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L « Les enfants de profs sont encore plus avantagés que ceux des cadres » ENTRETIEN. Agnès van Zanten, sociologue de l’éducation, analyse les ressorts et les forces des parents profs dans l’apprentissage des savoirs. Propos recueillis par Louise Cuneo Publié le 20/07/2021 à 10h38 a sociologue de l’éducation Agnès van Zanten, directrice de recherche au CNRS et professeure à Sciences Po, a notamment coordonné un numéro de la Revue française de pédagogie consacré aux « Pratiques éducatives des parents enseignants ». Le Point : Est-il vrai que les enfants d’enseignants réussissent mieux leur scolarité que les autres ? Agnès van Zanten : De manière générale, la scolarité de ces enfants est très bonne. Jusqu’à la fin du secondaire, ils ont même un léger avantage sur les enfants de cadres. Selon les études par panel du ministère de l’Éducation nationale, parmi les élèves entrés en sixième en 1995, 90 % des enfants de profs ont obtenu le bac six ans plus tard et 87 % des enfants de cadres. Les résultats de ces deux groupes sont très similaires. Les différences avec les autres catégories socioprofessionnelles commencent dès le primaire : les enfants d’enseignants ne redoublent quasiment jamais, ce sont le plus souvent eux qui ont une année d’avance… L’écart se creuse au collège et devient très net au lycée, il se reflète notamment dans le fait qu’ils ont de bonnes notes et qu’ils suivent des options réservées aux élèves en situation de réussite. Cet avantage perdure-t-il dans les études supérieures ? Ils ont autant de chances que les enfants de cadres d’accéder au supérieur, mais leur trajectoire connaît une différence qualitative. Ainsi, ceux des professeurs sont plutôt diplômés d’un troisième cycle universitaire, alors que ceux des cadres optent davantage pour des masters. Les premiers privilégient des carrières littéraires ou scientifiques et poursuivent des carrières très valorisées intellectuellement, alors que les seconds s’orientent davantage vers la médecine et les écoles de commerce, des carrières plus rémunératrices. Réussit-on de manière analogue si l’on est l’enfant d’un professeur des écoles ou d’un enseignant du secondaire ? Jusqu’au bac, il n’y a pas de grandes différences : les pratiques éducatives des parents enseignants sont très semblables, quel que soit le cycle, et les résultats sont donc similaires. En revanche, dans le supérieur, les enfants de professeurs des écoles vont faire des études plus courtes (deux ou trois ans), tandis que ceux du secondaire les poursuivront souvent au moins jusqu’à bac + 5. Cela s’explique par une différence de capital culturel entre les deux catégories : même si officiellement, depuis 2008, leur niveau de formation est identique (master), une proportion significative des enseignants du secondaire, notamment parmi les agrégés, et la majorité de ceux du supérieur ont poursuivi leurs études jusqu’en thèse. Ils n’ont pas le même salaire (les seconds gagnent plus) ni la même disponibilité temporelle (les seconds ont moins d’heures « contraintes » devant leurs élèves et préparent davantage leurs cours chez eux). Enfin, les professeurs des écoles privilégient l’épanouissement de leurs enfants, alors que ceux qui enseignent dans les plus grandes classes ont davantage d’ambition concernant la carrière académique de leur progéniture. Cela fait-il une différence que ce soit le père ou la mère qui soit professeur ? Avoir un parent qui enseigne dans le secondaire ou le supérieur laisse présager des études supérieures plus ambitieuses que s’il est instituteur. Le mieux est encore d’avoir une mère qui officie dans le secondaire ou le supérieur, car les mères profs consacrent davantage de temps à l’encadrement de leurs enfants que les pères profs. D’autant qu’il faut considérer le couple parental dans son ensemble : souvent, quand le père est enseignant, la mère a une profession moins considérée ; alors que, lorsque c’est la mère qui est dans l’enseignement, il est plus probable que le père soit cadre ou exerce une profession intellectuelle supérieure. Le « ticket gagnant » serait d’associer une mère prof avec un père cadre. Ce sont justement les profils que l’on retrouve dans les grandes écoles scientifiques, à Sciences Po ou dans les IEP, et dans certaines études universitaires prestigieuses aussi. Ce profil est très associé à des carrières ambitieuses. Comment s’explique cette plus grande réussite des enfants de profs ? Les parents jouent un rôle très important dans la réussite scolaire. Pendant les premières années au moins, ils n’ont pas de « concurrence » : ils sont les seuls à transmettre leurs normes, leurs valeurs, leurs connaissances et aussi le langage aux enfants. Ce qu’ils insufflent est à la fois très enveloppant et diffus. L’influence parentale est déterminante dès le plus jeune âge. Et cela s’arrête-t-il au moment de l’entrée à l’école ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’allongement de la durée des études a décuplé l’importance de la famille par rapport au siècle dernier. Les parents se sont adaptés à cette pénétration de l’école dans leur vie, notamment par l’accompagnement : c’est ce que j’appelle le « parrainage familial ». Les parents des classes moyennes et supérieures sont de plus en plus impliqués dans la scolarité de leurs enfants, y compris jusque dans le suivi de la transition vers le supérieur : non seulement ils visitent les salons destinés aux étudiants, mais des salons sont même spécialement organisés pour eux. Ils aident leurs enfants à rédiger, voire rédigent à leur place, les lettres de motivation pour Parcoursup. Certains contestent les notes et il y a même un collectif de parents qui s’est créé pour protester contre la réforme des études de médecine ! Par quoi se manifeste concrètement cette implication ? Chez les familles favorisées, les parents sont extrêmement présents : ils accompagnent les devoirs à la maison, ils s’attachent à remédier aux difficultés en répondant aux questions de leurs enfants, en leur payant des cours particuliers ou en allant discuter avec les enseignants. Ils sont aussi très investis dans le choix des options – pour laisser le plus de voies ouvertes à l’avenir – et des établissements – que ce soit, dans le public, à travers des stratégies résidentielles, en ayant recours au privé ou aux options rares, comme les classes à horaires aménagés par exemple… Il s’agit en somme de comprendre les rouages du système scolaire ? Il est si complexe et opaque en France qu’il s’agit là de l’un des gros facteurs d’inégalités. Cela est lié au capital culturel des familles : celui qui comprend comment fonctionne l’école ou comment parler aux enseignants a une longueur d’avance. Mais il s’agit aussi de capital économique bien sûr (résider dans les beaux quartiers pour être sectorisé dans les meilleurs établissements, pouvoir financer des cours particuliers ou des séjours à l’étranger pour parfaire son anglais…) et de capital social : les enfants des familles favorisées bénéficient des conseils de leurs parents, mais aussi de leur famille élargie. Sans compter que les professions prestigieuses des parents peuvent faciliter les rencontres… Et les enfants de profs dans tout cela ? Ils sont encore plus avantagés que ceux des cadres. La qualité de leur accompagnement scolaire est meilleure – on l’a vu pendant le confinement – et les compétences pédagogiques des parents s’ajoutent à une très bonne connaissance du système scolaire. Les cadres sont plus attentifs aux fréquentations sociales de leurs enfants, alors que les enseignants privilégient les qualités pédagogiques de l’école. Cela va souvent de pair, mais pas systématiquement. De plus, les parents enseignants ont un bon contact avec leurs collègues. Tous ces microavantages se cumulent et font une vraie différence. Et quid de l’extrascolaire ? Les enseignants attribuent plus explicitement un objectif didactique aux activités qu’ils pratiquent avec leurs enfants : ils les interrogent sur leurs lectures, ils visitent les musées de manière pédagogique… Les cadres les emmènent aussi voir des expositions ou des spectacles, mais dans l’idée de les cultiver de façon plus globale ou de les préparer à leur future position sociale. Par ailleurs, les parents profs disposent souvent de plus de temps à la maison : ils sont là lorsque les enfants font leurs devoirs et peuvent donc les aider. Même s’ils sont occupés à préparer leurs cours, leur présence compte. En est-il de même à l’étranger ? Le fait que les enfants d’enseignants réussissent mieux que les autres est un phénomène très français, dû à la fois au caractère formellement méritocratique du système et à son opacité, car ces deux facteurs favorisent l’investissement scolaire et la bonne connaissance du système « de l’intérieur » que l’on rencontre chez les parents enseignants. C’est différent lorsque les systèmes donnent moins d’importance à l’excellence scolaire ou sont plus transparents. Cette « réussite » est-elle uniquement scolaire ? En général, les enfants d’enseignants ont plus confiance en leurs capacités intellectuelles. Ils sont souvent meilleurs élèves, mais choisissent des carrières moins rémunérées, dans la fonction publique ou la recherche par exemple, que les enfants de cadres en raison de la valeur qu’ils accordent à la connaissance et aussi au service public. Et du côté des cadres ou des catégories sociales supérieures bien rémunérées ? Il s’agit plutôt d’une uploads/Finance/ le-point-les-enfants-des-profs 1 .pdf

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  • Publié le Oct 30, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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