1 Henri Tintant (Université de Bourgogne) La Paléontologie française entre 1920
1 Henri Tintant (Université de Bourgogne) La Paléontologie française entre 1920 et 1950 "Is there any point to wich you wish to draw my attention?" "To the curious incident of the dog in the night-time." "The dog did nothing in the night-time." "That was the curious incident." A. Conan-Doyle, The memoirs of Sherloc Holmes. Après la saignée de la grande guerre, qui vit disparaître quelques-uns des meilleurs espoirs de la Paléontologie française, un Jean Boussac, auteur de travaux importants sur les nummulites et les gastéropodes tertiaires, un Armand Thevenin, premier titulaire de la maîtrise de Paléontologie de Sorbonne, et surtout un Robert Douville, spécialiste de ammonites jurassiques, le seul peut-être de sa génération à avoir considéré les fossiles comme des êtres vivants et non comme de simples "marqueurs" du temps, la période étudiée ici, qui s'étend entre les deux guerres mais qu'on doit prolonger jusqu'en 1950 environ, représente pour la Paléontologie en France un creux d'autant plus sensible qu'il fait suite à une période de grande activité, dont restent certes encore quelques "monuments" comme un Henri Douville, un Jules Lambert, qui s'éteignent vers 1940 sans être remplacés. Comme dans le célèbre épisode du chien de Sherlock Holmes, il est intéressant de rechercher les causes de ce relatif silence. Sans faire l'histoire exhaustive de cette période encore trop proche, je voudrai simplement en rappeler quelques caractéristiques, en qualité de témoin en ayant connu la plus grande partie. Le fait le plus frappant de cette époque est que la paléontologie y est alors considérée comme une activité normale, indispensable, mais secondaire, pour tout géologue. S'il y a alors pléthore de chercheurs déterminant leurs fossiles à leur moments perdus, il n'y a, nous allons le voir, guère de vrais paléontologistes, et encore moins une paléontologie francaise. La spécialisation sur un groupe déterminé n'existe pa encore, ni même celle entre vertébrés et invertébrés qui ne s'amorce qu'à la fin de la période. En 1941, un bon géologue comme A. Bonte, se vante encore, dans la préface de sa thèse d'avoir déterminé lui-même tous ses fossiles, des Foraminifères aux Vertébrés, et son jury l'en félicite! Un Repelin, à Marseille, passe constamment de la stratigraphie du tertiaire à l'étude des mollusques d'eau douce, puis aux mammifères; un Deperet à Lyon, de la stratigraphie du Néogène à la paléontologie des mammifères, via celle des pectinidés. C'est la période des "généralistes". Tous sont d'abord des géologues, des stratigraphes pour qui le fossile est le seul moyen de datation des terrains, le seul "marqueur" du temps écoulé. Victime de son succès, la paléontologie se voit réduite à l'état de science 2 annexe, précieuse mais seconde, et n'est jamais considérée comme une science en soi, pouvant poser des problèmes qui lui soient propres: "ancilla geologiae". Et ceci est manifeste si nous examinons rapidement sa place dans l'enseignement supérieur et dans les structures de l'Université à cette époque. La Paléontologie dans l'Université et la recherche. A cette époque donc, la paléontologie fait partie intégrante de l'enseignement de la géologie, et n'a aucune structure propre. Une seule chaire de paléontologie existe alors: celle du Muséum d'Histoire naturelle de Paris, occupée depuis le début du siècle par Marcellin Boule, rude auvergnat sur la porte duquel j'ai encore vu accroché, alors que jeune lycéen j'allais le jeudi porter mes fossiles à déterminer dans son laboratoire, l'écriteau qui portait: "Il fait beau, je vais bien, bonsoir!" Ayant débuté par l'étude du volcanisme du Massif Central, il s'était entièrement consacré à l'homme fossile, notamment aux Néandertaliens, dont il gardait les crânes jalousement enfermés dans son bureau. En trente ans, il ne fit guère que trois élèves, que nous retrouverons: Pierre Teilhard de Chardin, Maurice Collignon Jean Piveteau. Les invertébrés, dont le Muséum possède en France la plus belle collection, étaient abandonnés au Sous-Directeur, alors Jean Cottreau, spécialiste des échinodermes, mais dont les tâches administratives et l'accueil, d'ailleurs très aimable, des visiteurs limitaient les activités scientifiques. Quant aux assistantes, c'étaient d'aimables demoiselles entièrement dévouées au rangement des collections. A la retraite de M. Boule, en 1937, tout le monde attendait la nomination de Jean Piveteau. Mais ce fut un presqu'inconnu, Camille Arambourg, qui sortit du mystère des urnes. Originaire d'Afrique du Nord où ses parents exploitaient un vignoble sur un magnifique gisement de poissons d'âge miocène, ce fût sans doute ce fait qui orienta ce jeune ingénieur agronome vers la paléontologie des poissons et en fit un professeur à l'Institut agronomique de Paris, puis, grâce à l'appui des zoologistes, au Muséum. Ce petit homme élégant racé, d’une grande amabilité contrastant avec son prédécesseur, s'orienta rapidement, lui-aussi, vers la paléontologie humaine et lança personnellement les recherches en Ethiopie, dans la vallée de l'Omo, avec le succès qu'on sait. Il ouvrit largement le Laboratoire à tous mais, souvent absent de Paris, ne fit guère d'élèves. Son sous-directeur, Jean Roger, ayant fait à Lyon une bonne thèse sur les Pectinidés miocènes où l'on trouve un premier essai d'emploi des méthodes quantitatives, très érudit et d'une grande activité, tenta de transformer son laboratoire en un centre de détermination des fossiles et s'efforça, avec l'aide du CNRS, de recruter des spécialistes de tous les groupes. Mais, peu difficile sur le recrutement et très exigeant sur le travail, il stérilisa une génération de jeunes paléontologistes et pesa lourdement sur le développement de sa discipline. A la Sorbonne, la Paléontologie constitue l'une des matières du certificat de Géologie, au même rang que Pétrographie. Une maîtrise de conférences lui est consacrée juste avant la guerre, mais son premier titulaire, Armand Thevenin, a été tué en 1918. Il est alors remplacé par Léonce Joleaud (1880-1938), géologue généraliste (1) dont la thèse sur la chaîne numidique, opposée aux idées tectoniques de son président de Jury, Emile Haug, n'avait pas obtenue la mention "très honorable". Ce fut cependant ce même Haug qui l'appela à la Sorbonne en 1919. Grand blessé de guerre, c'était un professeur déplorable, s'endormant lui-même pendant son cours, incapable de dessiner et même d'écrire correctement au tableau. Il 3 avait en outre le don de formules énigmatiques: il nous répétait chaque année, et imprima dans ses "Eléments de Paléontologie" (2, p. 129) que "l'humérus des reptiles présente toujours au moins un trouour le passage de l'artère fémorale!" Sa définition du flotteur des graptolithes (id, p. 39): "grosse vésicule ayant la forme de deux dômes unis par leur base rectangulaire en un solide dont le méridien équatorial serait un carré", est resté célèbre. Inutile de dire que ses cours avaient peu de succès, et qu'il nous est arrivé de nous y compter six, alors que le certificat comprennait 60 inscrits, et que plus de 120 auditeurs s'écrasaient au cours du "patron", Charles Jacob. C'était pourtant un homme d'une grande érudition et d'une extrême bienveillance. Excellent zoologiste (il fut porté à la présidence de la Société Zoologique de France bien avant celle de la Géologique), très au courant des problèmes de distribution géographique des espèces actuelles, il lança un discipline nouvelle avec son "Atlas de Paléobiogéographie" publié par les soins de son élève H. Alimen juste après sa mort. Il y abuse certes des "ponts océaniques", mais où il donne aussi quelques cartes en "géographie wégenerienne" qu'il aurait sans doute adoptée sans l'opposition des géophysiciens de l'époque. Son successeur en 1939 fut Jean Piveteau (1898-1991, voir 3 et l'ensemble du fascicule 4, vol.77, des Annales d Paléontologie), spécialiste des vertébrés inférieurs, poissons et surtout amphibiens, à qui l'on doit notamment l'étude de l'ancêtre des Anoures, le Protobatrachus de Madagascar. Ce n'est que plus tard qu'il se consacrera essentiellement à la Paléontologie humaine où il fera école. Avant tout anatomiste, peu géologue mais très attiré vers l'histoire et la philosophie des sciences, il contribuera à orienter la Paléontologie des Vertébrés vers la seule Biologie, en réaction donc contre la tendance dominante de son temps. Sans locaux propres, sans personnel et donc sans moyens, il n'aura une chaire, avec un service complet, qu'en 1953: la première d'ailleurs créée en France. Très absorbé par ses cours solides et bien construits, mais austères, par ses recherches personnelles , il ne contribuera guère au développement de sa discipline. Mais il faut mettre à son actif le Colloque de 1947, dont nous verrons l'importance, et la mise en chantier du Traité de Paléontologie conçu à cette époque, même si le premier tome ne paraît qu’en 1952. En attendant, on ne peut parler d'un laboratoire de Paléontologie, malgré la présence au sein du Laboratoire de Géologie de quelques paléontologistes, surtout féminins comme Colette Deschazaux, spécialistes des Lamellibranches jurassiques bientôt monopolisée par le Traité, ou Geneviève Delpey, auteur d'une thèse brillante sur les Gastéropodes crétacé, dont elle prétend renouveller, sans grand succès, la classification en se basant sur les stries d'accroissement, et surtout James Alloiteau que nous retrouverons plus loin. Sur l'Ecole des Mines de Paris, qui possède alors l'une des plus importantes collections paléontologiques du monde, plane toujours l'ombre du grand Henri Douville (1846-1937), polytechnicien, ingénieur des mines, qui s'est occupé avec bonheur de presque tous les groupes d'invertébrés, mais surtout des foraminifères et uploads/Geographie/ paleontologie-1920-1950-tintant.pdf
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- Publié le Fev 10, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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