(2017) 22 Lex-Electronica.org 117 Copyright © 2017 Antoine Latreille. * Profess

(2017) 22 Lex-Electronica.org 117 Copyright © 2017 Antoine Latreille. * Professeur à l’Université Paris-Sud / Université Paris-Saclay, doyen de la faculté Jean Monnet La numérisation est une technique généralisée au sein de la société. Ces usages, désormais imposés à l’homo numericus, impactent le droit comme bon nombre de sciences sociales. Les interactions entre science juridique et technique sont constantes. En s’adaptant à un en- vironnement technologique en perpétuelle mutation, le droit remplit son rôle de régulation et de sécurisation des rapports sociaux. Cette adaptation prend la forme d’une évolution de normes anciennes ou justifie parfois l’élaboration de règles spéciales. Mais ce n’est pas la technique en tant que telle qui est objet de droit, ce sont les usages et comportements qu’elle fait naitre. Ce passage de la technique numérique aux pratiques induites est une étape né- cessaire dans l’analyse proposée. Comment le numérique a-t-il pénétré le droit ? Chaque usage nouveau a-t-il donné nais- sance à une réponse ad hoc ou peut-on dégager des traits communs au numérique ? Quelle logique sous-tend l’ensemble des nouveaux droits issus de la numérisation ? Cette étude s’aventure dans une classification des effets du numérique sur le droit. Numérisation Antoine Latreille* (2017) 22 Lex Electronica 117 118 Introduction 119 1. Une (re)évolution technique… 121 1.1. Le traitement 123 1.2. La dissémination 124 2. … qui induit une réponse juridique 126 2.1. Fonctions du droit 127 2.2. Effets du droit 131 Conclusion 134 Antoine Latreille Numérisation 119 INTRODUCTION La numérisation s’entend, au sens strict, de l’opération de transformation d’une information de toute nature sous forme d’un code binaire destiné à être traité par un système ou un équipement numérique. Au sens large retenu dans cette étude, elle désigne les services et objets issus de ce processus technique. L’étude du phénomène de la numérisation est bien une technologie au sens éty- mologique du terme. Depuis l’apparition de l’informatique, enfant inattendu de l’ef- fort de guerre, sa généralisation au domaine professionnel dans les années 1970, et surtout sa « massification » depuis vingt-cinq ans, les analyses du « tout numé- rique » sont légion. Après avoir révolutionné le monde de l’entreprise, ses usages en perpétuelle mutation exercent leur diktat sur un mode d’homo numericus, avec de moins en moins de distinction selon le degré de fortune ou d’éducation, ni même en fonction de la situation géographique1. Il s’agit d’abord d’innovations techniques, dont la pertinence relève du travail des sciences de l’ingénieur ou de la physique, mais aussi de l’histoire des sciences et de l’épistémologie. Mais ces innovations em- portent des usages nouveaux, elles modifient les modes de vie. Leurs répercussions sont considérables dans d’autres champs des sciences humaines et sociales : l’éco- nomie et la sociologie, mais encore la psychologie, l’anthropologie, les sciences de l’éducation et les sciences juridiques. En effet, le droit a pour fonction de régir les rapports entre les personnes, prises individuellement ou collectivement, en leur imposant dans la plupart des cas un cadre contraignant. L’évolution de l’environnement influe en général sur ces rap- ports et se traduit par un aménagement des règles de droit. La numérisation n’est évidemment pas la première innovation à induire des changements tels qu’ils re- 1. Exemple du continent africain qui s’affranchit de la technologie filaire faute d’infrastructure mais très dynamique en matière de réseaux sans fil, notamment en matière d’usage par les téléphones mobiles. Numérisation Antoine Latreille (2017) 22 Lex Electronica 117 120 quièrent une réponse juridique. Dans le domaine de la communication, on peut penser à l’imprimerie, puis à la radiodiffusion, avant que la technique ne permette d’y ajouter l’image pour donner la télédiffusion. De façon plus générale, les fruits de la révolution industrielle ont fait naitre de nombreuses normes juridiques comme le droit des transports ou la propriété industrielle. La numérisation n’est pas non plus la seule technique « nouvelle » entrainant de concert des évolutions sociétales et juridiques. Elle est souvent assimilée sur ce terrain aux nanotechnologies et bio- technologies à travers le sigle NBIC2. Analysés fort justement comme « deux impé- rialismes structurants », droit et technique interagissent par nécessité3. Plus encore, le « bouleversement » du numérique engendre un sentiment d’ur- gence de la réaction juridique. Le développement de nouvelles « industries » et leur corollaire de pratiques de consommation se sont heurtés à la peur du vide, le fa- meux « vide juridique », trou noir de la régulation annonciateur d’anarchie. Cette crainte n’est pourtant pas justifiée. Avec les outils qui sont les siens, et notamment grâce à l’office du juge, le droit s’adapte aux situations nouvelles. Si cette observation atténue le degré d’urgence, elle ne doit pas favoriser l’immobilisme. La norme doit évoluer pour assurer son impératif de sécurité juridique. Il appartient alors aux pou- voirs publics de définir les situations dans lesquelles le changement est requis. Une analyse posée, complète et méthodique des solutions envisagées écarte le risque de lois « fait divers », traduisant par exemple dans la précipitation une politique pénale en recherche d’adhésion populaire. Pour pallier le risque d’obsolescence de la norme, il serait encore opportun d’en vérifier la neutralité technologique. La règle de droit serait alors détachée de son environnement technique conjoncturel. En ce sens, la neutralité est un leurre4. La norme encadre nécessairement des pratiques qui évoluent avec la technique. Dans les hypothèses les plus fréquentes, la norme est simplement adaptée5 ; dans d’autres, un texte sui generis est même nécessaire6. Cette courte étude7 tente de décrypter la 2. Pour Nano, Biotechnologie, Informatique, Cognitique. L’informatique et la cognitique sont tout- es deux issues des techniques numériques. 3. J. Frayssinet, « Droits, droits et nouvelles technologies » dans J. Mestre et L. Merland (dir.) Droit et innovation, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2013, p. 543. 4. En revanche, elle est applicable et même nécessaire lorsque la norme repose sur la mise œuvre d’un dispositif technique comme la signature numérique. Voir V. Gautrais, Neutralité technologique, Montréal, Thémis, 2012. 5. Le droit d’auteur fournit de très nombreux exemples depuis la protection du logiciel en France en 1985 (directive de l’Union européenne en 1994) jusqu’à l’évolution des exceptions (copie tech- nique provisoire, copie privée) ou plus récemment la prise en considération du livre numérique (cf. infra). 6. Notamment la responsabilité spéciale des intermédiaires techniques, le traitement des données personnelles et la protection des bases de données (cf. infra). 7. Ce travail est issu d’une communication orale présentée en juillet 2015. Il est centré sur le droit Antoine Latreille Numérisation 121 logique qui sous-tend l’ensemble des nouveaux droits issus de la numérisation. Elle propose une analyse d’ensemble, sans pouvoir entrer dans le détail des notions et des régimes. À cette fin, elle essaye dans un premier temps de traduire la technique numérique en termes d’évolution des pratiques susceptibles de modifier les paradigmes fondant notre droit positif. Dans un second temps, elle se propose d’identifier quelques effets sur la norme en en dressant une typologie. Si nous nous limiterons à l’analyse de l’effet de la numérisation sur le droit, l’étude de la réciproque est aussi éminemment intéressante : à rebours, le droit modifie-t-il le numérique ou, plus exactement, le comportement des utilisateurs est-il condi- tionné par l’existence, voire la sévérité d’une règle juridique ? Il semble difficile de le croire en observant la force irrésistible du progrès. Tout au plus le droit permet- trait-il d’analyser certaines pratiques8. Quoi qu’il en soit, une telle approche relève plus du domaine de la sociologie, voire de la psychologie. 1. Une (re)évolution technique… L’évolution technique est une constante de l’histoire moderne, permettant no- tamment l’amélioration des conditions de vie. Sans évidemment prendre parti sur la pertinence de la numérisation, on ne peut que constater qu’elle participe aux conforts des individus dans leurs activités do- mestiques comme professionnelles. Il est en revanche particulièrement risqué de juger l’importance de cette évolution au regard de celles qui l’ont précédée. Mais dans un domaine connexe, il semble possible d’affirmer que la numérisation a, mu- tatis mutandis, des effets sociétaux comparables à ceux de l’essor de l’imprimerie au XVe. Par ailleurs, si le numérique est l’un des nombreux champs des technologies, aujourd’hui, toutes les sciences et techniques recourent, pour ne pas dire dépendent, des outils numériques9. Pour commencer, définissons plus avant la notion de numérisation. Comme nous l’avons écrit plus haut, il s’agit d’une opération qui, par le truchement d’un appareil électronique, convertit une information sous la forme d’un signal binaire10. français et de l’Union européenne. 8. J. Frayssinet, « Droits, droits et nouvelles technologies » dans J. Mestre et L. Merland (dir.) Droit et innovation, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2013, p. 543. 9. L’informatique est utilisée aujourd’hui dans toutes les sciences et techniques : modélisation, mais aussi création ou fabrication assistées par ordinateur. 10. Stricto sensu, la numérisation est un acte de transformation qui suppose que l’information d’ori- gine soit sous une forme analogique. Or l’usage des outils numériques devient le mode normal d’élaboration ou de mise en forme des informations : l’information est originellement numérique (2017) 22 Lex Electronica 117 122 L’information concernée s’entend désormais de tout support des uploads/S4/ numerisation.pdf

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  • Publié le Sep 28, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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