11 Introduction Le 1er janvier 2016, la carte territoriale française sera profo
11 Introduction Le 1er janvier 2016, la carte territoriale française sera profondément transformée. Aux vingt-deux régions créées en 1972 seront substituées treize collectivités, à l’issue d’un regroupement sans précédent dans l’histoire de la République. Les Français et leurs médias vont sans doute se passionner pour les premières délibérations des nouveaux conseils régionaux. Quels noms pour les régions regroupées ? Quels chefs-lieux ? Quelles modalités de fusion des services et d’implantation sur des territoires élargis ? N’en doutons pas, les débats seront animés. Là n’est pourtant pas l’essentiel. Seule l’ampleur de la redéfinition des compétences respectives des différents niveaux de gestion locale – qui fait l’objet d’un projet de loi en cours d’examen au moment où nous écrivons ces lignes – donnera ou non toute sa signification à la réforme. Plus encore, c’est la décision de poursuivre ou pas le mouvement de rationalisation de notre organisation territoriale, engagée avec le regroupement des régions, qui déterminera la réalité de cette trans- formation. La suppression de neuf régions est un saut plus important que ne pourrait le faire croire la petite musique désabusée des commentateurs et de certains responsables politiques. Mais ce n’est qu’une première étape. Un long chemin reste à parcourir pour alléger vraiment le millefeuille territorial. 12 Ce livre est donc né d’une crainte : celle de voir le gouvernement s’arrêter en route et ne pas engager la réforme qui s’impose aujourd’hui, à savoir une profonde remise en cause de la carte des départements et des struc- tures communales (communes et intercommunalités). Or, c’est à ces deux niveaux que résident les enjeux majeurs en termes de simplification, d’allègement des structures et donc de réduction des coûts, en nombre d’entités comme en volume de dépenses. Montrer quels peuvent et doivent être les grands axes des mesures à prendre une fois acquis le regroupement régional, tel est l’objet de ce livre. En décidant, le 15 janvier 2014, à la surprise générale, d’engager la réduction du nombre des régions, François Hollande s’est donné la possibilité d’engager une réforme essentielle pour l’avenir de la France, une mutation fondamentale qui permettrait enfin de remédier à l’un des maux les plus criants de l’administration de notre pays : l’empilement des structures. À condition toutefois de ne pas s’en tenir à la loi qui vient d’être votée, mais au contraire de s’en servir comme d’un levier pour une réorganisation plus profonde. S’il le fait, François Hollande rejoindra le tout petit nombre de politiques qui ont réellement pesé sur notre organisation territo- riale. Et, s’il y parvient, il reviendra, dans ce domaine, de loin. En effet, les débuts de la nouvelle étape de décen- tralisation promise par François Hollande dans son discours de Dijon, en mars 2012, ont été difficiles, voire franchement chaotiques. Du 15 mai 2012 au 15 janvier 2014, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a semblé ne pas savoir comment l’engager. L’évolution du projet de loi lui-même est symptomatique de ces atermoiements : de la première mouture préparée par 13 la nouvelle ministre de la Décentralisation, Marylise Lebranchu, avec l’aide de la secrétaire d’État Anne-Marie Escoffier, au texte adopté par le Conseil des ministres au printemps 2013, nombreux ont été les rebondissements et les revirements… Transformé au fil des concertations, des suggestions et des pressions des uns et des autres, le texte d’origine, qui se voulait court et de principe, est devenu long et détaillé, pour être finalement divisé en trois projets séparés. Les lobbies et groupes de pression s’en sont donné à cœur joie, avec une certaine efficacité, il faut bien le dire, puisque, un an après l’élection du nouveau président, tous avaient préservé leurs acquis et rien de significatif n’avait changé. La décision de la nouvelle majorité d’abroger, par la loi électorale de 2013, la grande innovation du quinquennat précédent, le conseiller territorial, avait renforcé la crainte de nombreux spécialistes que cette nouvelle étape de décentralisation n’aboutisse pas. Avant même son entrée en vigueur, le compromis laborieusement élaboré sous l’autorité de Nicolas Sarkozy, qui devait permettre une coordination progressive des actions des régions et des départements, sans se heurter aux vetos croisés de leurs défenseurs respectifs, fut rayé d’un trait de plume, promesse de campagne électorale oblige. Il s’agissait pourtant de la première tentative sérieuse de réforme de la carte territoriale depuis 1981, due à la volonté de Nicolas Sarkozy d’imprimer sa marque dans la longue marche de la décentralisation à la française. Au même moment, le référendum organisé en Alsace à l’initiative de Philippe Richert, président du conseil régional et ancien ministre des Collectivités locales, sur la fusion des deux départements et de la région, se traduisait par un vote négatif – comme avait échoué en Corse, dix ans auparavant, un référendum identique, 14 voulu par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy. Au printemps 2013, au terme de la première année de mandat de François Hollande, ce statu quo en matière de décentralisation frappait d’autant plus qu’à titre de comparaison, trente et un ans auparavant, au printemps 1982, et un an après l’élection présidentielle qui vit la défaite de Valéry Giscard d’Estaing, la nouvelle majorité de François Mitterrand avait déjà adopté et mis en œuvre la loi Droits et Libertés, supprimant les tutelles a priori et transférant les exécutifs départementaux et régionaux. Elle engageait l’examen d’un second projet de loi sur les transferts de compétences, tout en faisant progresser à grands pas l’élaboration du statut de la fonction publique territoriale. C’est ce constat que nous partagions fréquemment en 2013, alors que nous travaillions ensemble pour l’organi- sation et la promotion de diverses opérations à l’attention des élus locaux, conçues par le Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales auxquelles CLAI 1 apportait son expertise en communication insti- tutionnelle. Au cours de discussions informelles, nous constations que nous partagions des idées assez proches sur ce qu’il conviendrait de faire et sur ce que nous proposerions si nous étions en charge. Nous ne l’étions pas, mais nous avions des suggestions à faire. L’annonce du « tournant régional » par François Hollande nous a redonné espoir et, surtout, nous a encouragés à proposer 1. Cabinet de conseil en stratégie de communication corporate et institutionnelle, lancé par Éric Giuily en 2009, CLAI intervient essentiellement dans l’accompagnement des situations et projets sensibles et dans la définition de l’identité et la promotion de l’image des entreprises. 15 notre version de l’Acte III de la décentralisation, en mariant nos expériences et nos sensibilités politiques. Au cœur de ces propositions figure une nouvelle carte territoriale, afin, en s’appuyant sur les nouvelles limites régionales, de régler un problème auquel aucun gouver- nement ne s’est réellement attaqué depuis trente ans : celui du nombre de niveaux de l’administration territoriale. Nous sommes en effet convaincus qu’il est possible et nécessaire de supprimer un échelon, à condition de le faire de manière pragmatique et différenciée selon les territoires. C’est du moins ce que nous allons démontrer et illustrer dans les pages qui suivent. Tout au long du xxe siècle, la carte administrative de la France, issue de la Révolution française et sacralisée par Napoléon, qui reposait sur un binôme commune- département, s’est progressivement déformée. Elle a évolué avec le développement de la coopération intercommunale, sous la forme de syndicats à vocation unique puis à vocations multiples, de districts, puis de communautés urbaines. Elle s’est aussi façonnée par l’émergence des régions, d’abord simples structures de gestion administrative, puis établissements publics locaux aux compétences très restreintes, avant de devenir des collectivités territoriales de plein exercice. Ainsi, la multiplication des niveaux (communes, départements, intercommunalités, régions, le tout complété par la création des « pays » 1 – même si les coûts de ces derniers se sont finalement révélés modestes), l’accroissement des 1. Dans le cadre du projet de loi sur la Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), dont l’examen débute au Parlement alors que nous achevons ce livre, il a été envisagé d’ajouter une nouvelle catégorie, les « territoires », au sein du Grand Paris. 16 responsabilités locales et les transferts de compétences, organisés par les lois Defferre puis Raffarin, ont progres- sivement conforté le sentiment que la carte territoriale française était devenue un véritable « millefeuille », pour reprendre la métaphore si fréquemment utilisée. La comparaison avec cette pâtisserie typiquement française n’est d’ailleurs pas totalement anodine. Si la caractéristique première du millefeuille réside dans ses nombreuses couches de feuilletage, n’est-ce pas préci- sément pour cela qu’on l’aime ? N’aurait-on pas envie de se resservir de ce délicieux dessert, plutôt que de s’en priver ? Et plus la crème est riche, meilleur est le gâteau ! Mais le millefeuille, aussi bon soit-il, est devenu trop lourd. Avec une croissance quasi nulle, des déficits publics qui se creusent et un endettement qui s’aggrave d’année en année, la France souffre d’indigestion manifeste. L’état des lieux que nous posons de la France décentralisée fait clairement apparaître l’urgence d’une réforme en profondeur. Nous ne sommes pas les seuls à faire un tel constat : de nombreux experts et observa- teurs avertis réclament une réforme de grande ampleur, uploads/Geographie/ giuily-pour-en-finir-avec-le-millefeuille-territorial-extrait.pdf
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- Publié le Fev 13, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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