Cette page est recopiée de l'ouvrage de Georges CANGUILHEM, La connaissance de

Cette page est recopiée de l'ouvrage de Georges CANGUILHEM, La connaissance de la vie, Hachette, 1952 (pp 160-193): les commentaires et titres en bleu et les modifications de style sont personnels et bien sûr les erreurs de copie sont involontaires, étant évident que je conseille au lecteur de se reporter au texte original... Le vivant et son milieu La notion de milieu est en train de devenir un mode universel et obligatoire de saisie de l'expérience et de l'existence des êtres vivants et on pourrait presque parler de sa constitution comme catégorie de la pensée contemporaine. Mais les étapes historiques de la formation du concept et les diverses formes de son utilisation, comme aussi les retournements successifs du rapport dont il est un des termes, en géographie; en biologie, en psychologie, en technologie, en histoire économique et sociale, tout cela est assez malaisé, jusqu'à présent, à percevoir en une unité synthétique. C'est pourquoi la philosophie doit, ici, prendre l'initiative d'une recherche synoptique du sens et de la valeur du concept, et par initiative on n'entend pas seulement l'apparence d'une initiative qui consisterait seulement à prendre en réalité la suite des explorations scientifiques pour en confronter l'allure et les résultats ; il s'agit, par une confrontation critique de plusieurs démarches, d'en retrouver, si possible, le départ commun et d'en présumer la fécondité pour une philosophie de la nature centrée par rapport au problème de l'individualité. Il convient donc d'examiner tour à tour les composantes simultanées et successives de la notion de milieu, les variétés d'usage de cette notion de 1800 à nos jours, les divers renversements du rapport organisme-milieu, et enfin la portée philosophique générale de ces renversements. Bref historique de la notion de milieu Historiquement considérés la notion et le terme de milieu sont importés de la mécanique dans la biologie, dans la deuxième partie du XVIIIe siècle. La notion mécanique, mais non le terme, apparaît avec Newton, et le terme de milieu, avec sa signification mécanique, est présent dans l'Encyclopédie de d'Alembert et Diderot, à l'article Milieu. Il est introduit en biologie par Lamarck, s'inspirant de Buffon, mais n'est jamais employé par lui qu'au pluriel. De Blainville consacre cet usage. Etienne Geoffroy Saint-Hilaire en 1831, et Comte en 1838, emploient le terme au singulier, comme terme abstrait. Balzac lui donne droit de cité dans la littérature en 1842 dans la préface de la Comédie humaine et c'est Taine qui le consacre comme l'un des trois principes d'explication analytique de l'histoire, les deux autres étant, comme on sait, la race et le moment. C'est de Taine plutôt que de Lamarck que les biologistes le vivant et son milieu http://pst.chez-alice.fr/milieu.htm 1 de 24 24/01/11 21:00 néolamarckiens français d'après 1870, Giard, Le Dantec, Houssay, Costantin, Gaston Bonnier, Roule tiennent ce terme. C'est, si l'on veut, de Lamarck qu'ils tiennent l'idée, mais le terme pris comme universel, comme abstrait, leur est transmis par Taine. Les mécaniciens français du XVIIIe siècle ont appelé milieu ce que Newton entendait par fluide, et dont le type, sinon l'archétype unique, est, dans la physique de Newton, l'éther. Le problème à résoudre pour la mécanique, à l'époque de Newton, était celui de l'action à distance d'individus physiques distincts. C'était le problème fondamental de la physique des forces centrales. Ce problème ne se posait pas pour Descartes. Pour Descartes, il n'y a qu'un seul mode d'action physique, c'est le choc, dans une seule situation physique possible, le contact. Et c'est pourquoi nous pouvons dire que, dans la physique cartésienne, la notion de milieu ne trouve pas sa place. La matière subtile n'est en aucune façon un milieu. Mais il y avait difficulté d'étendre la théorie cartésienne du choc et de l'action par contact au cas d'individus physiques ponctuels, car dans ce cas ils ne peuvent agir sans confondre leur action. On conçoit par conséquent que Newton ait été conduit à poser le problème du véhicule de l'action. L'éther lumineux est pour lui ce fluide véhicule d'action à distance. Par là s'explique le passage de la notion de fluide véhicule à sa désignation comme milieu. Le fluide est l'intermédiaire entre deux corps, il est leur milieu ; et en tant qu'il pénètre tous ces corps, ces corps sont situés au milieu de lui.On dirait actuellement média : le milieu des mécanicistes c'est le média actuel, c'est la communication, c'est à la fois le support et le message... il serait très intéressant de pousser un peu la comparaison commencée dans la page du cours de TS sur la communication dans l'organisme. Selon Newton et selon la physique des forces centrales, c'est donc parce qu'il y a des centres de forces qu'on peut parler d'un environnement, qu'on peut parler d'un milieu. La notion de milieu est une notion essentiellement relative. C'est pour autant qu'on considère séparément le corps sur lequel s'exerce l'action transmise par le moyen du milieu, qu'on oublie du milieu qu'il est un entre-deux centres pour n'en retenir que sa fonction de transmission centripète, et l'on peut dire sa situation environnante. Ainsi le milieu tend à perdre sa signification relative et à prendre celle d'un absolu et d'une réalité en soi. Newton est peut-être le responsable de l'importation du terme de la physique en biologie. L'éther ne lui a pas servi seulement pour résoudre le phénomène de l'éclairement, mais aussi pour l'explication du phénomène physiologique de la vision et enfin pour l'explication des effets physiologiques de la sensation lumineuse, c'est-à-dire des réactions musculaires. Newton, dans son Optique, considère l'éther comme étant en continuité dans l'air, dans l'oeil, dans les nerfs, et jusque dans les muscles. C'est donc par l'action d'un milieu qu'est assurée la liaison de dépendance entre l'éclat de la source lumineuse perçue et le vivant et son milieu http://pst.chez-alice.fr/milieu.htm 2 de 24 24/01/11 21:00 le mouvement des muscles par lesquels l'homme réagit à cette sensation. Tel est, semble-t-il, le premier exemple d'explication d'une réaction organique par l'action d'un milieu; c'est-à-dire d'un fluide strictement défini par des propriétés physiques (1). Or l'article de l'Encyclopédie déjà cité confirme cette façon de voir. C'est à la physique de Newton que sont empruntés tous les exemples de milieux donnés par cet article. Et c'est en un sens purement mécanique qu'il est dit de l'eau qu'elle est un milieu pour les poissons qui s'y déplacent. C'est aussi en ce sens mécanique que l'entend d'abord Lamarck. Lamarck parle toujours de milieux, au pluriel, et entend par là expressément des fluides comme l'eau, l'air et la lumière. Lorsque Lamarck veut désigner l'ensemble des actions qui s'exercent du dehors sur un vivant, c'est-à-dire ce que nous appelons aujourd'hui le milieu, il ne dit jamais le milieu, mais toujours « circonstances influentes ». Par conséquent, circonstances est pour Lamarck un genre dont climat, lieu et milieux, sont les espèces. Et c'est pourquoi Brunschvicg, dans Les Étapes de la Philosophie mathématique (2) a pu écrire que Lamarck avait emprunté à Newton le modèle physico- mathématique d'explication du vivant par un système de connexions avec son environnement. Les rapports de Lamarck à Newton sont directs dans l'ordre intellectuel et indirects dans l'ordre historique. C'est par Buffon que Lamarck est lié à Newton. On rappelle simplement que Lamarck a été l'élève de Buffon et le précepteur de son fils. Buffon compose en fait, dans sa conception des rapports entre l'organisme et le milieu, deux influences. La première est précisément celle de la cosmologie de Newton, dont Buffon a été l'admirateur constant (3). La deuxième est celle de la tradition des anthropogéographes dont avant lui, et après Bodin, Machiavel et Arbuthnot, Montesquieu représentait en France la vitalité (4). Le traité hippocratique De l'Air, des eaux et des Lieux peut être considéré comme la première oeuvre qui ait donné une forme philosophique à cette conception. Voilà quelles sont les deux composantes que Buffon réunit dans ses principes d'éthologie animale, pour autant que les moeurs des animaux sont des caractères distinctifs et spécifiques et que ces moeurs peuvent être expliquées par la même méthode qui avait servi aux géographes à expliquer la variété des hommes, la variété des races et des peuples sur le sol terrestre (5). Donc, en tant que maître et précurseur de Lamarck dans sa théorie du milieu, Buffon nous apparaît à la convergence des deux composantes de la théorie, la composante mécanique et la composante anthropogéographique. Ici se pose un problème d'épistémologie et de psychologie historique de la connaissance dont la portée dépasse de beaucoup l'exemple à propos duquel il se pose : le fait que deux ou plusieurs idées directrices viennent se composer à un moment donné dans une même théorie ne doit-il pas être interprété comme le signe qu'elles ont, en fin d'analyse, si différentes qu'elles puissent paraître au moment où le vivant et son milieu http://pst.chez-alice.fr/milieu.htm 3 de 24 24/01/11 21:00 l'analyse s'en empare, une origine commune dont le sens et même souvent l'existence sont oubliés quand on en considère séparément les membres disjoints. C'est le problème que nous retrouverons à la fin. Les origines newtoniennes de la notion de milieu suffisent donc à rendre compte uploads/Geographie/ canguilhem-georges-le-vivant-et-son-milieu 1 .pdf

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