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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/4 Omar Radi: «Au Maroc, on revit les années de plomb de Hassan II» PAR RACHIDA EL AZZOUZI ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 7 JANVIER 2020 Omar Radi. © dr/Francesco Alesi Le journaliste marocain Omar Radi a été jeté en prison pour avoir dénoncé la justice de son pays dans un tweet. Libéré après un élan de solidarité internationale, il revient sur son arrestation ainsi que sur le climat répressif qui règne au Maroc. Un journaliste et militant des droits humains, Omar Radi, emprisonné pour un vieux tweet dénonçant la justice de son pays enfermant des citoyens qui manifestent pour une vie meilleure dans le Rif. Un lycéen de 18 ans, Ayoub Mahfoud, condamné à trois ans de prison ferme pour avoir promu sur sa page Facebook un tube aux millions de vues « 3ach’ cha3b » (« Vive le peuple ») dénonçant un Maroc de plus en plus inégalitaire, signé par un trio de rappeurs, dont un, Gnawi, a été condamné à un an de prison, quelques semaines plus tôt, pour « insulte à la police ». Un autre rappeur Hamza Asbaar alias Staline condamné à quatre ans de prison ferme pour avoir diffusé « Fhemna » (« Nous avons compris »), une autre chanson criant le malaise social marocain. Un youtubeur Mohamed Sekkaki dit « Moul Kaskita » condamné à trois ans de prison pour « insulte au roi »… Les condamnations n’en finissent plus de s’abattre au Maroc, pas seulement sur les voix dissidentes, critiques du régime habituellement dans le collimateur comme les activistes ou les journalistes, mais aussi sur toute la société, artistes ou simples citoyens. Les ONG s’alarment. L’association marocaine des droits humains (AMDH) fustige une « campagne féroce de l’État contre la liberté d’opinion et d’expression », Human Rights Watch évoque « un climat de plus en plus suffocant ». Omar Radi. © dr/Francesco Alesi Il y a quelques semaines, le cas de la journaliste Hajar Raissouni jetée en prison pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage », puis graciée un mois plus tard par le roi sous la pression populaire, avait jeté une lumière crue sur l’enfer d’être journaliste au Maroc ainsi que femme. Pourtant, malgré les mobilisations à l’intérieur et à l’extérieur du pays qui ternissent l’image de carte postale dont continue de bénéficier le royaume chérifien, le régime poursuit sa répression. En témoigne le cas du journaliste Omar Radi. Connu pour ses enquêtes sur l'économie de rente ou les collusions entre pouvoir et argent, ainsi que sa couverture des mouvements sociaux réprimés par le pouvoir dans des régions abandonnées (hirak du Rif, de Jerada), il a été convoqué par la police pour s’expliquer sur un tweet publié il y a neuf mois, puis conduit en voiture au tribunal où un procureur a demandé son placement en détention. Son emprisonnement a suscité une vague d'indignations. Des centaines de manifestants se sont mobilisés dans la capitale marocaine mais aussi à l’étranger, en France, en Belgique, dénonçant une « justice aux ordres », un « État corrompu ». « Les mesures coercitives contre la liberté de la presse, et le droit d’informer, se sont multipliées ces derniers mois. Les poursuites engagées contre des journalistes, des blogueurs ou de simples internautes, ainsi que le délai de latence qui s’est écoulé entre la première convocation de Omar Radi et Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/4 la réactivation de la plainte, nous permettent de supposer que son arrestation se situe dans le sillage d’une large campagne visant à restreindre les libertés d’expression et d’opinion des citoyens marocains », a abondé dans une tribune un collectif de personnalités de part et d'autre de la Méditerranée. Libéré après cinq jours de détention sous la pression de cet élan de solidarité internationale, Omar Radi reste poursuivi pour « outrage à magistrat ». Son procès a été reporté au 5 mars prochain. Il risque un an de prison. Dans un entretien à Mediapart, il dénonce des méthodes répressives qui empruntent à la dictature égyptienne. Mediapart : Comment allez-vous ? Omar Radi: Cette petite expérience de la prison m’a boosté. Je ne sais pas si je vais retourner en prison eu égard à cet élan de solidarité. Et mon procès risque d'être sans cesse repoussé comme celui de l’universitaire et défenseur des droits humains Maati Monjib, ou encore du journaliste d’investigation Ali Anouzla. Avec mes avocats, nous allons travailler sur l’urgence de me juger. En attendant, des centaines de gens sont en prison. Il faut rediriger la campagne vers eux. Au Maroc, ces dernières années, la répression, particulièrement des luttes politiques et sociales, a plongé le pays dans un grand attentisme, une dépression. Ce qui vient de se produire à travers mon cas, cet élan de solidarité, est une secousse pour le pouvoir. Des franges entières de la population n’ayant pas l’habitude de manifester ou qui sont résignées sont sorties du silence. Ce n’est plus seulement le microcosme militant classique qui se bouge, mais des pans entiers de la société qui s’impliquent et se ré- impliquent dans la vie politique et sociale : une partie de la bourgeoisie, des fonctionnaires, des jeunes, des artistes, etc. Cela faisait longtemps que l’on n’avait plus vu des artistes se mobiliser car l’art a été éloigné des questions politiques et sociales. Au Maroc, pour gagner sa vie en tant qu’artiste, il faut fermer sa bouche. C’est cette économie qui prévaut. Mais aujourd’hui la situation est devenue trop insupportable pour se taire. Il faut maintenant capitaliser pour pousser les murs de l'intérieur, demander la libération de tous les détenus ainsi que celle de l’espace public, que le pouvoir puisse entendre. Comment expliquez-vous que la répression ne faiblisse pas malgré les mobilisations de la société marocaine, d’une ampleur inédite dans votre cas comme dans celui de la journaliste Hajar Raissouni ? Le pouvoir marocain est arrivé à un point très élevé de violence mais aussi de ridicule. Ce que Hajar Raissouni a enduré est très violent, moi, ce qui m’arrive, c’est somme toute une affaire banale au Maroc : un journaliste est placé en prison pour un tweet critiquant la justice. C’est ce ridicule qui dérange la société marocaine et provoque son indignation, ce sentiment que le pouvoir est en roue libre sans plus aucun garde-fou. Le Maroc est un État policier comme jamais il ne l’a été sous l’ère Mohammed VI. Le pays est géré par le ministère de l'intérieur, la police et le parquet. On en a encore la confirmation. L’an dernier, en 2019, le dialogue social avec les syndicats, qui se noue traditionnellement avec le chef du gouvernement, le ministre de l’économie et celui du travail, s’est fait avec le ministre de l'intérieur ! Faut-il faire du bruit à l’international pour recouvrer sa liberté au Maroc ? Le pouvoir m’a toujours assimilé à la gauche radicale. Par le passé, celle-ci pouvait à l'intérieur et à l'extérieur du pays faire bouger les lignes et le pouvoir pouvait la craindre. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce qui est nouveau dans cette mobilisation, c’est qu’elle est plus large. Elle rassemble différents bords et tendances, des droit-de-l’hommistes, des hommes politiques, des gens de droite, de gauche, du centre. Plus c’est large, plus cela fait peur au régime. Voilà longtemps qu’on n’avait pas vu le capitalisme marocain, les banquiers, les bobos s’indigner tous ensemble aux côtés de la gauche radicale. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/4 Des Marocains se sont sincèrement indignés et d’autres, par la nature de leur position proche du pouvoir, ont été gênés de ne pas signer, ce qui est contradictoire avec leur engagement théorique, annoncé dans leurs écrits. Des membres de la commission créée par le roi pour revoir le modèle de développement du pays ont réagi en ma faveur, comme Rachid Benzine, Driss Ksikes, Karim Tazi… La question, c'est vraiment dans quel Maroc on vit ? Pourquoi les Marocains quittent en masse le pays pour aller vivre ailleurs ? Tant mieux si mon arrestation enclenche cela, ce sont les germes de projet de vie commune pour nous tous au Maroc. Pour moi, c’est cela de gagné. Il y a une dynamique de réanimation au sens médical du terme de la société marocaine qui a été longtemps débranchée par le pouvoir. Manifestation à Rabat pour demander la libération du journaliste Omar Radi. © AFP/STR Jamais les libertés n’étaient apparues aussi menacées au Maroc. Beaucoup font un parallèle avec les années de plomb de Hassan II. Est-ce aussi votre conclusion ? Après le hirak du Rif, le pouvoir a donné carte blanche aux sécuritaires pour gérer le pays. Ils le gèrent avec le marteau et le bâton. Le débat, la critique ne sont pas permis. On assiste à une répression qui cible sans merci les voix dissidentes, les journalistes mais aussi n’importe quel citoyen. En arrêtant un lycéen pour un post Facebook, le régime fait un exemple et envoie un message à tous les lycéens du uploads/S4/article-847029.pdf
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