8 Samedi 19 août 2006 Les Nouvelles de Tahiti “E En devenant avocat, je suis de

8 Samedi 19 août 2006 Les Nouvelles de Tahiti “E En devenant avocat, je suis devenu un vrai voyou”. Le ton est donné. Ces gosses que l’on dit voyous, Philippe Temauiarii Neuffer les connaît bien. Depuis toujours même. Il a grandi avec. Il a passé son enfance dans un logement de fonction au centre éducatif Moria, aujourd’hui appelé Uruai a Tama. Son père, Teriivaea Neuffer, était éducateur spécialisé. “Il a même été le pre- mier Polynésien à obtenir ce diplôme”, souligne Philippe. Lui, il a grandi là, au milieu de ces jeunes délinquants, des enfants en perdition pla- cés en institution. Entre son père éducateur et sa maman, Evelyn, née Cowan, institutrice. Copains délinquants Les casseurs, les écorchés, les petits durs et même les gros, Philippe connaît. Pourtant quand on le voit, posé et réfléchi, dans son cos- tume trois pièces, on a du mal à l’imaginer avec eux. “C’était mes copains, on allait à la plage ensemble et en centres de vacances.” Il se souvient avoir dû “affronter le regard des autres. Parce que quand tu es dans ce milieu-là, on te regarde de travers”. Comme tous les enfants, il a fait des bêtises, peut-être un peu plus grosses que celles d’un “enfant normal”. Mais Philippe a toujours été un bon élève. Il n’a qu’une sœur, Ghislaine, sa cadette. Elle vit à Raiatea. “On n’est que deux, mais si on compte tous les enfants qui ont été éduqués par ma mère et mon père, ça fait beaucoup…”, pré- cise Philippe. C’est sans aucun doute cet envi- ronnement qui l’a poussé à faire du droit. Même si sa vocation était de devenir pilote. “Mais je n’étais pas assez bon en maths.” Et puis, il est “habité par un désir de protéger, de défendre”. Parce que, c’est sûr, “les vrais voyous ne sont pas ceux qu’on croit”. Après son bac littéraire, il prend la direction de Strasbourg, où il s’inscrit à la fac de droit. “J’étais fasciné par les grands avocats et leurs plaidoi- ries”. Son parcours est alors jalonné de rencontres. Jacques Vergès notamment, et, à l’université du Pacifique —qu’il rejoint pour passer sa maîtrise car il avait le mal du pays—, Yves Gauthier, ori- ginaire de Strasbourg justement. Son professeur de droit public lui donne le goût de travailler et une discipline. Interprète pour le haussariat Après sa maîtrise, il fait son service militaire comme assistant de l’officier juriste à Arue. L’occasion pour lui de commencer à aider : “Je défendais les militaires et je les assistais dans leur démarche pour la sortie de l’armée”. En 1996, à la fin de son service, le haut-commissa- riat lui propose de devenir interprète. Philippe parle et écrit couramment le tahitien. “J’ai passé mon enfance dans un milieu où l’on ne parlait que tahitien et j’ai fréquenté l’école du dimanche.” Il est repéré lors d’une cérémonie du 14-Juillet. Il suit le haut-commissaire dans ses déplacements dans les îles et prend en charge le dossier des affaires foncières. “L’idée venait de Mme Anne Boquet.” À l’époque, elle était déjà en Polynésie en qualité de secrétaire général. Et puis, un jour, on le remercie : “Je n’ai jamais su pourquoi et je n’ai pas été remplacé”. Philippe décide alors de passer le concours d’entrée dans l’administration territoriale en qua- lité de juriste. Il le réussit et intègre le secrétariat général du gouvernement. Il est affecté au contentieux administratif, donne des conseils juridiques et prépare les rédactions de délibéra- tions. Jean Peres le prend sous son aile, le forme. “J’étais le benjamin.” Encore une ren- contre déterminante. Il a toujours en tête de devenir avocat, mais comme sa com- pagne est à Tahiti pas question pour lui de repartir en métropole. Il attendra de faire valider ses acquis au bout de huit années. Parfois on lui confie des dossiers qu’il n’approuve pas. “J’ai vu des choses révoltantes mais mon objectif c’était de faire mes huit ans et de partir”, confie-t- il. “J’ai parfois défendu des dossiers devant le tribunal administratif sur les- quels j’étais heureux de perdre.” Philippe faisait son travail. “Après c’était à la jus- tice de faire le sien. Je n’étais pas là Philippe Temauiarii Neuffer ouvrira bientôt Esprit Tsan réside à deux pas de l’Arc de Triomphe. Polynésiens Polynésiens d'en France Il a travaillé huit ans au secrétariat général du gouvernement de la Polynésie française comme juriste. À 35 ans, Philippe Temauiarii Neuffer vient de franchir un nouveau cap dans sa vie en devenant avocat au barreau de Paris. En janvier prochain, il sera de retour au fenua pour ouvrir son propre cabinet à Papeete. “Les vrais voyous ne sont pas ceux qu’on croit” Philippe et sa sœur Ghislaine : “On n’est que deux, mais si on compte tous les enfants qui ont été éduqués par ma mère et mon père, ça fait beaucoup...” Bio express 1988 : “Mes parents m’achètent ma première guitare élec- trique grâce à mes notes au bac de français.” 2003 : “La vue de mon bureau du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État sur les jardins du Palais-Royal.” Juin 2004 : “Je plante un ùru sur le pu fenua de ma fille, TemoeaHiro, qui est née le 8 juin 2004.” Janvier 2006 : “La poignée de main du bâtonnier qui me souhaite la bienvenue dans la profession et qui m’ap- pelle ‘mon cher confrère’.” “On doit servir le Pays, la fonction pas la personne.” pour avoir des états d’âme.” Et il ajoute : “De toute façon, mon travail était de mettre en forme ce que voulaient les politiques. La responsabilité leur revient, ils sont élus par le peuple”. Durant cette période, il “avale les cou- leuvres”. “Combien de fois j’ai eu envie de partir…”, se sou- vient Philippe. Le développement humain et le social n’étaient pas la priorité des hommes au pouvoir. Et “quand tu viens d’un milieu modeste, tu sais que le dévelop- pement économique ne peut passer que par là”. Il admet qu’il aurait pu devenir cynique. Mais il a été sauvé par son intérêt pour les travaux juridiques, par l’hu- mour et surtout sa culture poly- nésienne. Celle qui bat en lui, et qui guide ses pas, jusqu’au Heiva, où il danse avec le groupe Temaeva de Coco Hotahota, et sa voix aussi, quand il chante avec le groupe de Arue, Ahutoru Nui. En le prenant comme vacataire, l’université va lui permettre de réfléchir sur le droit au-delà du simple travail d’exécution. Il s’investit aussi dans la maison de James Norman Hall. “Sa femme avait adopté ma mère. C’était une façon de les remercier.” Liberté d’esprit “J’étais un peu un marginal par ma liberté d’esprit”. L’indépendance d’esprit fait peur : “Les gens ne savent pas dans quelle case te ran- ger”. Alors, forcément, il connaît des moments difficiles, “comme tout le monde”. Mais Philippe s’est fixé un challenge. Il veut tout maîtriser : “Connaître les extrêmes pour trouver le juste milieu”. Quand Gaston Flosse perd les élections en mai 2004, alors que d’autres quittent le navi- re, il reste en place. Il suit une ligne de conduite qui fait de lui un fonctionnaire hon- nête et fidèle : “On doit servir le Pays, la fonction pas la personne. J’ai fait partie de ceux qui ont aidé le nouveau gouvernement”. Pour les uns, il est un traître, pour les autres, un agent double. Lui veut simplement servir son pays et ne pas être pris dans des cli- vages partisans. “L’administration avait perdu ses repères, elle était comme dans un état dépressif”, se souvient-il. Pendant un an et demi, il vit le taui. Puis, en décembre 2005, après huit ans au service du Pays et deux stages, au Conseil constitution- nel et au Conseil d’État, l’heure est venue de devenir avocat. En janvier dernier, il prête ser- ment devant le barreau de Paris. Et rejoint le cabinet français Brandford-Griffith et associés, spécialisé en droit des affaires. Il planche sur des dossiers de fusions-acquisitions. Un nouveau monde pour lui. Une nouvelle corde à son arc surtout. Il en ajoute une encore en août, dans un autre cabinet parisien, où il se remet au pénal. Janvier prochain marquera son retour en Polynésie avec la réalisation de l’objec- tif final : l’ouverture de son cabinet d’avocat à Papeete. Et, dans le même temps, il trouve aussi le temps d’écrire. Il termine un recueil de nouvelles sur Tahiti intitulé “Légendes de la folie”. En droi- te ligne avec le fil conducteur de sa vie. Une autre pierre dressée sur le chemin. Parce qu’“on s’éloigne de notre sagesse polynésienne”. DE NOTRE CORRESPONDANT À PARIS, DAVID MARTIN son cabinet d’avocat à Papeete autonome et indépendant 9 Samedi 19 août 2006 Les Nouvelles de Tahiti A son palmarès, le château de Chantilly. Polynésiens Polynésiens d'en France “Connaître les extrêmes pour trouver le juste milieu” Un Zoom sur Une haute idée de la politique Il ne supporte pas le jeu des partis, la politique politicienne, celle qui vole plus bas que terre. “Je ne suis pas contre les partis, mais je m’y oppose quand uploads/S4/ portrait-de-philippe-neuffer-l-x27-avocat 1 .pdf

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  • Publié le Aoû 26, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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