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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Livraison d’armes à l’Ukraine : ce que dit le droit PAR LUDOVIC LAMANT ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 12 MARS 2022 Des soldats ukrainiens à Kyiv le 3 mars 2022. © Aris Messinis / AFP Jusqu’où les États-Unis et l’Union européenne peuvent-ils aller dans leur aide à l’Ukraine, sans devenir des parties au conflit face à la Russie ? Passage en revue de ce que disent les textes de droit internationaux. Depuis le premier jour de l’invasion russe en Ukraine le 24février, les capitales de l’Union européenne et des États-Unis répètent sur tous les tons qu’elles soutiennent Kyiv (Kiev en russe) mais ne sont pas parties prenantes du conflit armé. «Nos forces ne sont pas, et ne seront pas engagées dans le conflit avec la Russie en Ukraine», avait déclaré Joe Biden le 24février. «Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie», avait assuré Emmanuel Macron dans son allocution du 2mars. Le président russe Vladimir Poutine n’est pas du même avis, son porte-parole ayant accusé les États- Unis, le 9mars, de mener une «guerre économique» contre la Russie, après la décision de Washington d’en finir avec les importations d’hydrocarbures russes. Sans le dire formellement, les pays européens et les États-Unis ont-ils fini par entrer en guerre contre la Russie, à force de livrer des armes létales à l’Ukraine, à fournir des renseignements à Kyiv et à durcir leurs sanctions contre Moscou? Que disent les textes de droit? À partir de quand un État en théorie neutre devient-il cobelligérant? Les États européens pourraient-ils s’appuyer sur le droit s’ils décidaient d’intervenir militairement aux côtés des forces ukrainiennes? Que nous enseignent d’éventuels précédents? Éléments de réponse. • Pour devenir « partie au conflit», il faut l’«usage de la force armée» Si l’on s’en tient au droit international humanitaire (DIH), qui est aussi appelé le droit des conflits armés, et qui repose avant tout sur les quatre conventions de Genève (1949) et leurs deux protocoles additionnels (1977), une règle prévaut: c’est à partir du moment où un État recourt à l’usage de la force armée contre un autre État (via des armes létales, des prisonniers de guerre,etc.) qu’il devient partie au conflit. Dès lors, l’affaire semble pliée: un État qui livre des armes à l’Ukraine ne devient pas belligérant pour autant. «Ce n’est pas en livrant des armes que l’on devient belligérant, avance Marco Sassòli, de la faculté de droit à l’université de Genève. La livraison d’armes ne pourrait justifier que la Russie décide d’attaquer telle usine d’armement ou tel convoi d’armes passant par exemple sur le sol polonais.» Des soldats ukrainiens à Kyiv le 3 mars 2022. © Aris Messinis / AFP • Quid de la livraison de renseignements? S’il y a coordination des forces à distance, les choses peuvent changer. Le pays en question est susceptible de devenir cobelligérant. La question est particulièrement sensible en matière de renseignement, alors que les États-Unis mais aussi l’Union européenne (viason centre satellitaire à Madrid) envoient des renseignements aux forces ukrainiennes sur les déplacements des soldats russes. Ici, c’est au cas par cas, et le curseur est sensible. «Si les États-Unis transmettent des informations recueillies par satellite, qui permettent aux Ukrainiens de s’informer de la situation générale, ils ne sont pas cobelligérants pour autant, estime le juriste Marco Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 Sassòli. S’ils donnent des informations précises, par exemple des coordonnées GPS de chars, et qu’ensuite les Ukrainiens bombardent ces cibles, là, ils peuvent devenir belligérants». Aux États-Unis, la question fait l’objet d’un vif débat. Si l’on s’en tient à la version donnée par le député démocrate Adam Smith, à la tête de la commission parlementaire sur les forces armées, c’est l’une des lignes rouges des États-Unis: «pas de ciblage en direct», qui permettrait aux forces ukrainiennes d’abattre des soldats russes. «Nous ne le faisons pas, parce que cela reviendrait à franchir la ligne qui ferait de nous des participants à cette guerre. Donc le Pentagone fait très attention et s’en tient à cette ligne de crête. » Cela n’empêche pas Washington d’assurer qu’ils envoient des informations à Kyiv, ces jours-ci, à «un rythme frénétique». • Une « neutralité qualifiée»? Là où les choses se compliquent, c’est qu’il existe un autre corpus de textes de droit, plus anciens, et que certain·es spécialistes considèrent en partie désuets ou obsolètes : le droit de la neutralité. Ils s’appuient en particulier sur deux des conventions adoptées à La Haye en 1907 (ici et là). Selon ces textes, le critère pour qualifier la perte de neutralité est celui du soutien à l’effort de guerre. Sous cet angle, en livrant des armes à l’Ukraine, la France et d’autres États ne sont plus neutres dans le conflit. L’avantage d’un État neutre, c’est que son territoire reste inviolable en cas de guerre. Mais cet avantage est tout relatif depuis l’adoption en 1945 de la Charte des Nations unies, qui encadre l’utilisation de la force après la Seconde Guerre mondiale et garantit, sur le papier, l’inviolabilité des États («Les Membres de l’Organisation s’abstiennent [...] de recourir à la menace ou à l’emploi de la force [...] contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État»,dit l’article2.4). Comme l’explique le juriste Michael N. Schmitt dans une analyse publiée le 7mars par le Lieber Institute, certain·es spécialistes jugent toutefois qu’il est préférable, non pas d’en finir avec le droit de la neutralité – notamment parce que l’histoire récente a prouvé que la Charte des Nations unies n’était pas infaillible –, mais plutôt de l’actualiser. D’où le concept plus récent de «neutralité qualifiée»: un État peut rester neutre, tout en faisant la distinction entre l’État qui commet l’agression et l’État qui en est victime. Il peut alors procéder, par exemple, à des livraisons d’armes en faveur de ce dernier. Quoi qu’il en soit, cette entorse au principe de neutralité, manifeste depuis le 24février pour les pays de l’UE ou les États-Unis, n’en fait pas pour autant des cobelligérants, notion qui renvoie au premier corpus, celui du droit international humanitaire. «Ce n’est pas parce qu’un État n’est pas un belligérant qu’il doit être nécessairement neutre, insiste l’universitaire Marco Sassòli. Un État peut d’ailleurs décider d’être simplement “non-belligérant”, notion qu’avait créée Benito Mussolini au début de la Seconde Guerre mondiale parce qu’il ne voulait pas être neutre entre Hitler et la France.» • Quid de l’absence de mandat de l’ONU? C’est l’une des difficultés de la situation en cours. L’Assemblée générale de l’ONU a bien adopté, le 2mars, une résolution exhortant la Russie à «cesser immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine». Mais ce texte n’a pas de valeur juridique et tout vote au sein du Conseil de sécurité des Nations unies est, lui, bloqué par le veto russe. Le Conseil de sécurité aurait pu donner l’autorisation, par exemple, de déroger à l’article2.4 de la Charte des Nations unies sur le non-recours à l’emploi de la force. Cette piste est donc exclue. Les juristes débattent ces jours-ci pour savoir si un mandat de l’ONU est nécessaire pour maintenir une position de «neutralité qualifiée». Il reste l’article51 de la Charte, qui consacre «le droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations unies est l’objet d’une agression armée». C’est en s’appuyant sur l’article51 que Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, a justifié les convois de livraisons d’armes à l’Ukraine: «Les alliés aident l’Ukraine à garantir son droit à la légitime défense, inscrit dans la Charte des Nations Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 unies.» Dans l’esprit de Stoltenberg, c’est bien un cas de légitime défense collective, puisqu’il y a agression armée, et que l’Ukraine a demandé de l’aide, à l’UE comme aux membres de l’OTAN. L’intervention des États-Unis en Irak en 2003 constitue l’un des précédents les plus récents d’une offensive d’un État contre un autre, sans mandat des Nations unies, et menée au nom d’un argumentaire controversé (les frappes contre la Libye de Kadhafi, en 2011, s’étaient faites, elles, sous mandat de l’ONU). À l’époque, le mouvement pacifiste irlandais s’était opposé bruyamment à l’utilisation par les avions américains, partant vers l’Irak, de l’aéroport de Shannon, pour s’alimenter en carburant. Ces activistes jugeaient que Dublin avait rompu sa neutralité, de manière d’autant plus problématique que l’ONU ne soutenait pas cette offensive. Mais leur action en justice n’avait pas abouti. • Et la « défense collective» au sein de l’OTAN? L’article5 de l’OTAN consacre le principe de défense collective (en résumé: une attaque dirigée contre l’un des membres est considérée comme une attaque contre tous les membres). Mais il est à ce stade purement indicatif – puisque la guerre reste contenue sur le sol ukrainien et que la Russie n’a bombardé aucun pays membre de l’Alliance atlantique voisin de l’Ukraine. C’est pour cela que les Européens ont refusé de mettre en place une «no fly zone» comme leur demandait l’Ukraine. Il aurait fallu abattre tout hélicoptère ou avion russe violant cette uploads/S4/ mediapart.pdf

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  • Publié le Oct 12, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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