Agronomie et agriculture. Essai d’analyse des tâches de l’agronome Michel SEBIL

Agronomie et agriculture. Essai d’analyse des tâches de l’agronome Michel SEBILLOTTE Maître de Conférences Institut National Agronomique Paris- Grignon (France) Membre du Comité technique #Agronomie de 1’ORSTOM SOMMAIRE INTRODUCTION AGRONOMIE ET AGRICULTURE. DÉFINITION ET RELATIONS ENTRE CES DEUX MOMENTS DE LA VIE DR L'AGRONOME 1.1. Bref historique 1.2. L’agronomie 1.3. L’agriculture 1.4. Les relations entre agronomie et agriculture 1.5. Conclusion LES OBJECTIFS DE TRAVAIL DE L'AGRONOME PREMIER OBJECTIF : CONTRIBUER .4u DÉVELOPPEMENT DE L'AGRONOMIE 2.1. Introduction 2.2. Théoriser l’agronomie 2.1.1. Des faits isolés, non reliés par une théorie, ne constituent pas une connaissance scientifique 2.2.2. Sans théorie on ne peut interroger le réel 2.2.3. Sans théorie, on ne peut prévoir, il est difficile d’orienter une action vers un but 2.3. Elaborer la méthodologie propre à l’agronome 2.3.1. Caractéristiques de l’agronomie et conséquences méthodologiques 2.3.2. Le diagnostic de l’agronome et son intégration dans la décision de l’agriculteur 2.4. Etablir l’histoire de l’évolution des connaissances agro- nomiques et des techniques 2.4.1.Les dimensions de cette histoire 2.4.2. L’histoire comme moyen d’analyse du présent 2.4.3. Les répercussions de la connaissance historique sur les attitudes intellectuelles 2.5. Diffusion des connaissances agronomiques DEUXIÈME OBJECTIF : AGIR AU NIVEAU DE LA PRATIQUE AGRICOLE 2.6. Les limites du travail théorique par rapport à la décou- verte 2.6.1. Les limites de l’acte expérimental 2.6.2. Les limites de la théorie. Les sources de nouveauté 2.6.3. L’activité humaine étend et modifie le domaine d’étude de l’agronome 2.7. Contribution de l’agronome à la résolution des problèmes 2.8. Les lieux d’insertion de l’agronome dans la pratique agricole. Interdisciplinarité BASES POUR LE FONCTIONNEMENT D'UNE ÉQUIPE D'AGRO- NOMES 3.1. Les modalités d’approches du réel 3.1.1. Premier type 3.1.2. Deuxième type 3.1.3. Troisième type Cah. ORSTOM, sér. Bd., no 24, 1974 : 3-25 3.2. Les problèmes méthodologiques : les urgences 3.2.1. Les méthodes de la connaissance objective 3.2.2. Les méthodes de diagnostic. L’élaboration d’un référentiel 3.2.3. Les méthodes de l’action. Le contrôle. Les zones homogènes CONCLUSION INTRODUCTION Les réflexions qui suivent traduisent le point où m’ont conduit mon expérience et celle de l’équipe d’ agronomes que j’anime depuis plusieurs années à l’Institut National Agronomique (Paris). Un premier texte, rédigé en 1968, avait permis de nombreux échanges qui sont venus enrichir mon propre point de vue l. Ce texte essaie de traduire « ma profonde conviction que la compréhension scientifique du monde ohser- vable implique un travail incessant de la pensée théo- rique sur la multiplicité infinie des faits bruts. Sans cette discipline, l’effort de recherche reste à la surface des données empiriques ou s’y enlise. A l’inverse, si on laisse libre cours à la spéculation théorique, sans que celle-ci soit fermement guidée par des données réelles soigneusement établies, il peut en résulter une sorte de griserie intellectuelle, mais notre compréhen- sion du monde réel ne sera pas avancée pour autant » 2. Il ne s’agit que d’une étape. Les pages suivantes souhaitent, en relançant la discussion, contribuer à la poursuite du cheminement pour mieux définir la discipline scientifique qu’est l’agronomie. 1 Qu’il me soit permis ici de remercier tout particulièrement les membres de mon équipe à l’I.N.A., ceux de l’équipe de M. HENIN à l’I.N.R.A., de celle de F. PAPY au Maroc, les agronomes de I’ORSTOM à Adiopodoumé en CBte d’ivoire avec F. FOURNIER et B. BONZON, mais aussi tous les agriculteurs que j’ai cotoyés en France et à l’étranger. 2 Wassily LEONTIEF (Prix Nobel 1973). Essais d’écono- miques. Calmann-Lévy, 1974. 3 M. Sebillotte 1. AGRONOMIE ET AGRICULTURE DEFlNITIONS ET RELATIONS ENTRE CES DEUX MOMENTS DE LA VIE DE L’AGRONOME 1.1. BREF HISTORIQUE Le besoin, pour la communauté humaine, de définir les mots n’apparaît qu’à un certain stade de son évo- lution. Durant des siècles il y a eu des agriculteurs dont l’activité constituait l’agriculture. Il n’y avait pas de définition mais confusion de l’activité avec les hommes qui la pratiquaient. Les « règles» de l’agriculture se sont dégagées pro- gressivement à travers de multiples tentatives pour transformer favorablement le milieu naturel et obtenir une production agricole. Le raisonnement consistait alors à savoir reconnaître, au vue de la situation, quelles étaient parmi les solutions déjà « expérimen- tées» la plus adaptée. L’attitude d’un Olivier DE SERRE marque une diffé- rence, en ce sens, qu’il se pose consciemment le pro- blème d’une amélioration des techniques à partir des propriétés du milieu telles qu’il peut les appréhender. 0 n peut se demander, d’ailleurs, si une telle démarche n’est pas, pour une part, le fruit, pour un esprit curieux de ces. choses, des voyages et donc de la possibilité de comparer ? Il faut attendre la fin du xvrrre siècle pour voir apparaître des questions et des réponses de nature scientifique. Jusque là la technologie expérimentale est insuffisamment développée ainsi que les disci- plines scientifiques indispensables, la chimie en parti- culier. Au début du xrxe siècle fleurissent toute une série de travaux sur la nutrition des plantes et c’est à ce moment là que naît, bien timidement, l’agronomie. On peut retenir deux événements significatifs. D’une part, la tentative de synthèse de GASPARIN (illustrée par son Cours d’Agriculture, 1848)parlaquelle il jette les bases du développement de la discipline agronomique. Il essaie de théoriser à partir des faits de la pratique et des « expériences» qu’il réalise pour vérifier des hypothèses. Mais ces dernières sont encore trop frustes et en trop petit nombre pour que sa ten- tative ne soit pas surtout un effort de cohérence dans son raisonnement. On notera, d’ailleurs, que l’intitulé de son cours est « cours d’agriculture» l. D’autre part, la mise en place sous la double pres- sion des activités d’un industriel et de la curiosité d’un chimiste du premier dispositif expérimental im- 1 Très curieusement DE GASPARIN occupera la Chaire d’Agriculture dans le nouvel Institut Agronomique créé à Paris en 1852. Agronomique veut ici indiquer que l’ap- proche de l’agriculture est différente de celle pratiquée jusque là maie on ne prend pas encore conscience de la nécessité d’une discipline agronomique BU sens strict. Un tel point de vue alimente encore aujourd’hui la querelle stérile de l’agronomie comme science ou comme technique. portant, celui de ROTHAMSTED, qui devait vérifier au champ le bien fondé, ou non, des travaux de LIEBIG. Mais cet essai reste assez fruste, les méthodes statis- tiques des plans d’expérience ne sont pas encore con- nues. Ensuite, pendant une assez longue période va se développer une démarche analytique sans véritable effort pour bâtir une théorie agronomique. On amé- liore les connaissances dans les seuls domaines permis par les progrès technologiques, c’est-à-dire essentiel- lement la fertilisation chimique et la sélection végé- tale. D’ailleurs, comme les modifications en Agricul- ture sont alors très lentes l’expérience des agricul- teurs aidés par de remarquables observateurs (les ou- vrages de HEUZE, de 1862 à 1896, en témoignent) suffit pour dégager les « règles» d’action nécessaires. Sur le plan des méthodes, celles qui existent peuvent suffire aux expériences qu’impliquent la chimie agri- cole et la fertilisation. Le contrôle des facteurs est ramené au contrôle des apports d’éléments minéraux et on étudie la loi de variation des rendements obtenus. Ces expériences vont d’ailleurs contribuer à l’élabo- ration progressive des méthodes statistiques au sujet desquelles on note des indications intéressantes, mais combien fragmentaires, dans le cours de SCHRIBAUX l. Ce ne sera qu’avec l’apparition de nombreux pro- grès technologiques (motorisation et accroissement de la puissance disponible pour les travaux, possibilité d’irrigation par pompage, herbicides chimiques...) qu’il deviendra possible et nécessaire d’aborder plus finement les mécanismes d’élaboration du rendement et donc de réintroduire une démarche synthétique. A nouveau des questions vont être posées et les cher- cheurs pourront y répondre à mesure que les concepts théoriques seront élaborés et que les moyens de con- trôle du milieu s’accroîtront (que l’on pense à l’intérêt actuel d’un outil comme la sonde à neutrons pour apprécier l’humidité au champ...) Cependant ce mouvement reste jusqu’à la deuxième guerre mondiale assez lent. L’agronomie moderne ne va vraiment naître qu’avec la mise au point et l’emploi systématisé de méthodes nouvelles : ce sont la statis- tique avec ses progrès très rapides mais relativement récents (statistique des enquêtes, statistique descrip- tive...) eux-mêmes liés à l’apparition d’outils de calculs nouveaux et les méthodes permettant l’approche globale des problèmes, en particulier l’analyse des systèmes 2. La période actuelle correspond donc à nouveau pour 1’ agronomie à une démarche synthétique même s’il reste encore bien des précisions à fournir sur le do- maine précis de cette démarche. Il devient maintenant nécessaire de chercher à définir l’agronomie s comme discipline scientifique face 1 Celui que nous avons pu consulter date de 1925-26. 2 Un excellent historique est donné par L. VON BERTA- LANFFY, Théorie Générale des Systèmes, Dunod, 1973. 3 Dans tout ce qui va suivre, agronomie et agronome seront utilisés Bu sens strict. Cah. URSTOM, sér. Biol., II” 24. 1974 : 3-G Essai d’analyse des tâches de l’agronome à l’agriculture comme lieu et condition de son appli- cation. C’est donc la réflexion sur ces deux mots qu’il importe d’approfondir car, on le verra plus loin, la clarification des liaisons qui existent entre uploads/Geographie/ agronomie-et-agriculture.pdf

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