Chloé EVRARD DROIT PÉNAL DES AFFAIRES Pierrick LOILLIER-ILDEBRAND Mme Raphaële

Chloé EVRARD DROIT PÉNAL DES AFFAIRES Pierrick LOILLIER-ILDEBRAND Mme Raphaële PARIZOT Solène HAMY MASTER II DACA 2020-2021 Le principe ne bis in idem appliqué en matière de fraude fiscale Illustration de Noémi Thepot 1 TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION 1. Définition du principe ne bis in idem page 3 2. Contexte en matière de fraude fiscale et droit pénal des affaires page 3 I. La conception du principe ne bis in idem en matière de fraude fiscale par les juridictions européennes 1. La Cour européenne des droits de l’homme, garante du principe ne bis in idem page 5 2. La Cour de Luxembourg plus souple que celle de Strasbourg page 7 II. La conception du principe ne bis in idem en matière de fraude fiscale par les juridictions françaises 1. La position nuancée du Conseil constitutionnel page 8 2. La position constante de la Cour de cassation page 10 BIBLIOGRAPHIE page 12 2 INTRODUCTION 1. Définition du principe ne bis in idem Garanti notamment par l’article 4 du protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)1 et l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne2, le principe ne bis in idem se définit comme un droit absolu à ne pas être jugé ou puni deux fois pour les mêmes faits. En droit français, le principe ne bis in idem est prévu par l’article 368 du Code de procédure pénale3 mais n’a pas de valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a énoncé qu’il n’avait qu’une valeur législative4 et donc, qu’il pouvait y être dérogé par la loi dans les limites du principe de nécessité des délits et des peines tiré de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC)5. 2. Contexte en matière de fraude fiscale et droit pénal des affaires La découverte d’une fraude fiscale entraîne, le plus souvent, une double poursuite : - l’une sur le terrain administratif aux fins d’une rectification de l’impôt éludé assortie de majorations et pénalités ; - l’autre sur le terrain pénal pour délit de fraude fiscale conduisant au prononcé d’une peine privative de liberté et d’une amende. En effet, l’article 1741 du Code général des impôts relatif au délit de fraude fiscale permet à l'administration fiscale, “indépendamment des sanctions fiscales applicables” d'engager des poursuites pénales contre “quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts.” Il y a donc un cumul des poursuites et des sanctions fiscales et pénales pour les mêmes faits, ce qui est contraire au principe ne bis in idem garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Cela interroge ainsi sur sa portée en matière de fraude fiscale. 5“La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.” 4 Cons. const. 20 juillet 1982, n° 82-143 DC. 3 “Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente.” 2“Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi.” 1“Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat.” 3 La question de l’application du principe ne bis in idem en matière de fraude fiscale se révèle particulièrement délicate lorsque la fraude fiscale a été commise pour le compte d’une personne morale par l’intermédiaire de son représentant. La personne morale étant soumise à un régime juridique et des sanctions propres, celle-ci peut voir sa responsabilité fiscale engagée indépendamment de la responsabilité pénale de son représentant. Le cumul de sanctions fiscales et pénales ne semble a priori pas contraire au principe ne bis in idem. Toutefois, il est possible d’en douter. En effet, en raison du lien particulier qui unit le dirigeant personne physique à la personne morale qu’il représente, certains auteurs considèrent que cette double sanction ne touche en réalité que la personne physique. Il y a aurait ainsi contrariété au principe ne bis in idem puisqu’une même personne serait sanctionnée deux fois pour un même fait. Ainsi, il est possible de se demander si le cumul de sanctions fiscales et pénales en matière de fraude fiscale porte atteinte au principe ne bis in idem. Afin d’y répondre, il est intéressant de comparer la conception du principe ne bis in idem en matière de fraude fiscale par les juridictions européennes (I) et par les juridictions françaises (II). 4 I. La conception du principe ne bis in idem en matière de fraude fiscale par les juridictions européennes 1. La Cour européenne des droits de l’homme, garante du principe ne bis in idem À de nombreuses reprises6, la Cour européenne des droits de l’homme a censuré le cumul de sanctions pénales et fiscales en matière de fraude fiscale pour atteinte au principe ne bis idem. Ainsi, dans un arrêt du 27 novembre 2014, la Cour européenne a jugé que viole le principe ne bis in idem une personne qui acquittée au pénal par un jugement définitif, fait l’objet ultérieurement de poursuites fiscales à raison des mêmes faits de soustraction à l’impôt. Dans un arrêt du 10 février 2015, la Cour européenne a également retenu une violation de l’article 4 du protocole n°7 à la Convention. Dans cette affaire, suite à un contrôle fiscal de la société, les autorités fiscales finlandaises constatèrent des irrégularités dans les déclarations et infligèrent des majorations fiscales à la société et au requérant. Parallèlement, une procédure pénale fut ouverte contre le directeur général de la société qui fut condamné pour fraude fiscale aggravée, à une peine d’emprisonnement et à une amende. Pour la Cour, il y avait là une atteinte au principe ne bis in idem car le requérant avait été puni deux fois pour les mêmes faits. Ces arrêts nous amènent à nous demander pourquoi la Cour européenne interprète de manière très large le principe ne bis in idem. En effet, l’article 4 du protocole n° 7 laisse penser que le principe ne bis in idem ne s’applique qu’à la matière pénale au sens strict et non pour des procédures et sanctions de nature différente. Or dans ces arrêts, la Cour européenne a jugé que la règle ne bis in idem s’applique dès lors que les poursuites fiscales relèvent de la matière pénale au sens de la Convention. En effet, la Cour a développé une interprétation autonome du concept “d'accusation en matière pénale7” par trois critères de qualification dégagés dans sa jurisprudence Engel8 de 1976 (qualification juridique de l’infraction en droit interne, nature de l’infraction, degré de sévérité de la sanction encourue). En application des ces critères, une procédure fiscale relève de la matière pénale au sens du droit européen s’il peut en résulter une sanction ayant un caractère répressif. Or, les pénalités fiscales comme les amendes ou les majorations ont une nature répressive en droit fiscal français. 8 CEDH, 8 juin 1976, Engel et autres c. Pays-Bas, n°5100/71 7 visé par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme 6 CEDH 27 nov. 2014, n° 7356/10, Lucky c/ Suède ; CEDH 27 janv. 2015, n° 17039/13, Rinas c/ Finlande ; CEDH 10 févr. 2015, n° 53753/12, Kiiveri c/ Finlande ; CEDH 10 févr. 2015, n° 53197/13, Osterlund c/ Finlande ; CEDH 30 avr. 2015, nos 3453/12, 42941/12 et 9028/13, Kapetanios et a. c/ Grèce. 5 Par conséquent selon la Cour européenne, le cumul condamnation pénale/condamnation fiscale est impossible, dès lors qu’il s’agit d’une même infraction définitivement jugée. Toutefois, un obstacle semble s’opposer à l’application de ces jurisprudences dans certains États. En effet, souhaitant se prémunir contre une application trop importante du principe ne bis in idem, la France comme d’autres États (Allemagne, Autriche, Italie, Lichtenstein, Pays-Bas, Portugal) ont émis une réserve lors de la ratification du protocole n°7 limitant l’application de son article 4 aux sanctions qualifiées de pénales par leur droit interne9. Cette réserve leur permettait de maintenir le cumul de sanctions pénales et fiscales. D’où notre interrogation sur l’effectivité de cette réserve devant la Cour européenne des droits de l’homme. En 199510, la Cour a écarté la réserve formulée par l’Autriche. Plus récemment en 201411, elle a invalidé la réserve italienne, rédigée en termes quasi identiques à la réserve française, pour imprécision et donc violation de l’article 57 de la Convention12. Bien que la Cour ne se soit encore jamais prononcée sur la validité de la réserve française, il est fort possible qu’elle soit écartée de la même façon en cas de contentieux. Toutefois, un arrêt de 201613 laisse présager un possible cumul. Dans cette espèce, la Cour européenne a admis le cumul de poursuites pénales et fiscales en uploads/S4/ ne-bis-in-idem.pdf

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  • Publié le Mar 18, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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