- 265 - La toponymie : outil culturel pour un développement durable en Méditerr

- 265 - La toponymie : outil culturel pour un développement durable en Méditerranée et dans les zones fragilisées Le domaine libyco-berbère Aicha BOROUMI S'il est bien vrai que la culture est la clé du XXe siècle comme l'écrivait Javier Perez de Cuellar, président de la Commission des Nations-Unies "Culture et développement" (Le Monde, 25 février 1994), l'investissement dans des travaux de recherche en matière d'archéologie, d'histoire, et notamment de toponymie, peut contribuer de façon déterminante à la promotion de développements viables, mieux, même si le terme n'est pas très heureux en français, autosoutenables. Et ce , en particulier, pour ce qui concerne mes propres travaux de recherche menées sur le terrain au Maroc - où je résidai chez les populations concernées, dont je suis d'ailleurs issue - dans les zones côtières fragilisées et les milieux insulaires, en l'occurrence méditerranéens. Mon propos, qui traite de toponymie, concerne le monde berbère qui s'est étendu au XVII èm siècle jusqu'aux Iles Canaries. Tout développement auto-soutenable ne peut à, à mes yeux, faire l'économie des réalités endogènes, où la langue constitue une véritable infrastructure de communication. La langue berbère que j'examine ici à travers la toponymie n'est plus vernaculaire à 100% aujourd'hui. Mais elle reste un précieux atout pour valoriser les pratiques des populations actuelles en permettant de saisir les racines qui les fondent et qui portent la marque de la vie des anciens habitants de cette région méditerranéenne. Un développement soutenable a besoin d'une telle compréhension, car il s'agit de dépasser, comme l'attestent entre autres l'expérience et les travaux de PRELUDE (PRELUDE/Georges Thill, sous la direction de, Transfert des compétences scientifiques et technologiques et leur appropriation, Bruxelles, CCE/Science, recherche et développement, Monitor/FAST, FOP 307, 1992 ) le clivage classique: traditionnel/moderne. Au préalable j'entends rappeler ce qu'est la toponymie. Sur la base de mes propres travaux, je l'appliquerai ensuite à la valorisation de ses apports à un développement auto-soutenable. La toponymie, en effet, peut être un excellent outil pour qu'une terre d'assistance devienne une terre d'initiative. La toponymie ou l'étude des noms de lieux, science auxiliaire de l'histoire, porte sur la cristallisation fossile de tous les substrats culturels des civilisations disparues. Les noms n'étaient pas donnés au hasard par le nomenclateur, ils caractérisent souvent le lieu. L'appellation puise souvent son origine soit dans un événement qui a marqué le lieu soit dans son aspect le plus frappant. Aussi la toponymie est-elle souvent mise à contribution dans une approche historique, anthropologique, ethnographique, religieuse, botanique et sollicitée pour confirmer ou infirmer les résultats contenus dans d'autres documents et sources ou pallier complètement à leur absence. Il est vrai qu' avec l'évolution temporelle, certains toponymes peuvent subir une altération de prononciation ou perdre leur signification. Mais ils ne changent presque jamais. A l'appui de ces observations, je prends l'exemple de la nomenclature géographique dans la zone concernée par mes travaux : la région de Taza au Maroc. La toponymie reste dans sa grande partie berbèro-libyque malgré les apports des différentes civilisations étrangères successives : phénicienne, romaine, vandale, et , en dernière phase, arabe. L'arabisation n'a touché que très légèrement la toponymie. On découvre des noms berbères dans les zones actuellement peuplées par les Arabes. Mais souvent dans ce cas les toponymes ont un nom propre où ils gardent leur nom berbère auquel s'ajoute un nom arabe de même signification. Exemple : les deux mots Aïn Aghbal signifient source. Aïn est le terme arabe et Aghbal est le mot berbère. Cette survivance des toponymes berbères dans un territoire arabe témoigne d'une occupation ancienne ou du parcours de cette région par des locuteurs de cette langue. - 266 - Il est déterminant de connaître l'histoire et la langue pour prendre conscience de la complexité des phénomènes et être en mesure d'interroger chaque indice pour éclaircir cette pérennité. Ainsi, l'expression terme "les berbères" désigne les populations qui occupaient en fait un territoire qui s'étend de la frontière de l'Egypte à l'Océan Atlantique et de la Méditerranée à la boucle du Niger. Sur le plan morphologique, elles sont très variées et l'unique critère commun est la langue. La langue berbère est une langue parlée. Il s'agit plutôt d'agrégats de parlers que d'une langue proprement dite (au sens où on l'entend de manière classique, où il y a des écrits. Soit dit en passant à ce propos, il est bon de relever que dès qu'une langue est parlée, elle se parle "en dialecte" en fonction des milieux sociaux et culturels, et ceci prend une importance particulière dans les milieux fragilisés)). On doit encore noter qu'on considère comme berbère aussi le peuple guanche qui ne s'est éteint dans les Iles Canaries qu'au XVII siècle. En général, l'histoire des berbères (leur origine, leur histoire, l'histoire même de leur langue etc.) nous échappe. Cette civilisation est omniprésente dans la culture matérielle dans les sites archéologiques. Cependant comme elle est de tradition orale, faute de documents écrits, nos connaissances, sur le plan scientifiques sont plus maigres, très fragmentaires et lacunaires. Et il est précieux que les chercheurs partagent d'une façon, ou d'une autre, pour y avoir grandi ou en tout cas en faisant du terrain au sens le plus terre à terre du mot, les conditions concrètes de vie des gens (y compris, si possible, jusqu'à leurs dialectes). Les toponymes contribuent alors à trouver des renseignements instructifs et éclairants. Dans mes travaux, je ne prends en compte parmi la multitude des noms géographiques, étant entendu ce que je viens de dire, que des noms berbères de la province de Taza. Pour leur recueil, j'ai établi une classification par rubrique mais en précisant dans la mesure du possible, quand les exemples cités sont connus dans les parlers berbères d'autres régions. Ainsi, je me plais à évoquer ici les toponymies botanique et animale, métallurgique, archéologique ou historique, ethnologique. Tout d'abord, la toponymie botanique. Je regroupe sous cette rubrique les toponymes qui, tout en étant des noms des lieux, désignent aussi des espèces végétales. L'importance de ces toponymes pour l'historien, le climatologue, le paléontologue, le botaniste est inestimable. Ils peuvent attester de la présence dans un territoire donné, d'espèces très répandues autrefois et qui ont disparu aujourd'hui ou expliquer l'origine de l'appellation. En effet, leur étude permet de révéler les cultures les plus répandues par le passé dans la région de Taza. Quelques exemples: • Arnibaouene, arn-i-bawen ; mot composé de trois constituants : - arn : (nom masc., porte la notion et la forme d'un sing., mais il est toujours considéré comme étant au pluriel) : farine; - i : préposition équivalant au "de " en français; - baouen, Ibawen, (masc. Baw, pl. Ibaouen ; le "en" est une marque >du pluriel.) : fèves. • Lalaten, ilalaten, (racine LL, sing. alil, alili) : lauriers roses; la forme féminine "talilit, sert à la fois à composer le nom d'unité et à indiquer le lieu où croissent les lauriers roses. C'est le cas du site antique de Walili (Volubilis.) • Argane : arganier. Cet arbre a disparu complètement de la région. • Tighira, tigigt : plante saponifère. Les gens du cru l'utilisaient jusqu'à une période récente comme du savon pour faire leurs lessives. • Sesnou : un ancien mot désignant arbousier. • Tayda (nom féminin) : sapin. • Takka, Taqqa : genévrier. • Zouggar , Azuggag, uzuggar, (fem.) : jujubier. • Tumzut : orge. • Tazart (racine ZR) : terme s'appliquant à la figue et au figuier. • Attel : les vignes. • Azemur : oléastre. - 267 - La pratique de l'agriculture dans la région de Taza est attestée depuis la préhistoire comme le prouvent les différentes sources : la présence de plusieurs ateliers de haches polies, le grand nombre de silos, les monnaies et les récits des auteurs grecs et latins (Pline l'Ancien , Salluste, etc.). Nous savons que le blé, l'orge, la vigne et l'olivier étaient les cultures par excellence en Afrique du Nord. Il n'est donc pas étonnant que les toponymes les mentionnent. Des nos jours, c'est encore le cas pour cette région à l'exception des vignes qui en raison des directives gouvernementales sont moins cultivées. • Un tel examen permet de suivre le cheminement de certaines cultures introduites dans ces contrées et que la population locale ignorait. Cette dernière a maintenu la pratique agricole et conservé le nom étranger d'origine. A titre d'exemple: • Tiferest : poirier, découle du mot latin pirus; • Ikerker : pois chiche; ce mot est emprunté au latin cicer; • Akerrus : chêne vert ; ce terme est un emprunt du grec; • Guz : noix ; emprunt de l'arabe. Le noyer est très répandu dans cette zone; • Sefsaf : peuplier, emprunt de l'arabe. Parmi les arbres fruitiers dont le nom dérive de l'arabe on trouve le pommier et le grenadier. Espèces indéterminées : • Iferni : espèce végétale dont les racines comestibles sont utilisées en période de disette. Son identification reste à faire. • Tafsout,, (racine FSW ; verbe fsu: germer) : ce mot prend, suivant les parlers, le sens de "printemps" ou celui d'"une graminée" proche uploads/Geographie/ toponymie-2.pdf

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