Date : 20200303 Dossier : T-1151-19 Référence : 2020 CF 330 Ottawa (Ontario), l
Date : 20200303 Dossier : T-1151-19 Référence : 2020 CF 330 Ottawa (Ontario), le 3 mars 2020 En présence de monsieur le juge Martineau ENTRE : LE DIRECTEUR DES POURSUITES MILITAIRES demandeur et JUGE MILITAIRE EN CHEF ADJOINT (en sa qualité de juge délégué du pouvoir d'attribution prévu à l'article 165.25 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, C N-5) et LE COLONEL MARIO DUTIL défendeurs JUGEMENT ET MOTIFS I. Introduction [1] C’est une situation sans précédent qui perturbe depuis quelque temps déjà l’administration de la justice militaire dans les Forces canadiennes [Forces]. L’affaire fait grand Page : 2 bruit car l’accusé n’est pas n’importe quel quidam : le colonel Mario Dutil, juge militaire en chef, a été cité à une cour martiale permanente [la Cour martiale]. Il doit se défendre d’accusations de fraude et de fausse déclaration dans un document officiel, et également, de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline parce qu’il aurait eu une relation personnelle avec un sous-officier, en l’occurrence une sténographe judiciaire qui aurait été sous son commandement [les accusations]. [2] Les accusations sont de notoriété publique et ont fait la manchette. Le jour même où celles-ci ont été portées, le 25 janvier 2018, la commodore Geneviève Bernatchez [juge-avocat général] a émis un communiqué public réaffirmant l’égalité de tous et chacun devant la loi. Toutefois, le procès du colonel Dutil a été ajourné le 17 juin 2019 à la suite de la récusation du lieutenant-colonel Louis-Vincent d’Auteuil [le juge militaire en chef adjoint] (R c Dutil, 2019 CM 3003 [la décision de récusation]). Mais aucun juge militaire n’a été désigné par le juge militaire en chef adjoint pour les motifs énoncés dans la lettre du 17 juin 2019 qu’il a déposée au dossier de la Cour martiale [la décision de non-désignation], d’où la présente demande de contrôle judiciaire. [3] La légalité et la raisonnabilité de la décision de récusation ne sont pas en cause aujourd’hui. En l’espèce, le présent demandeur, le directeur des poursuites militaires, recherche l’émission d’un bref de mandamus pour forcer le juge militaire en chef adjoint, en sa qualité de juge délégué, investi du pouvoir d’attribution prévu à l’article 165.25 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 [LDN], de désigner un juge militaire parmi les autres juges militaires éligibles pour présider la Cour martiale. Subsidiairement, le demandeur recherche Page : 3 également l’émission d’un bref de certiorari aux fins de casser la décision de non-désignation [la décision contestée]. [4] Dans le présent dossier, le procureur général du Canada défend les intérêts du demandeur, voire ceux du juge-avocat général et de l’état-major de la défense, qui ont également été impliqués dans la décision de porter les accusations contre le juge militaire en chef. Il n’empêche, il est hautement irrégulier, et pour le moins inusité, que l’office fédéral ait été désigné unilatéralement comme défendeur dans l’avis de demande de contrôle judiciaire, et soit forcé de se défendre lui-même, sans que le demandeur ait obtenu préalablement l’autorisation de cette Cour (paragraphes 302(1) et (2) des Règles des Cours fédérales, DOR/98-106; Northwestern Utilities Ltd c Edmonton (Ville), [1979] 1 RCS 684 aux pages 709-710). [5] À l’ouverture de l’audition le 15 octobre 2019, et après avoir entendu les représentations orales des procureurs, la Cour a donc ajouté le colonel Dutil à titre de défendeur, ce qui a entraîné un ajournement de quelques semaines. L’affaire a été entendue au mérite les 27, 28 et 29 novembre 2019. Le 3 février 2020, durant le délibéré de la Cour, les parties ont porté à son attention la décision rendue le 10 janvier 2020 dans R c Pett, 2020 CM 4002 [Pett], et ont pu soumettre des représentations additionnelles concernant la pertinence et l’impact de cette dernière décision qui fait présentement l’objet d’un appel par l’accusé (Dossier CMAC-603). [6] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent. Page : 4 II. La problématique [7] Le colonel Dutil a le droit d’être jugé dans un délai raisonnable devant un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès juste et équitable (alinéas 11b) et d) de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte]). [8] Mais voici le problème : y a-t-il un juge militaire qui puisse, aujourd’hui, être désigné par le juge militaire en chef adjoint pour présider la Cour martiale sans que ne se soulève, encore une fois, une crainte raisonnable de partialité? [9] Qui plus est, la Cour martiale est régie par les dispositions de la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 [LLO]. Le colonel Dutil ayant opté pour un procès en français, le décideur devra par ailleurs comprendre le français sans l’aide d’un interprète (alinéa 16(1)b) de la LLO; R c Thibeault, 2014 CM 3022). [10] Tant sans faut, il y a bien trois candidats potentiels parmi le contingent actuel de juges militaires qui sont des officiers de la force régulière (article 165.21 de la LDN) : les capitaines de frégate Martin Pelletier (nommé juge militaire le 10 avril 2014), Sandra Sukstorf (nommée le 17 février 2017) et Julie Deschênes (nommée le 23 mai 2019) [les autres juges militaires éligibles]. Mais aucun n’a été désigné par le juge militaire en chef adjoint, et ce, pour les motifs contenus dans la décision contestée du 17 juin 2019, laquelle doit être lue en conjonction avec la décision de récusation. Page : 5 III. Le cadre juridique général : le particularisme du droit militaire [11] Dans un premier temps, de façon à permettre une meilleure compréhension des enjeux et des positions respectives des parties, il nous apparaît nécessaire d’insister sur les aspects contextuels – juridiques et factuels – qui sont particuliers et uniques dans le présent dossier, au risque d’allonger les présents motifs. Il doit cependant être clair qu’en abordant la problématique particulière des questions complexes se soulevant en périphérie de la décision contestée, la présente Cour n’entend d’aucune manière s’immiscer dans le rôle que joue la Cour martiale en tant que juge des faits et juge du fond, ni interférer dans l’exercice de la discrétion que possède le demandeur en matière d’accusations et de poursuites militaires. A. Code de discipline militaire [12] Comme le rappelait récemment la Cour suprême, le système de justice militaire est passé d’un modèle de discipline centré sur le commandement qui offrait de faibles garanties procédurales à un système de justice parallèle s’apparentant beaucoup au système de justice pénale (R c Stillman, 2019 CSC 40, au para 53 [Stillman]; pour un historique détaillé, voir R.A. McDonald, « The Trail of Discipline : The Historical Roots of Canadian Military Law » (1985), 1 Rev JAG 1 aux pages 1 à 28). [13] De fait, le Code de discipline militaire (la partie III de la LDN) a pour objectif de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des forces armées (R c Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 RCS 485 au para 46 [Moriarity]) L’article 130 de la LDN « érige en infractions visées par le code de discipline militaire » les infractions aux lois fédérales, dont le Code criminel, LRC 1985, c C-46 (Moriarity au para 7). Page : 6 [14] Il n’empêche, le Code de discipline militaire établit un système hybride. Tous les officiers et les militaires du rang justiciables du Code de discipline militaire sont passibles, en cas de la perpétration des infractions d’ordre militaire ou de droit commun intégrées au Code de discipline militaire (article 130 de la LDN), de peines diverses allant en ordre décroissant de l’emprisonnement à perpétuité, à l’emprisonnement de deux ans ou plus, à la destitution ignominieuse du service de sa Majesté, à l’emprisonnement de moins de deux ans, à la destitution du service de sa Majesté, à la détention, à la rétrogradation, à la perte de l’ancienneté, au blâme, à la réprimande, à l’amende et à des peines mineures – l’autorité compétente ayant le pouvoir d’imposer à l’auteur de l’infraction une peine moindre à la peine maximale prévue au Code de discipline militaire (articles 139 à 146 de la LDN). [15] La LDN est silencieuse quant à l’application ou la non-application du Code de discipline militaire à un juge militaire – incluant le juge militaire en chef et le juge militaire en chef adjoint. Néanmoins, les personnes nommées à cette charge doivent être des officiers au moment de leur nomination (en plus d’être des avocats au barreau d’une province), et ils demeurent des officiers durant l’exercice de leurs fonctions judiciaires. Il a donc été décidé récemment que les juges militaires sont justiciables du Code de discipline militaire à l’instar de tout officier ou militaire du rang visé au paragraphe 60(1) de la LDN (Pett aux paras 14-15). Au demeurant, en vertu de l’article 165.231 de la LDN, les juges militaires bénéficient de la même immunité de poursuite que les juges d’une Cour supérieure de juridiction criminelle. Toutefois, cette immunité ne uploads/S4/ t-1151-19-jugement-amp-motifs.pdf
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- Publié le Mai 21, 2021
- Catégorie Law / Droit
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