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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Avortement : le grand bond en arrière des États-Unis PAR PATRICIA NEVES ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 24 JUIN 2022 Devant la Cour suprême des États-Unis, à Washington, le 24 juin 2022. © Photo Anna Moneymaker / Getty Images via AFP La Cour suprême états-unienne, à majorité conservatrice, a abrogé vendredi l’arrêt « Roe v. Wade » par six voix pour et trois contre. Il y a près de 50 ans, il avait fait de l’accès à l’IVG un droit constitutionnel. Cette décision n’est pas le fruit du hasard. Le mouvement anti-IVG, très organisé et puissant, tente depuis plusieurs décennies de verrouiller le système judiciaire via une constellation d’organisations ayant un seul but : nommer des juges conservateurs à des postes clés, notamment à la Cour suprême. New York (États-Unis).–Très influent à Washington, Leonard Leo reste discret. Dans la presse américaine, cet avocat de 57 ans est essentiellement dépeint à travers sa foi. Fervent catholique, il milite depuis plus de quatre décennies dans les couloirs du pouvoir pour faire rayonner sa conception du droit, une conception conservatrice, « originaliste » . Ce vendredi 24 juin, les années de lobbying de celui qu’on appelle « monsieur Leo » ont payé. À Washington, la Cour suprême, la plus haute instance judiciaire du pays, a définitivement cassé « Roe v. Wade », l’arrêt historique qui a reconnu en 1973 le droit à l’avortement aux États-Unis. Des militantes du droit à l'avortement réagissent devant la Cour suprême des États-Unis, après la décision de revenir sur le décret « Roe v. Wade », à Washington, le 24 juin 2022. © Photo Anna Moneymaker / Getty Images via AFP Les juges à majorité conservatrice, dans une décision très controversée proche de la première ébauche ayant fuité début mai, ont en effet estimé que le droit à une IVG « ne fait pas partie de l’histoire et des traditions de la nation». Autrement dit, les juges de la Cour suprême s’en sont tenus à la définition de la vie privée telle que textuellement retranscrite à l’origine, selon eux, dans le 14e amendement de la Constitution. Dans le cadre des « libertés » individuelles, argumentent-ils, la Constitution « ne fait pas de référence explicite au droit d’obtenir un avortement ». Les juges étaient appelés à statuer sur des restrictions imposées dans le Mississippi, dans une affaire qui fera date, «Dobbs v. Jackson», ou l’interdiction de pratiquer une IVG après 15 semaines de grossesse. La Cour est donc allée bien plus loin ce vendredi que ce seuil de 15 semaines en supprimant totalement le droit constitutionnel à l’avortement outre-Atlantique. Il reviendra désormais à chacun des 50 États américains de légiférer. La possibilité d’avoir recours à une IVG pourrait dès à présent totalement disparaître dans une quinzaine d’États, essentiellement du Sud-Est. Celles et ceux qui chercheront à comprendre comment l’Amérique en est arrivée là tomberont invariablement sur ce nom : Leonard Leo. Car ce dernier, parmi d’autres, a très tôt compris l’utilité de placer des juges adeptes d’une lecture «originaliste» de la Constitution à des postes clés. Aussi bien au niveau fédéral au sein des cours d’appel qu’à l’échelon ultime du pouvoir judiciaire, la Cour suprême. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 Ce mouvement légal, conservateur, focalisé sur la nomination de juges sympathisants, n’est pas nouveau. Il a vu le jour dans les années 1980, après les grandes victoires du mouvement des droits civiques. C’est à ce moment-là, sous la présidence de Reagan, que les conservateurs, pour promouvoir leurs thèses en la matière, ont eu l’intuition de porter dans les tribunaux des candidatures plus marquées idéologiquement à droite. Sans toujours rencontrer d’ailleurs le succès escompté. En 1987, Reagan échoue lorsqu’il tente de nommer à la Cour suprême le juge Bork – un originalisteouvertement opposé à « Roe v. Wade ». Apparu sous Reagan, puis développé sous George Bush, le mouvement légal conservateur ne bascule vraiment que bien plus tard, sous la présidence de Donald Trump. Avec l’aide du Sénat américain, et du leader républicain Mitch McConnell, Trump a en effet pu nommer à lui seul trois juges à la Cour suprême, renversant l’équilibre des pouvoirs. La « liste » de Donald Trump C’est ici qu’entre de nouveau en scène Leonard Leo.En apparence, en 2016, peu avant l’arrivée de Trump à la Maison Blanche, les défenseurs du droit à l’avortement remportent une importante victoire. Dans l’affaire «Whole Woman’s Health v. Hellerstedt», la Cour suprême décide en effet que les restrictions imposées par un autre État, le Texas cette fois-ci (sur l’infrastructure des cliniques pratiquant des IVG entre autres), sont inconstitutionnelles. Elles font peser, estiment-ils, un trop grand « fardeau » sur l’accès des femmes à l’IVG. Le mouvement légal conservateur ne se décourage pas pour autant. Une constellation d’organisations ancrées très à droite, à l’instar de la Federalist Society pilotée par Leonard Leo, et le think thank conservateur The Heritage Foundation œuvrent main dans la main. Ces deux organisations décident d’aider Trump à élaborer, dans une démarche très inhabituelle, alors qu’il n’est encore que candidat, deux listes de noms : ceux des prétendants potentiels qu’il entend nommer à la Cour suprême s’il venait à être élu président. La question des nominations à la Cour suprême est alors ce qui inquiète le plus un électeur américain sur cinq. À droite surtout, avec le décès du juge Scalia à la fin du mandat d’Obama, beaucoup craignent un virage à gauche de la Cour suprême. Neil M. Gorsuch, Brett M. Kavanaugh, les juges nommés par la suite à la Cour suprême par Donald Trump, seront tous des poulains de Leonard Leo, qui avait déjà travaillé en 2005, sous la présidence de George Bush, à la nomination de Samuel Alito, l’auteur de la décision rendue ce vendredi mettant fin à « Roe v. Wade ». Dans les médias américains, de nombreux universitaires ont tenté de comprendre l’influence, au sein des conservateurs, de cette faction religieuse incarné par Leonard Leo. « Le mouvement légal conservateur est apparu pour d’autres raisons que la question de l’avortement mais ce qui lui a donné du pouvoir au sein du Parti républicain, c’est sa large connexion avec un groupe d’électeurs [religieux– ndlr] très mobilisés »,analyse à ce titre dans le New York Times le professeur Steven Teles, auteur d’un ouvrage sur la montée des conservateurs et sur leur « bataille pour contrôler » la loi américaine. Dès lors, ajoute toujours dans le New York Times la professeure de droit Mary Ziegler, qui enseigne à l’école de droit d’Harvard, la question de l’accès à l’IVG est devenue l’une des principales « préoccupations » du mouvement légal conservateur, comme « une sorte de test » qui permettrait d’assurer plus largement le succès du groupe. Et maintenant ? Les optimistes n’excluent pas un retour de bâton. Car l’opinion publique américaine, dans sa majorité, est favorable au droit à l’avortement, surtout si l’acte est pratiqué dans les premières semaines d’une grossesse. 61% des Américain·es pensent ainsi que l’avortement devrait être légal dans tous les cas ou dans la plupart, selon les derniers chiffres de l’institut de recherche Pew. Pour David Coale, un avocat qui plaide devant la Cour d’appel du 5e circuit, la plus conservatrice du pays, peuplée de juges issus de la Federalist Society, la Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 pression du public et le risque que la Cour suprême en sorte affaiblie ne sont pas négligeables. « Je pense que cela peut agir comme un avertissement,explique- t-il à Mediapart, les tribunaux doivent être conscients de la façon dont ils sont perçus par le public ou ils vont simplement perdre leur influence. C’est une réelle préoccupation. » Car la bataille continuera, selon la professeure Mary Ziegler, devant les tribunaux, précisément. Dans la presse américaine, cette dernière conseille d’ailleurs de lire attentivement l’argumentaire défendu ce vendredi 24 juin par les trois juges dissidents de la Cour suprême, celui-ci pourrait ouvrir la voie aux premières contestations. Les plus pessimistes, en revanche, craignent une criminalisation des femmes. Le Missouri, devenu le premier État à interdire l’avortement, a d’ores et déjà tenté ces dernières semaines de limiter les déplacements des femmes hors des limites de l’État, de façon à les empêcher d’avorter ailleurs. Le Missouri a également proposé de juger comme un trafic de drogue la livraison ou l’expédition de pilules abortives ou a encore décidé de considérer l’IVG en cas de grossesse extra-utérine non plus comme une IVG mais comme un crime, malgré le danger d’une telle grossesse. La question restera alors de savoir quels moyens les juges, encore eux, mettront pour assurer les opérations de contrôle. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et uploads/S4/ mediapart 6 .pdf
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- Publié le Sep 17, 2021
- Catégorie Law / Droit
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