Atrides est « maudite ». Le seul enfant qui est survécu est Egisthe. La deuxième pièce, Les Choéphores, raconte le retour secret d’Oreste (fils d’Agamemnon) et ses retrouvailles avec sa sœur Electre. Oreste s’introduit dans le palais sous une fausse identité et assassine sa mère, Clytemnestre, et son amant, Egisthe pour venger son père. Il commet donc un « parricide » (le mot « patricide » n’existe pas). B. L’originalité des Euménides La troisième pièce, Les Euménides, raconte le procès d’Oreste. Ce procès a lieu à Athènes, sous l’égide d’Athéna et se termine par l’acquittement d’Oreste. Cette pièce fait preuve de cinq innovations :  La première innovation réside justement dans cette mise en scène d’un procès.  La deuxième innovation réside dans l’objet même du procès : le meurtre qu’Oreste a commis. Eschyle est, en effet, le premier à mettre en cause la légitimité de l’acte d’Oreste. L’helléniste Defradas écrira : « Chez Homère, Oreste était le vengeur glorieux de son père. Chez Eschyle, Oreste est le meurtrier malheureux de sa mère ».  La troisième innovation réside dans la composition du chœur : d’habitude, le chœur est constitué de personnes du peuple, représentant la mesure et la sagesse du « juste milieu » face à la démesure (hubris) du héros tragique. Ici, il est constitué des Erinnyes, déesses de la « colère », qui ont un aspect hideux et terrifiant : des serpents se mêlent à leur chevelure en sifflant. Il est d’ailleurs question de ces déesses dans l’allitération la plus célèbre de la langue française : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » (Andromaque de Racine). Les Romains leur ont donné le nom de « Furies ».  La quatrième innovation est que le mot-titre « Euménides » n’apparaît jamais dans le texte. Il y est seulement fait allusion à la fin quand Athéna réussit à calmer les Erinnyes et annonce leur métamorphose en déesses « bienveillantes » (c’est le sens d’ « Euménides »).  La cinquième innovation réside dans sa « fin » puisqu’Oreste est acquitté. La tragédie se termine donc bien. Or, une des trois caractéristiques majeures de ce genre littéraire est une fin malheureuse (les deux autres étant la présence de la fatalité et le ton majestueux). II - Commentaires A. Le premier procès de l’Aréopage Athéna a institué un tribunal « incorruptible, vénérable et sévère » pour arbitrer le conflit qui oppose les Erinnyes à Apollon. Les Erinnyes accusent Oreste, et Apollon le défend. Leur temps de parole est égal, et c’est Athéna qui dirige le débat et y met fin. Ce tribunal de l’Aréopage, qui tire son nom de la colline d’Arès où il siégeait, existait depuis plusieurs siècles sans qu’on sache la date exacte de sa création. Aujourd’hui, un « aréopage » désigne une assemblée de gens compétents et choisis. B. Les Erinnyes ou le talion matriarcal Dans ce procès, Eschyle confronte trois états successifs de droit, représentés chacun par une des divinités présentes dans la pièce : les Erinnyes représentent un droit primitif et matriarcal, Apollon un droit patriarcal que régit aussi la « loi » primitive du talion, et Athéna le droit « positif », celui de la cité démocratique. Les Erinnyes sont des déesses très anciennes, liées au sang et à la terre. Elles interviennent pour venger le sang versé : elles représentent donc une sorte de « droit naturel – qu’on a appelé – la loi du talion ». Cette loi est bien illustrée par l’adage biblique : « Œil pour œil, dent pour dent ». Cependant, de nombreux penseurs récusent la notion de « droit naturel » qui constituerait une contradiction dans les termes (le « droit » s’oppose à la « nature » et aux réactions animales), et estiment qu’il n’existe qu’un droit « positif ». Toutefois, les Erinnyes n’interviennent que pour les meurtres où le meurtrier a fait couler son propre sang. Elles poursuivent Oreste parce qu’il a assassiné sa mère alors qu’elles n’ont pas poursuivi Clytemnestre qui avait tué son mari : « Ce n’est pas un être de son sang qu’elle a tué », disent-elles à Apollon. Les Erinnyes représentent donc un droit de la mère, le matriarcat primitif : au début des civilisations, la mère est le fondement de la famille. Le père, lui, est plus incertain et instable, illustrant la phrase de Nietzsche : « Vénérez la maternité, le père n’est jamais qu’un hasard ! ». A l’argument d’Apollon qui affirme qu’il représente le droit du père, comme son père Zeus, elles ont beau jeu de répliquer que Zeus lui-même a enchaîné son père Cronos et que ce dernier avait tenté de dévorer son fils à sa naissance : « La conduite de Zeus n’est elle pas en contradiction avec ce que tu soutiens ? » objectent-elles. C. Apollon ou le talion patriarcal Apollon appartient à la deuxième génération des dieux grecs, à la génération des « dieux olympiens ». Dans les premiers temps de la civilisation, l’homme honore les dieux et déesses immédiatement liés à la vie matérielle, ceux de la terre et de la mort. Puis quand la survie est assurée, l’homme peut s’élever vers des considérations moins matérielles, telle que la poésie, dont Apollon est le dieu. Après le matriarcat primitif, la plupart des sociétés voient s’installer un ordre patriarcal. En effet, les pères prennent plus d’importance à partir du moment où il faut défendre la famille et son territoire contre les agressions extérieures. En cas de guerre, le père est plus important que la mère, puisque la survie du groupe dépend de lui. Apollon représentant le droit patriarcal utilisent trois arguments pour défendre Oreste :  Le mariage est un lien encore plus sacré que celui qui unit une mère à son enfant.  Apollon insiste sur la manière ignoble et indigne dont Agamemnon a été tué : sa femme l’a tué par traîtrise dans son bain après l’avoir enveloppé d’un grand voile qui l’empêchait de se défendre.  Il affirme également que le père est plus important que la mère d’un point de vue biologique : ce n’est pas la mère qui engendre celui qu’on nomme son fils. D. Athéna ou la justice démocratique Athéna est étroitement lié à la notion de virginité depuis sa naissance : elle serait sortie adulte et tout armée du crâne de Zeus, qui l’aurait donc conçue seul. Bien qu’elle soit armée, elle est la déesse de la sagesse au nom du vieux principe militaire : « Si vis pacem, para bellum » (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »). Elle représente donc la conception « sage » de la guerre, la guerre défensive ou la force de dissuasion. Cette réputation de sagesse conduit les deux « parties » en conflit à lui demander son arbitrage. Craignant de nuire en intervenant personnellement, Athéna décide de créer « pour toujours » le tribunal de l’Aéropage. La déesse de la sagesse, donnant son vote à Oreste, permet de sortir du cycle infernal des vengeances familiales. Avec ce tribunal, on sort d’une « justice » familiale pour accéder à une justice uploads/S4/ les-eume-nides.pdf

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  • Publié le Jul 09, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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