Wikisource Jules Claretie (Cherville) Gaspard de Cherville Jules Claretie A. Qu
Wikisource Jules Claretie (Cherville) Gaspard de Cherville Jules Claretie A. Quantin, imprimeur-éditeur (Célébrités contemporaines), 1883. CÉLÉBRITÉS CONTEMPORAINES J U L ES C L A R E T I E PAR G. DE CHERVILLE PARIS A. QUANTIN, IMPRIMEUR-ÉDITEUR 7, RUE SAINT-BENOIT, 7 — 1883 JULES CLARETIE a biographie d’un écrivain auquel vous attachent une profonde estime et une vieille amitié est certainement une tâche agréable, mais je n’en sais guère de plus ingrate. Il ne faut pas se le dissimuler, le public ne se montre friand de ces sortes d’écrits que lorsqu’ils se présentent comme une critique, lorsqu’ils promettent quelques révélations piquantes. Auriez-vous la prétention de lui apprendre que X… est un littérateur de talent et Z… un garçon d’esprit ? Il le sait aussi bien que vous ; souvent même il le sait beaucoup trop, car ce n’est pas uniquement vis-à-vis des justes que nous nous montrons Athéniens. Ce qui ne lui déplairait pas à ce public, ce serait d’entendre dire qu’une réputation est surfaite et qu’il est outrageusement volé. L ’attrait d’une biographie se mesure un peu aux indiscrétions qu’elle promet ; quand elle arrive à friser le scandale ou à pratiquer « l’éreintement » son succès est assuré. Un pamphlétaire qui fit tapage, il y a quelque vingt- cinq ans, n’eut pas d’autre système, et il enrichit son éditeur. Si vous n’avez que du bien à dire de votre sujet, regardez à deux fois avant d’entreprendre une œuvre de ce genre ; si justes que soient vos appréciations, on les taxera de banalités, si méritées que soient vos louanges, on n’y voudra voir que l’indulgence peu désintéressée de la camaraderie. Vous avez, il est vrai, la ressource de vous procurer un certain vernis d’impartialité en assaisonnant vos compliments de réserves désobligeantes, en promenant la loupe sur les plus menus travers ; mais peut-être alors votre conscience entrera-t-elle en révolte ; sa susceptibilité n’a pas besoin d’être excessive pour que vous reconnaissiez que mieux valait affronter l’indifférence du public et rester vrai. Cependant, il faut être juste : par ce temps de dénigrement à outrance, de déchaînement, de sottes et plates envies, se livrant carrière avec le vocabulaire que vous savez, quelques noms, en bien petit nombre, ont le privilège d’une sympathie presque unanime. Celui de Jules Claretie est de ceux-là. Quoi que nous dicte notre respect pour son caractère et notre admiration pour son talent, nous sommes à peu près certains de ne pas rencontrer de contradicteurs, de n’avoir été que le porte-parole des sentiments de ses confrères aussi bien L que du public. C’est cette considération qui nous a décidé à aborder un travail au-dessus de nos forces et tout à fait en dehors de nos thèmes de tous les jours. Il y a déjà bien des années que nous avons, pour la première fois, rencontré Jules Claretie ; c’était aux alentours de 1860, à l’occasion d’une ouverture du Tir national de Vincennes. L ’auteur du Million était presque un adolescent, nous-mêmes un peu moins vieux. Déjà sur le déclin de la vie, obscur collaborateur du plus fécond des romanciers, du plus irrésistible charmeur de son époque, j’avais de très bonnes raisons pour me croire parfaitement inconnu. Malgré son extrême jeunesse, Claretie avait déjà conquis une notoriété assez grande pour qu’elle pénétrât dans la retraite où je vivais à la campagne. Cependant, ce fut lui qui vint à moi avec une affectueuse déférence qui me toucha d’autant plus qu’elle me surprenait davantage. Vingt-deux ans ont passé sur cette première poignée de main, sans effacer la sensation agréable qu’elle me causa. Je pourrais vous dire que je fus séduit par sa physionomie fine et distinguée, attiré par son regard profond et singulièrement doux ; mais je suis de ceux qui estiment que les causes déterminantes de la sympathie échappent à l’analyse ; on la subit, on ne l’explique pas. Le système des atomes crochus n’était peut-être pas si fou. J’appartenais, par mon âge, à cette génération si profondément insoucieuse de tout ce qui n’était pas les lettres, qui eut pour chefs de file Gérard de Nerval, Théophile Gautier, Murger, etc., qui avait alors pour derniers représentants Amédée Rolland, Jean Du Boys, Ch. Bataille et quelques autres, aujourd’hui disparus comme leurs aînés. J’avais subi et je gardais le reflet de leurs doctrines et de leurs idées. Après quelques causeries avec mon jeune et nouvel ami, je reconnus que nous n’aurions guère ressemblé à ceux qui étaient appelés à nous succéder. On a considéré la Bohème illustrée par Henri Murger comme une peinture excessive de quelques existences exceptionnelles. La vérité est que cette bohème représentait des tendances alors assez générales dans le monde des lettres et des arts. Les irréguliers n’ont pas précisément manqué dans la Grande Armée littéraire de 1830 ; nous ne serions pas embarrassé pour citer pas mal de ses illustres comme exemples. En fouillant dans l’existence des plus célèbres, on y retrouve un parfum très caractérisé des mœurs en honneur dans le petit cénacle du café Momus. Il est impossible de ne pas être frappé de la différence qu’affecte cette existence avec la vie positive et rangée, c’est-à-dire éminemment bourgeoise du « monde des lettres » d’aujourd’hui. Moins amusant pour la galerie, celui-ci a incontestablement gagné en considération comme en dignité. Cette évolution se préparait dès 1860. Le mouvement d’opposition au régime impérial, qui devait éclater si énergiquement cinq ans plus tard, commençait à poindre chez la jeunesse et la rattachait à la politique que ses devanciers avaient un peu trop dédaignée. L ’isolement dans lequel se produisaient ses aspirations à l’affranchissement, la perspective d’une lutte contre le colosse, dont personne, hors le Poète, n’avait entrevu les pieds d’argile, inspiraient à ces jeunes esprits une gravité précoce, leur imposait une sévérité d’études, de travaux, de tenue, présentant un très vif contraste avec le débraillé de sentiments, d’habitudes et d’allures que leurs prédécesseurs avaient affecté. C’est ce qui me frappa chez Jules Claretie. Claretie écrivait alors au Diogène, ce journal qui, — suivant d’Hervilly, un autre de ses collaborateurs, — rétribuait sa rédaction « à beaucoup d’égards la ligne », et se trouvait néanmoins mieux servi que beaucoup de ses héritiers payant aujourd’hui en espèces plus trébuchantes. Le petit journalisme d’alors, écrivant sous l’épée de Damoclès de la suspension, était exclusivement littéraire, nous n’avons pas besoin de le dire ; les succès faciles de la guerre des personnalités lui échappaient ; il n’en était que plus élevé par le fond et plus épuré par la forme de ses articles. Ce passage au Diogène, où parfois il écrivait, sous divers pseudonymes, le numéro tout entier — pour rien, pour le plaisir — cet apprentissage fut loin d’être inutile à Claretie ; il le familiarisa avec la rapidité d’exécution qui est un des caractères du journalisme ; il confirma ses facultés natives et maîtresses : la fécondité et le don d’assimilation. Cependant il ne se laissa point, comme tant d’autres, absorber par la petite presse ; il eut beau s’y prodiguer, tout l’esprit, toute l’imagination dont il se mettait en frais ne le détournèrent pas un instant du but qu’il avait assigné à sa vie : le travail profond et fécond. Ce but, Claretie l’a certainement visé à un âge où les jeux étaient, à nous autres, l’unique affaire — la jeunesse d’aujourd’hui a d’autres objectifs, les plaisirs ! — Il y eut en lui une de ces vocations puissantes qui, non seulement se jouent des obstacles, mais n’attendent pas l’âge où l’on raisonne pour entrer en action. Je jurerais que dans les vagues rêveries des premières années, où l’avenir se présente toujours avec les multiples miroitements du kaléidoscope, jamais l’idée qu’il pût être autre chose qu’un écrivain n’a traversé sa cervelle. Sa devise si caractéristique, Liber libro, « Libre par le Livre », doit dater du collège comme ses premiers essais. À l’époque où nous le rencontrâmes, il avait déjà emmagasiné une dizaine de volumes. La maturité de son jugement le dissuada de leur donner la volée ; il les tenait pour œuvres d’apprenti, bonnes à le préparer à passer maître. Il les a gardées inédites, ces œuvres de jeunesse écrites en Périgord, chez son grand-père, car, né à Limoges, comme Noriac, Claretie est d’origine périgourdine. Sa famille est de Sainte-Alvère, près Bergerac. Modeste avec ces essais, il sut également résister à l’entraînement de ses succès dans le petit journalisme ; il ne leur tailla, dans sa vie, qu’une part proportionnée à leur importance ; la plus grosse, il la réserva à l’étude. En attendant que l’observation lui livrât les secrets du document humain, il apporta à la recherche du document écrit une ardeur infatigable. La production énorme de Claretie a soulevé bien des étonnements ; l’universalité de ses lectures nous semble bien plus extraordinaire. Ce travailleur infatigable a quêté, fouillé, creusé tout ce qui, en histoire, en littérature, en beaux-arts, lui a paru digne d’intérêt. Curieux d’inédit, il n’a jamais hésité devant les voyages, devant les fatigues, devant les sacrifices pour se renseigner aux sources sûres, pour uploads/Geographie/ jules-claretie-cherville.pdf
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- Publié le Jui 24, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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