Préface de Laurent LEVENEUR Le « moment 1900 » Critique sociale et critique soc
Préface de Laurent LEVENEUR Le « moment 1900 » Critique sociale et critique sociologique du droit en Europe et aux États-Unis Sous la direction de Olivier JOUANJAN et Élisabeth ZOLLER Colloques Éditions Panthéon Assas Cycle « Histoire des doctrines constitutionnelles » SOMMAIRE Liste des auteurs.............................................................................................7 Résumé des contributions...............................................................................9 Avant-propos Le souci du social : le « moment 1900 » de la doctrine et de la pratique juridiques Olivier Jouanjan........................................................................................... 13 PREMIÈRE PARTIE FONDATIONS La naissance de la sociologie et ses effets dans la pensée du droit Bruno Karsenti. ........................................................................................... 23 Durkheim in the United States: 1900 Carol J. Greenhouse. .................................................................................... 35 DEUXIÈME PARTIE LE « MOMENT 1900 » DES DOCTRINES ET PRATIQUES JURIDIQUES Le « moment 1900 » dans l’histoire de la science juridique française Frédéric Audren. .......................................................................................... 55 L’excès de pouvoir entre situations et circonstances Geneviève Koubi. .......................................................................................... 75 Pound’s Sociological Jurisprudence: European Roots and American Applications David M. Rabban....................................................................................... 113 Assas_Zoller_384p_v3.indd 5 16/09/15 10:22 6 Sommaire Un programme de la London School of Economics : la critique du droit constitutionnel de Dicey Aurélie Duffy-Meunier............................................................................. 151 Contre le formalisme de la « jurisprudence des concepts » : Philipp Heck et la « jurisprudence des intérêts » en Allemagne Aurore Gaillet. .......................................................................................... 195 Pourquoi des juristes en temps de détresse ? Olivier Jouanjan......................................................................................... 223 TROISIÈME PARTIE QUE RESTE-T-IL DU « MOMENT 1900 » ? Que reste-t-il, aujourd’hui, de la Sociological jurisprudence dans la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis ? Wanda Mastor. .......................................................................................... 255 La sociologie dans les doctrines contemporaines du droit aux États-Unis : entre héritage et renouveau Yannick Ganne. .......................................................................................... 273 Nécessité épistémologique de la sociologie juridique selon Niklas Luhmann Hugues Rabault......................................................................................... 309 Épilogue Le juge et les faits sociaux au xxie siècle Élisabeth Zoller........................................................................................ 355 Table des matières....................................................................................... 377 Assas_Zoller_384p_v3.indd 6 16/09/15 10:22 LA NAISSANCE DE LA SOCIOLOGIE ET SES EFFETS DANS LA PENSÉE DU DROIT Bruno Karsenti La sociologie est une science relativement jeune, dont la naissance remonte tout au plus à la pensée européenne du premier tiers du xixe siècle. Si l’on fait exception de l’apparition du néologisme dans les brouillons de l’abbé Sieyès (aux côtés de bien d’autres néologismes qui n’ont pas connu la même fortune), c’est dans la pensée positiviste que la sociologie s’érige en discipline réclamant l’autonomie. Et cependant, il est difficile de situer sa naissance dans cette seule position du débat postrévolutionnaire, tant il est vrai que les conceptions com- tiennes recueillent des héritages contradictoires, où l’idée d’une science de la société, sous quelque nom qu’on la présente, était déjà en gestation : le courant contre-révolutionnaire de Bonald et Maistre d’un côté, le saint-simonisme de l’autre. Qui plus est, la pensée libérale, si du moins on la ressaisit à la source de ceux qu’on appelait les doctrinaires, n’est pas étrangère aux mêmes préoc- cupations : fonder une théorie de la société qui rassemble, pour parler comme Guizot, « l’ensemble des faits qui constituent l’état de cette société et des lois d’après lesquelles ces faits s’unissent et coexistent »1. De sorte qu’on se trouve à première vue devant une origine embrouillée, controversée, l’idée de sociolo- gie s’imposant dans un champ de prétentions alternatives, chaque prétention reconstituant pour elle-même sa propre généalogie. Le problème se complique immédiatement dès qu’on sort de l’espace fran- çais, qui n’a à tout prendre que le privilège de l’invention terminologique. Cette invention n’est pas mineure, certes, et on aurait tort de la négliger : elle tient dans l’audace du barbarisme, greffe des racines latine et grecque que Comte s’était attaché à justifier philologiquement et philosophiquement, affirmant 1. Guizot F. P. G., cité par Rosanvallon P., Le moment Guizot, Paris, Gallimard, 1985, p. 255. Assas_Zoller_384p_v3.indd 23 16/09/15 10:22 24 Fondations qu’il s’agissait de souder l’une à l’autre la théorie et la pratique, l’unité intel- lectuelle propre au logos grec, et l’unité institutionnelle propre à Rome. Je reviendrai dans un instant sur cette double racine, car je la crois tout sauf anecdotique, plus heuristique qu’il n’y paraît afin d’entrer dans les problèmes que posent, à la fin du xixe siècle, les rapports de la sociologie et du droit. Mais dès avant, il convient de noter que l’écho rencontré par cette création verbale se mesure à l’échelle de l’Europe, et cela sans être directement lié aux succès de l’œuvre de Comte. Certes, pour ce qui est de l’Angleterre, le passage par Stuart Mill – lecteur précoce et apologète nuancé de Comte – et ses pro- longements dans l’œuvre de Spencer, témoignent de l’empreinte des intuitions cardinales du fondateur du positivisme. Mais ce n’est pas le cas de l’Allemagne, dont on peut dire que les premiers travaux de type sociologique, dans les années 1850, procèdent d’une autre source. Dans cette source, la France n’est évidemment pas absente : mais la référence va alors plus aux saint-simoniens qu’à Comte, et surtout elle est passée au crible des conceptions hégéliennes et post-hégéliennes. Le cas emblématique est ce qu’on peut considérer comme le premier ouvrage en allemand expressément placé sous le signe de la « science de la société » (Wissenschaft der Gesellschaft), intégrée, mais non réductible, à la science de l’État ou de l’économie (Wissenschaft des Staats oder der Wirtschaft). Je veux parler du grand livre de Lorenz von Stein de 1850, dont on sait l’importance qu’il eût pour Marx, L’histoire du mouvement social en France depuis 1789. Ce qui est alors significatif, c’est qu’à la différence de ce qui se passe en France, cette sociologie, qui va se développer largement dans le dernier tiers du xixe siècle à travers différents courants, mais tout particulièrement, pour rester dans le sil- lage de Stein, à travers une certaine forme de socialisme – ce « socialisme de la chaire » qui captivera le jeune Durkheim à la fin des années 1880 –, doit à ses bases hégéliennes une tournure juridique très marquée. C’est là une différence notable avec le cas français, où ne cessent de résonner les condamnations des « légistes » et de la catégorie métaphysique de droit qu’on trouvait chez Saint- Simon et chez Comte. Cela, du reste, avait d’emblée poussé la sociologie à se construire sur un tout autre terrain que celui juridico-politique : au sein d’un système des sciences dites naturelles ou fondamentales, par dépassement de la physique et de la biologie. Les syntagmes de physique sociale et de physiologie sociale en avaient découlé, préludes à l’invention terminologique de Comte. Mais justement, il me semble que cet écart entre la France et l’Allemagne, qui peut être ressaisi de façon quelque peu stylisée dans les grandes figures de Comte et de Hegel, avec pour pivot dans le premier cas une œuvre de philoso- phie des sciences, et dans le second des principes de philosophie du droit, permet d’y voir plus clair dans cette généalogie embrouillée et dans cette pluralité de prétendants que j’ai rappelées en commençant. Dans les deux cas, en effet, il est possible de suivre la naissance d’une sociologie authentique, culminant dans la constitution scientifique et l’institution académique d’une discipline indépen- dante aux alentours de 1900, comme le frayage d’une forme de pensée cohé- rente, en rupture explicite avec d’autres disciplines. Et, en usant du contraste Assas_Zoller_384p_v3.indd 24 16/09/15 10:22 25 La naissance de la sociologie et ses effets dans la pensée du droit entre les deux traditions, on peut mieux discerner les enjeux spécifiques des rapports entre la sociologie et le droit, avec les effets majeurs qui vont surtout se déployer dans le premier tiers du vingtième siècle. Partons du cas allemand, en prenant l’ouvrage que j’ai cité de Lorenz von Stein pour témoin. Il est remarquable que cet ouvrage commence par une mise au point strictement conceptuelle : l’affirmation de l’irréductibilité du concept de société au concept d’État, et la démonstration de cette irréductibilité. L’acte est en effet nécessaire pour deux raisons, toutes deux enracinées dans le legs hégélien. D’un côté, il est nécessaire d’accorder que la société ne peut être cor- rectement articulée à l’État dans la situation moderne qu’à la condition d’être conçue comme autre chose qu’une masse d’individus ne recevant sa forme que d’un pouvoir souverain. Il faut donc, comme dit Stein, disposer d’un concept de société aussi consistant que l’est le concept d’État pour le droit public2. D’un autre côté, cette structuration interne de la société doit être comprise dans ses différents moments, inséparablement juridiques et économiques, fondés essen- tiellement sur le droit de propriété et sur le travail. Mais c’est là qu’un écart se fait sentir, aussi bien avec l’économie politique qu’avec une approche enraci- née dans le droit privé : c’est qu’il est nécessaire de reconnaître que propriété et travail, ressaisis au plan de la société, revêtent un sens non individualiste et doivent être compris relationnellement3. Je ne m’attarde pas sur le fait de savoir si l’on trouve chez Stein un dépassement du concept hégélien de société civile et de système des besoins, ou seulement son approfondissement. Ce qu’on peut voir en tout cas, dès ces premiers chapitres de l’Histoire du mouvement social en France, c’est à quel point l’idée de science uploads/S4/karsenti-droit-et-sociologie.pdf
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- Publié le Sep 13, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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