Page 1 sur 66 COUR MUNICIPALE DE LONGUEUIL CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT D
Page 1 sur 66 COUR MUNICIPALE DE LONGUEUIL CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE LONGUEUIL NO : 09-19841 DATE : 20 septembre 2012 SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE JUGE PIERRE-ARMAND TREMBLAY, J.C.M. Ville de Longueuil Poursuivante c. Joël Debellefeuille Défendeur JUGEMENT TABLE DES MATIÈRES LES NUMÉROS RÉFÈRENT AUX PARAGRAPHES. I. INTRODUCTION [1] A) L’historique du dossier [2] B) Les considérations préalables [7] II. FAITS [12] A) L’agent Salim Ojeil [12] Page 2 sur 66 B) L’agente Brunet [52] C) Le Sergent Fournier [72] III. ARGUMENTATION SUR LA REQUÊTE EN EXCLUSION DE LA PREUVE ET DEMANDE D’ARRÊT DES PROCÉDURES [77] A) La défense [77] B) La poursuivante [78] IV. QUESTIONS EN LITIGE [80] V. ANALYSE ET MOTIFS [83] A) Les notions de profilage racial [83] 1) Les chartes et les lois [83] a) La Charte canadienne des droits et libertés [84] b) La Charte québécoise des droits et libertés de la personne [87] c) Le Code de déontologie des policiers du Québec [92] 2) Les définitions recensées par la doctrine [95] 3) Le caractère « involontaire » du profilage racial [107] 4) Quelques exemples de comportements de nature profilante [114] a) L’interception, la détention ou l’arrestation arbitraire d’une personne appartenant à un certain groupe pour élucider une enquête en cours en l’absence de détails descriptifs suffisants sur l’individu recherché, compte tenu des circonstances [115] b) Le profilage racial peut également être démontré par un comportement inadéquat [121] c) Les témoignages contradictoires ou invraisemblables [125] d) Le traitement différent pour certains groupes de personnes [129] 5) La jurisprudence [139] a) La notion de détention et le C.S.R. [143] L’affaire Soucisse L’affaire Dault L’affaire Ladouceur b) La notion de détention arbitraire [150] L’affaire Grant c) La détention dans un contexte de profilage racial [162] L’affaire Brown L’affaire Khan L’affaire Johnson L’affaire Garfield Peart Page 3 sur 66 L’affaire Pelletier (C.Q., juge Laberge) L’affaire Pelletier (C.S., juge Lesage) L’affaire Campbell L’affaire Law 6) L’intérêt social de la question [214] B) L’application aux faits en litige [224] 1) La séquence des événements [235] 2) Le signe de la main [237] 3) Le mégot de cigarette [247] 4) Le caractère suspect de la non-correspondance entre la couleur de peau du conducteur d’un véhicule et la propriété de ce véhicule enregistré au nom d’un dénommé Debellefeuille, un nom à consonance québécoise [255] C) La réparation [279] 1) La gravité de la conduite attentatoire de l’État [282] 2) L’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte [284] 3) L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond [287] D) La demande d’exclusion des paragraphes 22 et 23 de la requête du défendeur par la poursuivante [293] VI. CONCLUSIONS [298] Page 4 sur 66 TEXTE INTÉGRAL I. INTRODUCTION [1] Le Tribunal est saisi d’une Requête en exclusion de la preuve et demande d’arrêt des procédures en vertu des articles 9, 15(1), 24(1) et 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés (profilage racial), dans le cadre d’une accusation portée contre le défendeur en vertu de l’article 638.1 du Code de la sécurité routière (C.S.R.), lequel se lit comme suit : « 638.1. Quiconque entrave, de quelque manière que ce soit, l'action d'un agent de la paix agissant en vertu du présent code, de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds (chapitre P-30.3) ou d'une loi dont la Société, conformément aux dispositions de l'article 519.64, est chargée de l'application, notamment en le trompant par réticence ou par de fausses déclarations, en refusant de lui fournir des renseignements ou des documents qu'il a le pouvoir d'exiger ou d'examiner, en cachant ou en détruisant un document ou un bien concerné par une inspection, commet une infraction et est passible d'une amende de 300 $ à 600 $ ou, si l'infraction est commise dans le cadre d'une intervention relative à un véhicule lourd, de 700 $ à 2 100 $. » 2002, c. 29, a. 75; 2008, c. 14, a. 94. A) L’HISTORIQUE DU DOSSIER [2] La présente affaire a déjà fait l’objet d’un jugement prononcé en cour municipale par le juge Marc Gravel le 29 septembre 2010. [3] Le défendeur s’est porté en appel de ce jugement devant la Cour supérieure du district de Longueuil. [4] Le 17 novembre 2011, le juge Jerry Zigman ordonnait la tenue d’un nouveau procès devant un juge de la cour municipale autre que celui qui avait déjà entendu cette affaire1. [5] Dès le début de ce nouveau procès, les parties conviennent que la poursuivante fera d’abord la preuve des faits survenus dans le présent [1] 1 Debellefeuille c. Longueuil (Ville de), (C.S., 2011-11-17), 2011 QCCS 6062, SOQUIJ AZ-50805526, 2012EXP-31, J.E. 2012-27. Page 5 sur 66 dossier, notamment par le témoignage des policiers impliqués lors de l’intervention survenue le 10 juillet 2009. [6] De fait, la présente requête a été plaidée dès que la poursuivante a déclaré sa preuve close. B) LES CONSIDÉRATIONS PRÉALABLES [7] En raison du nombre important de décisions qui seront analysées dans le présent jugement et dans le but d’éviter toute confusion pour le lecteur, toute référence au présent dossier portera le vocable « le dossier sous étude » alors que l’ensemble de la jurisprudence citée le sera sous le vocable « dans l’affaire (nom de la cause)… ». [8] Par ailleurs, avant de débuter, le Tribunal tient à préciser qu’il n’est pas particulièrement à l’aise avec les termes « race noire ». D’ailleurs, certains dictionnaires contemporains2 mentionnent que le mot « race » est une expression « vieillie ». [9] Comme les chartes traitent juridiquement de la notion de profilage racial par le biais des mots « couleur » et « race », le Tribunal emploiera le plus souvent possible la première expression mais emploiera également la deuxième. En effet, la plupart des contestations, articles de doctrine ou jugements alléguant ces discriminations sont surtout fondées sur le terme juridique « race » et non « couleur ». [10] Par ailleurs, à quelques reprises, surtout dans la dernière partie du présent jugement, le Tribunal a répété certaines citations in extenso. Ce choix volontaire ne réduit évidemment pas le volume du texte mais il en facilite grandement la compréhension, en évitant autant que possible un va-et- vient désagréable pour le lecteur. [11] Finalement, les extraits de témoignages du présent dossier reproduits in extenso dans le texte ont été retranscrits par le Tribunal. [1] 2 Centre national des ressources textuelles et lexicales, Lexicographie, en ligne www.cnrtl.fr/definition/race. Page 6 sur 66 II. FAITS A) L’AGENT SALIM OJEIL [12] La poursuivante fait d’abord entendre l’agent Salim Ojeil, lequel cumule cinq années de service au sein de la Police de Longueuil. [13] L’agent explique que le 10 juillet 2009, il patrouillait en compagnie de sa partenaire, l’agente Brunet, laquelle sera également entendue. [14] L’agent explique qu’ils suivent un véhicule dont le conducteur « est connu de nos services. » (Note du Tribunal : Ce conducteur n’est pas le défendeur.) [15] Le défendeur circule plutôt en sens inverse dans une BMW. Le conducteur du véhicule qui précède celui des policiers sort la tête pour faire un signe de la main au défendeur qui s’apprête à les croiser. L’agent précise : « Donc, on a conclu qu’ils se connaissaient. » [16] Au moment où le véhicule du défendeur croise le véhicule patrouille, l’agent remarque que le conducteur est « un homme de race noire ». [17] Dès que le conducteur passe à coté des policiers, l’agent voit dans son rétroviseur qu’un « mégot de cigarette […] avait été jeté par la fenêtre. » [18] Il en vient à la déduction que le mégot a été jeté sur la chaussé par quelqu’un à bord du véhicule du défendeur, car il a vu des étincelles jaillir à la surface de la chaussée, juste derrière le véhicule du défendeur, lors du contact de la cigarette avec l’asphalte. [19] Même s’il ne peut identifier qui a lancé ce mégot de cigarette, le policier précisera fermement que le mégot a été jeté de l’extérieur du véhicule du défendeur du côté passager, soit du côté droit. [20] Ayant des motifs raisonnables de croire qu’une infraction venait de se produire, les policiers font demi-tour et suivent le défendeur afin d’enquêter la plaque d’immatriculation. [21] Le Centre de renseignements policiers du Québec (C.R.P.Q.) attribue le numéro de plaque à un dénommé Debellefeuille, le défendeur. Prenant conscience du nom de famille « Debellefeuille », le policier explique que sa consœur et lui ont eu la même réaction, à savoir que ce nom est un « nom québécois » qui ne « correspond pas » à l’identité du conducteur noir qu’ils viennent de croiser. Le policier dit textuellement : « Debellefeuille, à notre Page 7 sur 66 niveau, ça sonnait comme un nom de famille québécois et non pas d'une autre origine. Donc, on a décidé d'intercepter le véhicule. » [22] Considérant le signe de la main à l’endroit du défendeur par le conducteur qui précédait les policiers, l’infraction relativement au mégot et le uploads/S4/ municipal-court-decision-re-joel-debellefeuille.pdf
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- Publié le Mar 30, 2021
- Catégorie Law / Droit
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