Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Le

Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Le périple d'Hannon Maurice Euzennat Citer ce document / Cite this document : Euzennat Maurice. Le périple d'Hannon. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 138ᵉ année, N. 2, 1994. pp. 559-580; doi : https://doi.org/10.3406/crai.1994.15385 https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1994_num_138_2_15385 Fichier pdf généré le 21/05/2018 COMMUNICATION LE PÉRIPLE D'HANNON, PAR M. MAURICE EUZENNAT, CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE Peu de récits de voyage ont suscité autant de commentaires et d'hypothèses que le « Périple d'Hannon, roi des Carthaginois, le long des parties de la Libye situées au-dessus des Colonnes d'Héraclès », titre d'un manuscrit du IXe siècle présenté comme la traduction en grec d'une inscription « suspendue dans le temple de Kronos » à Carthage. Publié pour la première fois en 1533, ce texte a fait l'objet d'un « Mémoire sur les découvertes et les établissements faits le long des côtes d'Afrique par Hannon, amiral de Carthage », lu par Bougain- ville à l'Académie en 1754, 1757 et 1758, imprimé en 1759, et Jérôme Carcopino lui a consacré en 1943 trois communications successives qui ont fourni la matière du second chapitre de son Maroc antique publié la même année : « Le Maroc marché punique de l'or »*. Des nombreuses éditions qui en ont été données depuis le début du xixe siècle, les meilleures sont aujourd'hui celles de W. Aly, en 1927, et de J. Desanges, en 1978, auxquelles il faut ajouter un très important commentaire philologique de G. Germain, paru en 19572. D'une lecture sans préjugé on retiendra que Hannon fut envoyé, à une date inconnue, au-delà des Colonnes avec 60 pentécontores transportant 30 000 marins et passagers, hommes et femmes, pour y fonder des villes de Libyphéniciens. Après deux jours de navigation, il crée une première ville, Thumia- têrion. Au-delà, il parvient au Soloeis, « promontoire de Libye couvert d'arbres », où il élève un sanctuaire à Poséidon puis, après une 1. M. de Bougainville, « Mémoire sur les découvertes et les établissements faits le long des côtes d'Afrique par Hannon, amiral de Carthage », Mémoire de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 26, 1759, p. 10-45, 1 carte h.t. ; J. Carcopino, « Étude critique du Périple d'Hannon », CRAI, 1943, p. 137-139, 149-151, 152-154 et Le Maroc antique, Paris, 1943 (2e éd., 1948), p. 73-163 et p. 305-306 ; A. Merlin, « La véritable portée du Périple d'Hannon », JS, 1944, p. 62-76. 2. Manuscrit de Heidelberg, Palatinus 398, fol. 55 r-56 r. W. Aly, « Die Entdeckung des Westens. Die Ùberlieferung von Hannos Fahrtbericht », Hermès, 52, 1927, p. 299-341 et 485-489 ; J. Desanges, ^Recherches sur l'activité des Méditerranéens aux confins de l'Afrique, Rome, 1978 (Coll. de l'École Française de Rome, 38), p. 39-85 : analyse et commentaire ; p. 392-397 : texte et traduction ; id., « Le point sur le « Périple d'Hannon » : controverses et publications récentes », Enquêtes et documents. Nantes-Afrique-Amérique, 6, 1981, p. 13-29. G. Germain, « Qu'est-ce que le Périple d'Hannon ? document, amplification littéraire ou faux intégral ? », Hespéris, 44, 1957, p. 205-248. 560 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS I. Madère I. Canaries M0 'II Ha Mont Kakoulima _i i 1OOO km situation des comptoirs d'Hannon selon Gsell situation des comptoirs d'Hannon selon Carcopino Cap Sp j Thumiaterion m JE?' artcl«---^~7 A* 0 "• 200 km J.LENNE Cap des Palmes Golfe de Guinée Mont Cameroun FlG. 1. — Le Périple d'Hannon selon Gsell et Carcopino. LE PÉRIPLE D'HANNON 561 demi-journée de navigation « à l'inverse » (rcàXiv), à une lagune couverte de roseaux où vivent des éléphants. Après une autre journée de navigation, il fonde cinq colonies : le Mur Carien (Kocpixov xeîxoç), Guttê, Akra, Melitta et Arambus (2-5). Il atteint ensuite le fleuve Lixos et s'arrête quelque temps chez les Lixites, qui sont des éleveurs nomades, au-delà desquels vivent des Éthiopiens et des Troglodytes. Il continue vers le Midi pendant deux jours en longeant le désert puis, pendant un jour, vers le soleil levant pour arriver à un golfe dans lequel il trouve une petite île qu'il appelle Képvrj/Cernè et qu'il estime située à la même distance des Colonnes que Carthage. Il y laisse des colons (6-8). De Cerné il passe dans un grand fleuve, le Chrétès, qui le conduit à un lac dans lequel se trouvent trois îles, dominé par une haute montagne habitée par des hommes sauvages. Il entre alors dans un autre fleuve, « rempli de crocodiles et d'hippopotames », puis rebrousse chemin et retourne à Cerné (9-10). Il en repart vers le Midi, navigue pendant douze jours le long d'une côte peuplée d'Éthiopiens, reconnaît des montagnes qu'il contourne pendant deux jours, puis une plaine (11-13). Cinq jours plus tard, il pénètre dans un golfe, la Corne de l'Occident, 'Ea7cépoo xépocç, dans lequel une grande île enferme une lagune, et cette lagune une autre île ; il arrive ensuite, en quatre jours, le long d'une côte embrasée, à la hauteur d'un volcan, Geôov oxt]|aoc, le « Char des dieux » ou plutôt, si l'on suit Desanges, le « Support des dieux » (14-16). Enfin, après trois autres jours de navigation, Hannon découvre un troisième golfe, la Corne du Sud, Nôtou xépocç, abritant, comme la Corne de l'Occident, des îles emboîtées où vivent des sauvages velus, les FoptXXat. Il arrête là sa navigation faute de vivres (17-18). Escales non comprises, ce voyage a pu durer de 35 à 40 jours : un peu plus de deux jours des Colonnes au cap Soloeis ; une journée et demie pour rejoindre l'endroit où fut établie la première colonie sur l'Océan ; un nombre de jours non précisé jusqu'au fleuve Lixos ; trois jours du Lixos à Cerné ; vingt-six jours enfin de Cerné au Nôtou xépocç. En revanche, il est impossible d'en dresser une carte théorique en raison des incohérences ou des lacunes dans l'indication des caps successifs3. 3. Ainsi, après avoir longé la côte sud du détroit jusqu'au cap Soloeis, la navigation « à l'inverse dans la direction du soleil levant pendant une demi-journée », Périple, 3-4, puis l'approche de Cerné, ibid., 8, ci-dessous, p. 577, n. 48 ; cf. M. Rousseaux, « Hannon au Maroc », R. Afr., 93, 1949, p. 181-183. On notera également l'invraisemblance, maintes fois soulignée, d'une flotte de 60 pentécontores, navires à 50 rames ou 50 rameurs, transportant 30 000 marins et passagers, avec vivres et équipements, cf. Germain, op. cit., p. 238-240 ; sur les pentécontores, cf. R. RebufFat, « Une bataille navale au vme siècle (Josèphe, Ant. jud., IX, 14) », Semitica, 26, 1976, p. 71-79 (navires à 50 rameurs, p. 73, à 50 rames, p. 79). 562 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS La plupart des interprétations qu'on en a données et des commentaires qui s'y rapportent ne méritent plus guère aujourd'hui de retenir l'attention. D'une manière générale, leurs auteurs ont cherché à confronter le récit à la connaissance des côtes africaines qu'on avait de leur temps, en se référant à celle que pouvaient en avoir eue les Anciens ainsi qu'aux conditions de navigation supposées de leurs navires. L'interprétation la plus séduisante, longtemps retenue, a été donnée en 1920 par Gsell, puis amendée vingt ans plus tard par Carcopino4 (fîg. 1). Selon Gsell, Hannon faisant quelque 110 milles nautiques, c'est-à- dire plus de 200 km, en deux jours à partir du cap Spartel, considéré comme point de départ, fonde sa première colonie, Thumiatêrion, à l'embouchure de l'oued Sebou. Une deuxième étape le conduit au cap Cantin, identifié avec le cap Soloeis, et c'est au-delà qu'il crée cinq colonies, échelonnées de Mogador à Agadir. Il atteignit ensuite l'oued Draa, qui serait le fleuve Lixos du Périple, puis l'île de Cerné qu'il faudrait rechercher sur la côte saharienne au-delà du cap Juby. Plus loin, le fleuve Chrétès serait la Seguiet el-Hamra ; les premières montagnes rencontrées, le cap Vert. La Corne de l'Occident se trouverait le long des côtes du golfe de Guinée ; le @ewv ô'xrifxa correspondrait au mont Cameroun, qui est effectivement un volcan. La Corne du Sud serait plus loin, au fond du golfe, et il faudrait reconnaître dans les FopiXXai des Négrilles ou des Pygmées. Les invraisemblances ne manquent pas dans cette reconstitution souvent laborieuse et Gsell, comme ceux qui l'ont précédé, les a bien senties. Tous ont dû en effet recourir au même expédient : corriger le texte du Périple pour le mettre en accord avec la géographie ou, ce qui est pire, corriger la géographie pour l'accorder au récit. Il a été ainsi nécessaire, faute d'île dans le secteur où Gsell plaçait Cerné, d'imaginer un changement profond de la ligne de rivage pour la faire disparaître, ou encore de donner à l'oued Draa le nom de Lixos5, alors que le Lixos des Anciens est l'oued Loukkos actuel. C'est pour se dégager de ces incohérences que Carcopino s'est refusé à les nier : pour lui, elles sont indissociables du texte du Périple car voulues par son auteur afin d'éviter que des concurrents, en particulier uploads/Geographie/ crai-0065-0536-1994-num-138-2-15385-pdf.pdf

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