Recueil Dalloz 2010 p. 2323 Droit du commerce international septembre 2009 - ao
Recueil Dalloz 2010 p. 2323 Droit du commerce international septembre 2009 - août 2010 Louis d' Avout, Professeur à l'Université de Lyon (Jean Moulin, Lyon 3) Sylvain Bollée, Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) L'essentiel Les années se suivent et se ressemblent un peu. Cette synthèse d'une année de droit du commerce international, écrite selon le même plan que celui des précédentes, révèle des constantes de la règlementation française et européenne : une tendance forte, non pas au désengagement de l'Etat, mais à l'adaptation de ses contraintes normatives au fait économique transfrontière ; une tendance aussi, d'effet éventuellement inverse, à l'unilatéralisme expansionniste lorsque sont en jeu les intérêts cruciaux d'une collectivité donnée (V. aussi, paru alors que cette chronique était en cours d'écriture, l'article Béguin, Menjucq et Nourissat, JCP 2010. 886). Sous les diverses rubriques traitant des sociétés, de l'arbitrage, du droit de l'insolvabilité et des contrats, on retrouvera donc, pêle- mêle, ces mots-clés transversaux que sont entre autres : l'autonomie de la volonté, les lois de police ; l'opposition de la territorialité et de l'extraterritorialité du droit. Ces mots ne sont pas anodins : ils fédèrent le jeu des diverses branches du droit mobilisées par la réalité des échanges transfrontières. Toute réaction à ce panorama sera la bienvenue : davoutbollee@gmail.com. I - Sources et méthodes de règlementation A - Class actions et délocalisation des contentieux boursiers Une idée en vogue voudrait que l'on considère les justices nationales comme autant de produits offerts à la consommation des demandeurs dans les contentieux internationaux, et que la libéralisation de l'accès aux ordres juridictionnels les plus attractifs soit porteuse des plus grands bienfaits pour tous (sur ce thème, V. les réf. citées par S. Bollée, La concurrence des justices nationales..., inL'efficacité économique en droit, Economica, 2010). Les controverses récemment suscitées par la pratique des « foreign-cubed » class actions en matière boursière suggèrent cependant que cette vision libérale, quoi qu'elle puisse déjà se prévaloir de certaines conquêtes (rappr. l'affaire Monster Cable, relatée dans ce panorama l'an passé), devrait rencontrer de sérieuses poches de résistance. Introduites aux Etats-Unis, ces « foreign-cubed » class actions doivent leur dénomination à leur extranéité tridimensionnelle par rapport à l'ordre juridictionnel sollicité : 1°- les demandeurs sont des investisseurs étrangers ; 2°- ils agissent contre une société cotée à l'étranger (et éventuellement ses dirigeants) ; 3°- le litige se rapporte à des instruments financiers que les premiers ont acquis ou vendus sur un marché étranger. Ces actions constituent un avatar particulièrement spectaculaire du forum shopping, la saisine du juge américain étant clairement motivée par les avantages que peuvent procurer aux demandeurs diverses caractéristiques « exotiques » du système juridique américain, notamment au plan procédural (pour un aperçu, V. E. Gaillard, note ss. l'arrêt Morrison citée infra). L'une d'elles - c'est loin d'être la seule - tient à la possibilité d'introduire une action de groupe avec un système d'« opt out » : à la demande de quelques plaideurs, le juge « certifie » une classe de demandeurs dont il donne une définition abstraite, et toutes les personnes correspondant à cette définition (ex. : toute personne ayant acquis des actions de telle société entre telle et telle dates) seront réputées participer à l'action si elles ne s'y opposent pas expressément. L'action fait ainsi peser une pression d'autant plus lourde sur les défendeurs, et cet élément s'ajoute à d'autres pour placer les demandeurs dans une position forte grâce à laquelle ils cherchent, en général, à obtenir une transaction avantageuse. Intuitivement, on sent bien sûr que l'action ainsi engagée par une poignée de demandeurs opportunistes a toutes les raisons de s'attirer une réaction défavorable : outre que certains des particularismes du système américain ont de quoi laisser perplexe un observateur européen, le simple bon sens semble condamner l'idée qu'un tribunal américain puisse connaître d'un contentieux qui a des liens beaucoup plus sérieux avec un autre ordre juridique que celui des Etats-Unis. Les choses ne sont cependant pas aussi simples que le suggèrent les premières apparences. En effet, dans la plupart des cas, si le contentieux a manifestement des liens plus étroits avec un autre pays, il n'est pas pour autant dénué de tout rattachement avec les Etats-Unis (ex. typique : les demandeurs allèguent une fraude dont certains éléments constitutifs sont intervenus sur le territoire américain). Le problème, pour qui entend porter un jugement sur la légitimité de la saisine des juridictions américaines, est alors de savoir s'il n'est pas des hypothèses dans lesquelles les liens avec les Etats-Unis pourraient apparaître, en définitive, suffisamment significatifs pour rendre acceptable l'initiative des demandeurs. On pressent que des difficultés peuvent se loger là. Il est vrai que cette interrogation serait hors de propos si les litiges en cause tombaient, ratione materiae, dans le champ de la compétence exclusive du juge du pays où la société a son siège. Mais dans la tradition européenne, le domaine de cette compétence réservée est conçu de manière relativement étroite (V. l'art. 22, § 2, Règl. Bruxelles I), trop étroite en tout cas pour englober, bien souvent, les types de contentieux dont il est question (V. par ex. l'affaire Vivendi, infra). L'exercice d'une compétence juridictionnelle par un tribunal étranger n'apparaît donc pas forcément inadmissible a priori. Des auteurs autorisés ont certes soutenu que les tribunaux français mériteraient malgré tout d'être considérés « seuls ou prioritairement compétents pour connaître des litiges entre les investisseurs français et les émetteurs financiers de droit français à propos de titres acquis en France » (L. d'Avout, Vivendi déboutée par la cour de Paris : que dit le bon sens juridique ?, 10 mai 2010, http://lecercle.lesechos.fr ; rappr. D. Cohen, Contentieux d'affaires et abus de forum shopping, D. 2010. 975), mais il n'est pas dit que la chose aille toujours de soi. De fait, l'ordre juridique américain peut lui-même avoir quelques raisons de s'ouvrir à de tels litiges : favoriser la sanction de fraudes orchestrées aux Etats-Unis, par exemple, ou tout simplement permettre aux investisseurs étrangers de prendre part à une action dans laquelle pourront de toute façon être représentés des investisseurs américains qui ont acquis leurs titres aux Etats-Unis, ce dans le souci d'assurer une forme d'homogénéité dans le traitement juridique des actionnaires d'une même société. Au total, on mesure donc que l'appréhension de ces figures contentieuses n'est pas si simple. C'est en ayant cela à l'esprit qu'il convient d'apprécier les développements qu'ont récemment connus les jurisprudences française et américaine. En France, ce sont les circonstances de l'affaire Vivendi (pour une présentation complète, V. M. Audit et M.-L. Niboyet, L'affaire Vivendi Universal SA..., Gaz. Pal. 29 mai 2010, p. 11) qui ont donné un caractère plus sensible à ces problématiques. Il s'agit d'un cas typique où des actionnaires, majoritairement européens et même français, ont engagé une class action aux Etats-Unis afin de faire sanctionner la diffusion d'une information financière défectueuse qui a artificiellement gonflé le cours de leurs actions et leur a fait subir des pertes financières. Initialement tenu à l'écart de l'ordre juridictionnel français, ce contentieux est toutefois entré en contact avec lui, notamment lorsque la société Vivendi a entendu faire ordonner judiciairement à ses actionnaires français de se désister de la class action, en soutenant que le recours au juge américain était constitutif d'un « abus de forum shopping » fautif au sens de l'article 1382 du code civil. Cette tentative, s'assimilant à une demande d'injonction anti-suit, est restée vaine. Pour débouter Vivendi, la cour d'appel de Paris (Paris, 28 avr. 2010, n° 10/01643, D. 2010. 1224, obs. X. Delpech ; Rev. sociétés 2010. 367, étude V. Magnier) a souligné qu'il existait des liens sérieux entre le litige et les Etats-Unis, tels la cotation secondaire des titres à la bourse de New York, le domicile des dirigeants et le lieu où ceux-ci avaient fait certaines déclarations, et que la saisine du juge américain n'était pas frauduleuse. Elle a également affirmé que le juge français ne constituait pas, s'agissant d'un tel contentieux, un « juge naturel » qui ne pourrait tolérer aucune compétence concurrente. La cour a par ailleurs estimé que l'impossibilité de faire reconnaître en France le futur jugement américain, mise en avant par Vivendi, était à ce stade hypothétique. Cette décision est sans doute conforme aux traditions du droit international privé français et d'aucuns jugeront ses motifs raisonnables. On peut malgré tout s'inquiéter des dangers que comporte le message de passivité qu'elle véhicule : en somme, l'ordre juridique français s'accommode sans ciller d'une forme particulièrement agressive de forum shopping qui, si elle se généralise, condamnera la justice française à n'être plus en la matière qu'une pièce désuète dont la seule place sera celle que lui réserveront les musées d'histoire juridique... (sur ce thème, V. L. d'Avout et H. Pisani, La France laissera-t-elle son contentieux d'affaires partir à l'étranger ?, Les Echos, 20-21 nov. 2009, p. 27). Encore faut-il naturellement, pour qu'un tel risque soit avéré, que l'ordre juridictionnel américain lui-même entende s'ouvrir aux foreign-cubed class actions. C'était précisément l'enjeu de l'affaire Morrison, dans laquelle la Cour suprême des uploads/S4/ panorama-commerce-international-2010 2 .pdf
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- Publié le Apv 10, 2022
- Catégorie Law / Droit
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