Leconte de Lisle Poèmes antiques Source : ŒUVRES / DE / Leconte de Lisle POÈMES
Leconte de Lisle Poèmes antiques Source : ŒUVRES / DE / Leconte de Lisle POÈMES ANTIQUES [VIGNETTE] PARIS ALPHONSE LEMERRE 23-33, PASSAGE CHOISEUL, 23-33 (s.d.) POÈMES ANTIQUES – 3 – Sûryâ HYMNE VÉDIQUE TA demeure est au bord des océans antiques, Maître ! Les grandes Eaux lavent tes pieds mystiques. Sur ta face divine et ton dos écumant L’abîme primitif ruisselle lentement. Tes cheveux qui brûlaient au milieu des nuages, Parmi les rocs anciens déroulés sur les plages, Pendent en noirs limons, et la houle des mers Et les vents infinis gémissent au travers. Sûryâ ! Prisonnier de l’ombre infranchissable, Tu sommeilles couché dans les replis du sable. Une haleine terrible habite en tes poumons ; Elle trouble la neige errante au flanc des monts ; Dans l’obscurité morne en grondant elle affaisse Les astres submergés par la nuée épaisse, Et fait monter en chœur les soupirs et les voix Qui roulent dans le sein vénérable des bois. Ta demeure est au bord des océans antiques, Maître ! Les grandes Eaux lavent tes pieds mystiques. Elle vient, elle accourt, ceinte de lotus blancs, L’Aurore aux belles mains, aux pieds étincelants ; LECONTE DE LISLE – 4 – Et tandis que, songeur, près des mers tu reposes, Elle lie au char bleu les quatre vaches roses. Vois ! Les palmiers divins, les érables d’argent, Et les frais nymphéas sur l’eau vive nageant, La vallée où pour plaire entrelaçant leurs danses Tournent les Apsaras en rapides cadences, Par la nue onduleuse et molle enveloppés, S’éveillent, de rosée et de flamme trempés. Pour franchir des sept cieux les larges intervalles, Attelle au timon d’or les sept fauves cavales, Secoue au vent des mers un reste de langueur, Éclate, et lève-toi dans toute ta vigueur ! Ta demeure est au bord des océans antiques, Maître ! Les grandes Eaux lavent tes pieds mystiques. Mieux que l’oiseau géant qui tourne au fond descieux, Tu montes, ô guerrier, par bonds victorieux ; Tu roules comme un fleuve, ô Roi, source de l’Être ! Le visible infini que ta splendeur pénètre, En houles de lumière ardemment agité, Palpite de ta force et de ta majesté. Dans l’air flambant, immense, oh ! que ta route est belle Pour arriver au seuil de la nuit éternelle ! Quand ton char tombe et roule au bas du firmament, POÈMES ANTIQUES – 5 – Que l’horizon sublime ondule largement ! O Sûryâ ! Ton corps lumineux vers l’eau noire S’incline, revêtu d’une robe de gloire ; L’abîme te salue et s’ouvre devant toi : Descends sur le profond rivage et dors, ô Roi ! Ta demeure est au bord des océans antiques, Maître ! Les grandes Eaux lavent tes pieds mystiques. Guerrier resplendissant, qui marches dans le ciel A travers l’étendue et le temps éternel ; Toi qui verses au sein de la terre robuste Le fleuve fécondant de ta chaleur auguste, Et sièges vers midi sur les brûlants sommets, Roi du monde, entends-nous, et protège à jamais Les hommes au sang pur, les races pacifiques Qui te chantent au bord des océans antiques ! _____ LECONTE DE LISLE – 6 – Prière védique pour les Morts BERGER du monde, clos les paupières funèbres Des deux chiens d’Yama qui hantent les ténèbres. Va, pars ! Suis le chemin antique des aïeux. Ouvre sa tombe heureuse et qu’il s’endorme en elle, O Terre du repos, douce aux hommes pieux ! Revêts-le de silence, ô Terre maternelle, Et mets le long baiser de l’ombre sur ses yeux. Que le Berger divin chasse les chiens robustes Qui rôdent en hurlant sur la piste des justes ! Ne brûle point celui qui vécut sans remords. Comme font l’oiseau noir, la fourmi, le reptile, Ne le déchire point, ô Roi, ni ne le mords ! Mais plutôt, de ta gloire éclatante et subtile Pénètre-le, Dieu clair, libérateur des Morts ! Berger du monde, apaise autour de lui les râles Que poussent les gardiens du seuil, les deux chiens pâles. Voici l’heure. Ton souffle au vent, ton œil au feu ! O Libation sainte, arrose sa poussière ! Qu’elle s’unisse à tout dans le temps et le lieu ! Toi, Portion vivante, en un corps de lumière, Remonte et prends la forme immortelle d’un Dieu ! POÈMES ANTIQUES – 7 – Que le Berger divin comprime les mâchoires Et détourne le flair des chiens expiatoires ! Le beurre frais, le pur Sôma, l’excellent miel, Coulent pour les héros, les poètes, les sages. Ils sont assis, parfaits, en un rêve éternel. Va, pars ! Allume enfin ta face à leurs visages, Es siège comme eux tous dans la splendeur du ciel ! Berger du monde, aveugle avec tes mains brûlantes Des deux chiens d’Yama les prunelles sanglantes. Tes deux chiens qui jamais n’ont connu le sommeil, Dont les larges naseaux suivent le pied des races, Puissent-ils, Yama ! jusqu’au dernier réveil, Dans la vallée et sur les monts perdant nos traces, Nous laisser voir longtemps la beauté du soleil ! Que le Berger divin écarte de leurs proies Les chiens blêmes errant à l’angle des deux voies ! O toi qui des hauteurs roules dans les vallons, Qui fécondes la mer dorée où tu pénètres, Qui sais les deux Chemins mystérieux et longs, Je te salue, Agni, Savitri ! Roi des êtres ! Cavalier flamboyant sur les sept étalons ! Berger du monde, accours ! Éblouis de tes flammes Les deux chiens d’Yama, dévorateurs des âmes. _____ LECONTE DE LISLE – 8 – Bhagavat LE grand Fleuve, à travers les bois aux mille plantes, Vers le Lac infini roulait ses ondes lentes, Majestueux, pareil au bleu lotus du ciel, Confondant toute voix en un chant éternel ; Cristal immaculé, plus pur et plus splendide Que l’innocent esprit de la vierge candide. Les Sûras bienheureux qui calment les douleurs, Cygnes au corps de neige, aux guirlandes de fleurs, Gardaient le Réservoir des âmes, le saint Fleuve, La coupe de saphir où Bhagavat s’abreuve. Au pied des jujubiers déployés en arceaux, Trois sages méditaient, assis dans les roseaux ; Des larges nymphéas contemplant les calices, Ils goûtaient, absorbés, de muettes délices. Sur les bambous prochains, accablés de sommeil, Les oiseaux aux becs d’or luisaient en plein soleil, Sans daigner secouer, comme des étincelles, Les mouches qui mordaient la pourpre de leurs ailes. Revêtu d’un poil rude et noir, le Roi des ours Au grondement sauvage, irritable toujours, Allait, se nourrissant de miel et de bananes. Les singes oscillaient suspendus aux lianes. POÈMES ANTIQUES – 9 – Tapi dans l’herbe humide et sur soi reployé, Le tigre au ventre blanc, au souple dos rayé, Dormait ; et par endroits, le long des vertes îles, Comme des troncs pesants flottaient les crocodiles. Parfois, un éléphant songeur, roi des forêts, Passait et se perdait dans les sentiers secrets, Vaste contemporain des races terminées, Triste, et se souvenant des antiques années. L’inquiète gazelle, attentive à tout bruit, Venait, disparaissait comme le trait qui fuit ; Au-dessus des nopals bondissait l’antilope ; Et sous les noirs taillis dont l’ombre l’enveloppe, L’œil dilaté, le corps nerveux et frémissant, La panthère à l’affût humait leur jeune sang. Du sommet des palmiers pendaient les grands reptiles ; Des couleuvres glissaient en spirales subtiles ; Et sur les fleurs de pourpre et sur les lys d’argent, Emplissant l’air d’un vol sonore et diligent, Dans la forêt touffue aux longues échappées Les abeilles vibraient, d’un rayon d’or frappées. Telle, la Vie immense, auguste, palpitait, Rêvait, étincelait, soupirait et chantait ; Tels, les germes éclos et les formes à naître Brisaient ou soulevaient le sein large de l’Être. LECONTE DE LISLE – 10 – Mais, dans l’inaction surhumaine plongés, Les Brahmanes muets et de longs jours chargés, Ensevelis vivants dans leurs songes austères Et des roseaux du Fleuve habitants solitaires, Las des vaines rumeurs de l’homme et des cités, En un monde inconnu puisaient leurs voluptés. Des parts faites à tous choisissant la meilleure, Ils fixaient leur esprit sur l’Ame intérieure. Enfin, le jour, glissant à la pente des cieux, D’un long regard de pourpre illumina leurs yeux ; Et, sous les jujubiers qu’un souffle pur balance, Chacun interrompit le mystique silence. MAITREYA. J’étais jeune et jouais dans le vallon natal, Au bord des bleus étangs et des lacs de cristal Où les poule nageaient, où cygnes et sarcelles Faisaient étinceler les perles de leurs ailes, Dans les bois odorants, de rosée embellis, Où sur l’écorce d’or chantaient les bengalis, Et j’aperçus, semblable à l’Aurore céleste, La vierge aux doux yeux longs, gracieuse et modeste, Qui de loin s’avançait, foulant les gazons verts. Ses pieds blancs résonnaient de mille anneaux couverts ; POÈMES ANTIQUES – 11 – Sa voix harmonieuse était comme l’abeille Qui murmure et s’enivre à ta coupe vermeille, Belle rose ! et l’amour ondulait dans son sein. Les bengalis charmés, la suivant par essaim, Allaient boire le miel de ses lèvres pourprées. Ses longs cheveux, pareils à des lueurs dorées, Ruisselaient mollement sur son cou délicat ; Et uploads/Geographie/ leconte-de-lisle-poemes-antiques.pdf
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- Publié le Aoû 08, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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