Ambiances Environnement sensible, architecture et espace urbain Comptes-rendus
Ambiances Environnement sensible, architecture et espace urbain Comptes-rendus | 2017 Le paysage odorant existe-t-il ? A propos de Grésillon L., Sentir Paris : bien-être et matérialité des lieux, et de Henshaw V., Urban smellscapes: understanding and designing city smell environments Suzel Balez Édition électronique URL : http://ambiances.revues.org/881 ISSN : 2266-839X Éditeur : Direction Générale des Patrimoines - DAPA - MCC, UMR 1563 - Ambiances Architectures Urbanités (AAU) Référence électronique Suzel Balez, « Le paysage odorant existe-t-il ? », Ambiances [En ligne], Comptes-rendus, mis en ligne le 13 septembre 2017, consulté le 14 septembre 2017. URL : http://ambiances.revues.org/881 Ce document a été généré automatiquement le 14 septembre 2017. Ambiances is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License. Le paysage odorant existe-t-il ? A propos de Grésillon L., Sentir Paris : bien-être et matérialité des lieux, et de Henshaw V., Urban smellscapes: understanding and designing city smell environments Suzel Balez RÉFÉRENCE Grésillon, Lucile. 2010. Sentir Paris : bien-être et matérialité des lieux. Versailles : Quae / Henshaw, Victoria. 2014. Urban smellscapes: understanding and designing city smell environments. New York: Routledge/Taylor & Francis Group 1 Au 1er siècle avant notre ère, dans De Architectura, Vitruve recommande d’éviter de bâtir une ville à proximité d’un marais car les « vapeurs chargées des exhalaisons pestilentielles qu’engendrent les animaux qui vivent dans les eaux stagnantes, envelopperaient les habitants, et rendraient leurs habitations très malsaines » (Vitruve, 1673, 2012, Livre I, chap. 4). La préoccupation olfactive, qu’elle soit sanitaire ou à des fins d’embellissement, n’est, de fait, pas nouvelle chez les bâtisseurs. Chaque époque présente des techniques de mise en œuvre et des interprétations symboliques de l’odeur qui lui sont propres et de nombreux travaux, à la suite de ceux d’Alain Corbin (1986), en attestent. Ces travaux, en anthropologie, en sociologie ou en histoire, s’inscrivent cependant dans une étude des sensibilités alors que la question olfactive reste peu explorée dans les disciplines de l’espace, la géographie, l’architecture ou l’urbanisme. C’est pourquoi les travaux sur l’odeur dans le cadre bâti, publiés il y a déjà quelques années, par une géographe, Lucile Grésillon en 2010, et par une architecte, Victoria Henshaw en 2014, apparaissent comme fondamentaux car ils posent des jalons épistémologiques. Lucile Grésillon, dans Sentir Paris : bien-être et matérialité des lieux (Grésillon, 2010), s’intéresse aux odeurs de différents lieux parisiens, parmi lesquels un « non-lieu1 » (une station de RER). De son côté, dans Urban smellscapes: understanding and designing city smell environments, Victoria Henshaw dépasse la seule analyse olfactive pour Le paysage odorant existe-t-il ? Ambiances , Comptes-rendus 1 proposer des stratégies de gestion des paysages olfactifs à l’échelle urbaine (Henshaw, 2014). Cet ouvrage est d’autant plus important qu’il restera la publication majeure de son auteure, brutalement décédée en 2015. 2 Malgré la communauté d’objet de ces deux ouvrages, les démarches sont sensiblement différentes. Pour Lucile Grésillon, l’odeur est « un instrument pour saisir le vécu sensible des citadins » (op. cit., p. 20) tandis que Victoria Henshaw propose de comprendre la place de l’odeur dans les villes afin d’intégrer cette donnée sensible à leur conception. Toutes deux rendent compte des enquêtes qu’elles ont menées, dans plusieurs villes anglaises pour l’une, et à Paris pour l’autre. Dans ce dernier cas, Lucile Grésillon choisit des quartiers contrastés d’un point de vue urbain : une percée de type haussmannien du début du XXe siècle, un lotissement de maisonnettes des années 1930 et un ensemble des années 1970. Elle y ajoute des lieux « distingués en raison de leurs caractéristiques plus spécifiquement odorantes » (ibid., p. 21) : le quartier de la Huchette (très investi par les restaurants grecs) et un quai du RER B à la station Châtelet-Les Halles. Victoria Henshaw, de son côté, compose des marches odorantes (smells walks) principalement dans les villes de Doncaster et Manchester. Les méthodes mises en œuvre sont proches, des entretiens2 dans un premier temps, suivis de temps in situ. Victoria Henshaw fait le choix de marches collectives tandis que Lucile Grésillon privilégie les entretiens menés sur place et parcourt les lieux en solo. Avec des méthodes qui présentent donc des similitudes, ces deux auteures font des observations qui se complètent souvent et parfois même se recoupent. On peut cependant regretter qu’elles tombent aussi de temps à autre dans des approximations de même nature. De fait, l’émergence d’un phénomène odorant dans l’espace construit requiert trois ingrédients principaux : une odeur, un flaireur (l’individu qui sent l’odeur)3 et un lieu. Or, ni Victoria Henshaw ni Lucile Grésillon ne prennent la peine de définir les contours de ce qu’elles nomment « odeur » et, dans le cas particulier des paysages odorants (smellscapes) de Victoria Henshaw, cette définition apparait, au fil des pages, très large, puisqu’elle englobe la qualité de l’air en général. Il est également dommage que l’attention portée au flaireur soit, dans ces deux ouvrages, focalisée sur la notion de bien-être, même si Lucile Grésillon considère que ce bien-être sera atteint par l’absence de sensations, tandis que Victoria Henshaw semble plutôt privilégier les « bonnes » odeurs. Lucile Grésillon fait une incursion intéressante du côté des neurosciences pour explorer l’interprétation olfactive ; elle choisit cependant un modèle de compréhension qui sépare le corps, ses ressentis émotionnels et le cerveau, alors que des travaux comme ceux d’Antonio Damasio (1995) montrent leurs imbrications. 3 C’est du côté de l’espace bâti que Lucile Grésillon et Victoria Henshaw font des avancées fructueuses. Toutes deux se penchent d’abord sur les échelles de flairage, en particulier Victoria Henshaw qui tente de décrire des « plans » dans ses paysages odorants. Cette dernière montre des impacts de gestions urbaines contemporaines sur certaines ambiances olfactives, tandis que Lucile Grésillon explore de façon inédite les relations dedans/dehors à travers les ressentis olfactifs. Elle ouvre, en la matière, un vaste domaine à explorer. Qu’est-ce qu’une odeur ? 4 La physiologie nous enseigne que nous possédons plusieurs sens chimiques : par exemple sur la langue, les bourgeons du goût nous permettent de détecter les molécules sapides (c’est-à-dire les molécules de notre environnement qui possèdent des caractéristiques Le paysage odorant existe-t-il ? Ambiances , Comptes-rendus 2 propres à stimuler ces bourgeons du goût). De la même façon, les cils vibratiles de notre odorat réagissent à une petite partie des molécules présentes dans l’air que nous inspirons : les molécules odorivectrices (Holley, 2006). Un autre système de détection chimique vient compléter l’odorat, le système trigéminal, qui permet de détecter des molécules ayant encore d’autres propriétés. Malheureusement, la distinction entre l’odeur (en tant qu’interprétation via l’un des deux derniers systèmes présentés) et une évaluation de la qualité de l’air globale, sont régulièrement confondues par ces deux auteures, en particulier Victoria Henshaw qui porte la confusion jusque dans ses propositions de gestion du paysage odorant urbain. Les qualités sanitaires de l’air ne sont pas perceptibles par son odeur. Il est vrai qu’il s’agit là d’une confusion historique. Déjà Vitruve cité plus haut, et à sa suite ses nombreux commentateurs, confondent ces deux aspects de ce que nous appelons aujourd’hui la qualité de l’air : son odeur et sa toxicité éventuelle. Pourtant, dès la fin du XIXe siècle, les pères fondateurs de l’hygiénisme ont compris que « tout ce qui pue ne tue pas, et que tout ce qui tue ne pue pas4 ». Et cependant cette confusion fondamentale persiste, vraisemblablement parce que le processus même de respiration contribue à l’évaluation de la qualité globale de l’air. L’augmentation de la proportion de dioxyde de carbone dans l’air inspiré a, par exemple, des effets physiologiques immédiats (ANSES, 2013), comme une augmentation de la fréquence respiratoire. Or cette molécule est inodore. L’odeur reste donc encore à définir : est-ce une appréciation globale de la qualité de l’air ou l’interprétation de la perception olfactive et/ou trigéminale ? Qu’est-ce que le bien-être ? 5 Les deux auteures accordent une place importante à la question du bien-être olfactif, Lucile Grésillon la posant dès le titre de son ouvrage et Victoria Henshaw s’intéressant à l’odeur comme élément participant aux qualités sensibles des espaces urbains. En la matière, leurs approches sont diamétralement opposées. La première considère que l’idéal est la neutralité odorante tandis que la seconde cherche à promouvoir une mise en œuvre de l’odeur comme élément de « fascination et de délice » (op. cit., p. 205)5 dans la conception des paysages urbains sensibles. 6 Lucile Grésillon choisit une définition du bien-être olfactif par la négative : « A l’intérieur [du corps], l’idéal est le silence total c'est-à-dire l’absence de douleur et des fonctions régulatrices biologiques (thermiques, métaboliques, humorales, hormonales etc.) dans la zone de neutralité. L’état d’équilibre produit une évaluation hédonique positive (…). A l’extérieur, la présence de sensations que le vécu a labélisées comme bonnes, c’est-à-dire d’une intensité entre le “ni trop, ni trop peu”, forme le contexte sensoriel parfait. » (ibid., p. 133) 7 Or, comme l’a si bien décrit Lisa Heschong (1981) dans le cas des ambiances thermiques, les exemples de situations de bien-être non liées à l’absence de stimulation sensorielle ou à des situations sensorielles « hors norme » uploads/Geographie/ ambiances-881.pdf
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- Publié le Mai 20, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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