LES LIBERTES PUBLIQUES ENTRE CONSTITUTION ET LEGISLATION Omar BENDOUROU Profess
LES LIBERTES PUBLIQUES ENTRE CONSTITUTION ET LEGISLATION Omar BENDOUROU Professeur à la Faculté de droit de Souissi-Rabat Il existe au Maroc des dispositions constitutionnelles qui proclament les droits et libertés des citoyens. D’une part, le préambule de la Constitution de 1996 réaffirme l’attachement du Maroc aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus, d’autre part, le Titre premier du même texte énonce les différentes libertés. Ainsi, l’article 9 garantit aux citoyens la liberté de circuler et de s’établir dans toutes les parties du territoire, la liberté d’opinion, d’expression et la liberté de réunion, la liberté d’association et d’adhésion à toute association syndicale et politique. Par ailleurs, l’article 10 garantit le droit à la sûreté : « Nul ne peut être arrêté, détenu ou puni que dans les cas et les formes prévus par la loi. Le domicile est inviolable. Les perquisitions ou vérifications ne peuvent intervenir que dans les conditions et les formes prévues par la loi ». Le secret de la correspondance est également affirmé (art. 11). Il en est de même du principe d’égalité. Toutefois, l’égalité entre hommes et femmes n’est énoncée explicitement que pour les droits politiques et non pour l’ensemble des droits civils. Quant aux droits économiques et sociaux, ils sont aussi proclamés dans la Constitution : le droit à l'éducation et au travail, le droit de grève, le droit à la propriété, la liberté d’entreprendre… Cette étude portera sur quatre libertés regroupées sous la dénomination de « Code des libertés publiques ». Il s’agit de la liberté d’association de la liberté des rassemblements publics, de la liberté de presse et de la liberté syndicale. Ces libertés sont régies par des dahirs de 1957-1958 dont les amendements de 1973 ont réduit sensiblement la garantie de leur exercice. En 2002, suite aux revendications de l’opposition et de différentes associations non gouvernementales, le gouvernement a décidé de les modifier en supprimant certaines restrictions. J’essayerai de m’interroger sur le décalage entre les textes ayant réglementé ces quatre libertés précédemment mentionnées et la pratique administrative. Je tenterai également de vérifier la compatibilité de la loi marocaine avec le droit international des droits de l’homme dans la mesure où le Maroc a proclamé dans le préambule de la Constitution son adhésion à ce droit et a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. I. LA LIBERTE D’ASSOCIATION Si l’article 9 de la Constitution de 1996 reconnaît la liberté d’association, il précise néanmoins qu’elle peut être limitée par la loi. La question qui se pose est de savoir si les limitations imposées par la loi sont conformes au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Maroc. La loi de 19581, qui s’inspirait de la loi française de 1901, prévoyait, dans sa version originelle, des modalités pour la constitution des associations et pour leur suspension et interdiction. La loi distinguait entre les associations de personnes et les associations ayant la personnalité juridique. Les associations de personnes pouvaient se constituer librement sans autorisation et sans déclaration préalable. Toutefois, les associations qui souhaitaient se doter de la personnalité juridique devaient faire une déclaration préalable pour ester en justice et acquérir certains avantages. A partir des amendements introduits en 19732, la loi exigeait le dépôt d’une déclaration préalable auprès des autorités locales et du procureur du roi pour la constitution de toute association. Cette dernière ne pourrait acquérir sa légalité qu’à partir du moment où elle obtenait un récépissé suite au dépôt de sa déclaration. Or, la pratique a montré que les autorités refusaient pour certaines associations la remise du récépissé en transformant ainsi la déclaration en autorisation préalable, ce qui n’était pas l’objectif de la déclaration. En 2002, le parlement a adopté des amendements relatifs à la procédure de constitution des associations en vue de remédier à la pratique. Ainsi, le nouveau texte exige de l’administration la délivrance immédiate d’un récépissé provisoire dans l’attente d’un récépissé définitif qui doit être remis aux intéressés au plus tard soixante jours (60) après la déclaration, sinon l’association acquiert sa légalité et se voit habilitée à exercer ses activités telles qu’elles sont prévues par ses statuts. Par ailleurs, le nouveau texte a autorisé les responsables de l'association à confier à l’huissier de justice la mission de déposer, à leurs places, la déclaration de constitution de l’association. Or, depuis la promulgation de la nouvelle version du texte3, la pratique administrative n’a point changé. Les autorités continuent, comme par le passé, à refuser la délivrance du récépissé provisoire aux intéressés ou à l’huissier de justice. Le récépissé provisoire est nécessaire pour comptabiliser le délai de soixante jours prévu par la loi pour permettre à l’association d’acquérir sa légalité de plein droit. Par ailleurs, la pratique a également montré que les autorités locales 1 Dahir n° 1-58-376 du 3 joumada 1 1378 (15 novembre 1958) relatif au droit d'association, B.O. du 27-11-1958, p. 1909. 2 Dahir n° 1-73-283 du 6 rabia 1 1393 (10 avril 1973), B. O. du 11 avril 1973, p. 533. 3 Dahir n° 1-02-206 du 12 joumada 1 1423 (23 juillet 2002) portant promulgation de la loi n° 75-00 adoptée par le parlement. B. O. n° 5048 du 17 octobre 2002, p. 1062. 2 ne se contentent pas des pièces prévues par la législation puisqu’elles exigent des responsables d’accomplir autres formalités en totale contradiction avec la loi4. La pratique administrative est-elle conforme au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ? Si l’on se réfère à l’article 22 de ce dernier, on constate qu’il énonce : « Toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ce droit par les membres des forces armées et de police ». En principe, la déclaration auprès des autorités ne constitue pas une restriction si elle est considérée comme une procédure de son enregistrement. C’est la pratique d’ailleurs qui est en vigueur en France. Les autorités sont tenues en effet de remettre le récépissé aux déclarants et n’ont d’attributions que celles qui consistent à constater l’existence légale de l’association par la remise obligatoire du récépissé5. Or, bien que la loi marocaine, comme on l’a souligné, se soit inspirée de la loi française de 1901, les autorités marocaines ne respectent pas la loi et refusent la délivrance du récépissé en attendant souvent des instructions des autorités centrales qui apprécient la nature de l’association concernée. On sait également que la Cour européenne des droits de l’Homme n’a pas hésité non plus à condamner les Etats qui refusent l’enregistrement d’une association en raison des doutes qui pourraient peser sur ses activités et sur les interprétations qu’ont les autorités sur son programme6. Les autorités marocaines ne respectent donc ni le Pacte ni la loi. S’agissant de la procédure prévue pour la suspension ou l’interdiction de l’association, la version initiale de la loi permettait la suspension par décret d’une association pour une durée de quinze jours non renouvelable alors que l’interdiction n’était possible que par voie judiciaire. Ce sont les amendements de 1973 qui avaient autorisé le gouvernement à suspendre pour une durée illimitée les associations ou les interdire. C’est cette version de la loi qui a prévalu pendant vingt neuf ans, soit jusqu’en 2002. A partir de cette date, le gouvernement a décidé de proposer des amendements à cette loi en vue de répondre aux revendications de 4 Selon une enquête menée par l’auteur, les autorités dans certaines régions exigent un local réservé uniquement à l’association et reconnu par les habitants de l’immeuble (Marrakech). Dans d’autres régions, elles demandent aux responsables de présenter des documents supplémentaires qui ne figurent pas dans le texte de la loi (L’Est du pays). 5 Voir J. Robert, J. Duffar, Droits de l’homme et libertés publiques, Paris, Editions Montchrestien, Précis Domat, 1994. 6 V. Berger, Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, Paris, Editions Sirey, Dalloz, 7ème édition, 2000, p. 528-532. 3 différents partis et particulièrement des représentants de la société civile. Le nouveau texte supprime les compétences du gouvernement quant à la suspension et à l’interdiction des association et les confie à la justice en autorisant toutefois cette dernière à ordonner, à titre de mesure conservatoire, et nonobstant toute voie de recours, la fermeture des locaux et l'interdiction de toute réunion des membres de l'association avant de décider de sa dissolution. Les nouvelles dispositions législatives sont-elles conformes aux instruments internationaux ? On est tenté de répondre par l’affirmative si la loi ne prévoit pas des notions ambiguës permettant au pouvoir judiciaire de suspendre ou d’interdire les associations. En effet, l’article 3 du dahir du uploads/S4/bendourou-libertes.pdf
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- Publié le Jui 03, 2021
- Catégorie Law / Droit
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